Hotel Lux vient de sortir en Février, son premier album, With Hands Across The Creek, sur le label londonien The State51 Conspiracy. Comme beaucoup de groupes très-trop-vite étiquetés Punk/Post Punk (Fontaines D.C, Yard Act, BCNR, Squid, Shame, Murder Capital…) Hotel Lux a su évoluer intelligemment depuis 6 ans pour proposer un 1er album hors étiquette restrictive. Occasion de confirmer un talent que les fans de la première heure avaient su déceler. C’était notamment le cas pour moi lorsque Hotel Lux jouait en première partie de Slaves, à Nantes Stereolux en 2018.
Hotel Lux: de Portsmouth…au confinement de 2020
Le groupe est né à Portsmouth, avant de migrer vers le sud de Londres. Le quatuor de départ est composé de Lewis Duffin, l’énergique et acerbe chanteur, Cam Sims, bassiste, Craig Mac Vicar à la batterie et Jake Sewel, guitariste. Sam Coburn, guitariste- parfois claviériste, les rejoint en 2016. Dès 2017 Hotel Lux signe un premier single ravageur, The Last Hangman , figurant sur leur premier 7 ». Sur cet hymne post punk garage, Lewis Duffin pratique alors le sprechgesang cher à Mark E Smith ou, aujourd’hui, à Jason Williamson (Sleaford Mods)voire The Cool Greenhouse. Lewis Duffin y évoque le dernier bourreau anglais, Albert Pierrepoint (450 pendaisons, ndlr)
Les critiques positives affluent d’autant que leur deuxième 7 », au Printemps 2018, est tout aussi rageur avec le titre Daddy. Il a été inspiré par les émeutes qui ont secoué un quartier Nord de Portsmouth, Paulsgrove, alors que des pédophiles ont été relâchés. « Papa était un sale type, il ne connaissait pas ses limites » chante Lewis Duffin avant de s’interroger: « Oh Papa, pourquoi es tu si mauvais? ».
Le premier E.P, Barstool Preaching, sur le label Nice Swan Records, encensé par Iggy Pop, confirme l’ascension du groupe en 2020. Cinq titres, tous bons, y compris la belle ballade Ballad Of You & I qui traduit déjà une évolution de style-avec orgue- et de ton. Hotel Lux s’apprête alors à jouer aux USA, en passant par le célèbre Festival SXSW à Austin dans la deuxième quinzaine de Mars. Mais début Mars 2020, alors que Hotel Lux joue à l’Olympic Café, à Paris et Temples et Half Moon Run à Stereolux Nantes, la menace Covid se précise. Le couperet du confinement tombe quelques jours après. « Nous étions dévastés » se souvient Lewis, privés de scène américaine.
Un album écrit et peaufiné pendant le confinement
Une longue période va alors s’ouvrir pour le groupe. « Tout avait été assez excitant pour nous jusqu’à ce moment-là » précise Cam Sims. Hotel Lux semble pétrifié : « nous n’avons jamais été aussi fragiles » ajoute Cam. Le groupe qui a déjà modifié sa line-up va migrer de Londres vers la péninsule de Wirral, près de Liverpool. La composition du groupe a, en effet, déjà évolué avec l’E.P précité. Dillon Home (orgue/violon) a rejoint le groupe ainsi que Max Oliver (guitariste de Legss, goupe ami du sud londonien). Par contre, Jake Sewel s’en va pour s’installer à Amsterdam.
La période est aussi propice à la réflexion et à… quelques querelles. Lors des premiers singles encensés, « nous nous sommes trop préoccupés de la façon dont nous allions être perçus » avoue Cam Sims le bassiste. Un sentiment de vulnérabilité que le groupe ressentait alors que ceux qu’Hotel Lux cotoyaient au Windmill de Brixton explosent. On pense à Shame, Squid voire même Sorry. Pendant le confinement, Hotel Lux va peaufiner son écriture mais chercher aussi un son qui lui soit propre.
Mais tout n’a pas été si facile! Le processus d’écriture « a pris beaucoup de temps » confie Lewis Duffin: « Ecrire des chansons sur le port de gants ou le fait d’aller au supermarché à 6h du mat’ n’avait aucun interêt » précise t-il. La recherche d’un son propre et plus original ne fut pas plus simple. « Graig et Sam sont devenus accros de ESG » raconte Lewis. « Je détestais ça et ça me prenait la tête ». Pour rappel, ESG est un groupe rock funk-no wave new-yorkais des années 80/2000 formé par les 4 soeurs Scroggins. On leur doit les hit Moody et UFO, samplé d’innombrables fois.
Heureusement, Max Oliver apportait avec lui « un son de Telecaster plus rugueux, plus dur et en même temsp plus tonique ». L’installation à Wirral a tout de même permis l’inspiration et il ne faut pas oublier non plus le rôle de Bill Ryder Jones, musicien mais aussi producteur (Yard Act, Arctic Monkeys, The Coral dont il fut le guitariste alors qu’il n’avait que 13 ans!…)
Hotel Lux: liberté musicale et liberté de ton
Hotel Lux a trouvé une liberté musicale qui lui conferre même une originalité plus que plaisante. On peut ainsi trouver l’utilisation d’omnichord ou le clavier Casio à 20 livres. L’album peut sonner jangly pop, comme le titre d’ouverture Old Timer ou Points Of View. Ils traduisent un certain héritage des groupes des sixties (The Byrds) jusqu’à Mac DeMarco en passant par The Smiths. Le parfum Dance Floor n’est parfois pas loin non plus: Lewis Duffin voulait faire danser les gens dès le premier titre de l’album. Le sprechgesang a été davantage délaissé.
Le groupe garde ses influences classiques-il cite Dr Feelgood, Ian Dury qu’il aime mêler à Neil Young, Eno ou The Waterboys. Cocktail surprenant. Certains titres peuvent devenir des hymnes addictifs, Common Sense, Strut ou National Team. Des titres plus cool constituent aussi de belles respirations comme le superbe Morning After Mourning ou An Ideal For Living, dépouillé et presque acoustique. Le groupe avait beaucoup écouté de folk acoustique dont l’américain John Fahey. A noter que ces 2 titres sont judicieusement enchaînés sur l’album mais aussi dans tous les concerts donnés depuis début Février. Le groupe veut aussi, enfin, montrer qu’il reste fidèle à ses racines: le titre de l’album est une expression empruntée à un copain du père de Lewis faisant référence à la connexion Portsmouth Fareham.
La liberté de ton fait partie de l’ADN du groupe. Nous étions habitués au ton sarcastique sur la société anglaise, ses élites et certains scandales. Dans ce premier album, le ton se veut aussi plus personnel. Old Timer (titre d’ouverture de l’album et de tous les derniers concerts du groupe) est notamment une interrogation plus personnelle sur la façon de vivre. Eazy Being Lazy parle « du fait d’être mal dans sa peau, des conversations maladroites lors des soirées et des nuits passées à parcourir les médias sociaux, de l’anxiété qui accompagne l’adolescence et de l’espoir de ne pas être seul » raconte Sam.
Cela ne va pas empêcher Hotel Lux de rester connecté au monde extérieur et aux préoccupations sociales! Ainsi Common Sense a été inspiré par les grèves du RMT, le syndicat britannique cheminot et le leader syndical Mick Lynch. Il évoque l’impact du pouvoir médiatique souvent démesuré et le traitement médiatique du leader travailliste Jeremy Corbyn. Le groupe précise alors que Common Sense « parle dela façon dont les medias sont conscients que l’apathie est le plus grand ennemi du changement social, comment nous sommes pris pour des imbéciles et que nous en sommes devenus insensibles »….Eastbound and Down est une critique de la ville de Londres et d’une certaine arrogance de sa population riche. Strut critique l’industrie musicale et son avidité à fournir toujours plus vite des morceaux à ceux qui ne se préoccupent que du streaming…
Le sens de l’humour se double aussi souvent du sens de l’observation, autre trait caractéristique du groupe. Ainsi Points Of View s’interroge sur comment « peindre le monde moderne …et recoller les morceaux » . Solidarity Song qui clôt l’album garde la même tonalité sarcastique même si le propos apparaît d’abord plus perso: « Comme la menace nucléaire, tu me donnes des maux de tête…quand je suis assis à un bout du canapé et que tu discutes avec moi jusqu’au coma »! Le morceau, dont le titre est une référence à Brecht-d’ailleurs mentionné dans la chanson-partage cependant la vision d’un monde plus harmonieux.. »En nous inspirant de groupes comme The Pogues et les Waterboys pour une direction un peu plus folk, nous avons ajouté du violon et demandé à Bill de jouer du piano. C’était la chanson parfaite pour terminer l’album, avec une vision à la fois optimiste et plus cynique du monde » précise Max Oliver sur le site britannique Gigwise. National Team-hit potentiel- et hymne à la jeunesse perdue, établit un lien étrange entre les sportifs qui deviennent plus jeunes en vieilissant et la notion de nationalisme. L’équipe nationale est plus une « métaphore » précise tout de même Cam Sims.
Epilogue: un premier album de Luxe…incontournable!
Bon, même si je suis fan du groupe depuis ses débuts, je pense rester objectif (ah-ah) en pensant qu’Hotel Lux, un peu à l’image de Shame récemment, a franchi une belle marche avec cet album. Evolution surtout des paysages sonores-reflet d’influences multiples- à laquelle les deux nouveaux membres ne sont pas étrangers. Instrumentation plus riche avec, surtout, beaucoup plus de claviers. Leur petite tournée européenne récente, passant par 8 villes françaises, a confirmé cette belle progression du groupe. Le groupe a joué les 10 titres de cet album désormais incontournable-et indispensable-, plus quelques morceaux comme Tabloid Newspaper et Ballad Of You & I.
