Stéphane Milochevitch, aka Thousand, publie ce 5 Juin son quatrième album Au Paradis, deux ans après le Tunnel Végétal, déjà paru sur le label Talitres comme l’album éponyme en 2015. Petit retour sur un parcours commencé aux États-Unis et en langue anglaise avant d’opter, depuis deux albums, pour la belle langue française et notre plus grand bonheur!
Pas que Le Tunnel avant le Paradis
Stéphane Milochevitch a passé une partie de son enfance/jeunesse au Texas, y puisant les racines de son identité actuelle, culturelle au sens large, et pas seulement musicale. Dès l’âge de 7 ans, il apprend la batterie et commence à jouer dès 12 ans. De retour en France, on le retrouve d’ailleurs à la batterie, notamment sur deux albums de notre drômois Renaud Brustlein aka H-Burns. Cela n’empêche pas Stéphane Milochevitch de faire naître Thousand, projet marqué par des albums folk et des chansons en anglais : on trouve ainsi deux albums du duo Thousand Bramier sur le label aveyronnais Arbouse Recordings, en 2006 et 2008. En 2012, Thousand publie son premier album, The Flying Pyramid, toujours sur ce même label : on y trouve aussi déjà Caroline Gabard, retrouvée cette année derrière 4 des textes de l’album de Cabane. Bel E.P aussi en 2012, chez Fargo, Tous les Jours, où l’on retrouve Thousand avec Emma Broughton, une voix à laquelle je suis devenu addict, y compris lorsqu’on la croise avec Orouni. (Sur album ou en live, voir ici).
Après un premier album éponyme, en anglais, chez Talitres en 2015, vient Le Tunnel Végétal, en 2018 et en français, où Stéphane Milochevitch réalise à nouveau sa pochette d’album. Il faut dire que Stéphane Milochevitch s’est autant passionné pour le dessin, le graphisme en général, que pour la musique depuis son adolescence. C’est avec Le Tunnel Végétal que Thousand va sortir davantage de l’ombre, l’album étant très bien accueilli par les critiques et le public, surprenant même son auteur ! Si l’album a un parfum de Bashung, de Murat et de Jean Patrick Capdevielle, il semble que Thousand ne les ait découverts que tardivement et qu’ils n’aient donc pas du tout contribué à une influence majeure, contrairement aux apparences ! Par contre, dans une ITV aux Inrocks en Mars 2018, Thousand avouait qu’après être tombé sur Bashung via un copain, il avait fait le constat que c’était immense : Station Service ou J’sors avec ma Frangine, c’est pile ce que je veux entendre-un truc brut, hyper sincère, limite obscène.
Deux ans plus tard, avec Au Paradis, cette affirmation semble toujours d’actualité et nous éclaire en partie sur le nouvel album.
Au Paradis, voyage onirique avec de fidèles complices.
Thousand semble continuer à écrire à partir de ses rêves, contribuant à nous proposer un album mêlant l’intime et l’onirique pour un voyage que chacun pourra mener à sa guise, d’autant que de nombreux titres ont une dimension cinématographique indéniable.
Certaines images sont récurrentes, comme la Xantia sur l’album précédent ; dans Au Paradis, c’est notamment la ligne bleue des Vosges ou la couronne des nuages…d’orage….si les anneaux de Saturne étaient évoqués dans Le Tunnel végétal, c’est la langue de Saturne que l’on retrouve dans Vue du fond de l’aquarium avant le titre Les Enfants de Saturne puis Silence Saturne dans le Bâton Ivre. Et puis, bien sûr, il y a le thème du voyage et celui du Paradis, retrouvés à moult reprises. Stéphane Milochevitch joue avec les mots, un peu comme Gainsbourg, (A mon corps descendant, le miroir d’essence…), mais aussi avec les associations d’idées (Quitte à ne rien être, laissez moi renaître ou Quand sur ton corps mon Oradour/Planent mes mains comme les ailes noires de la Gestapo.). Il n’hésite pas à se mettre en scène (il se nomme dans la dernière phrase de Mon dernier voyage, évoque sa Moselle natale dans Au Paradis) et à se dévoiler plus ou moins pudiquement ou crûment. Chacun peut y prendre ce qu’il veut.
L’album Au Paradis nous livre ainsi une collection de pépites pop rock et 10 titres que Thousand semble vouloir découper d’autant plus facilement quand il s’agit du vinyle : Une première face du disque plutôt positive, une seconde plus down disait-il récemment sur le site web des Inrocks, jouant sur l’ambivalence du Paradis et de l’Enfer. C’est d’ailleurs Lucifer dont il est question dès les premières lignes de Merle hagard, premier titre addictif avec son clavier ondulant. Avec Jeune femme à l’Ibis, on est déjà en voyage et envoûté , malgré l’effet vocoder, par la voix d’Emma Broughton dans le refrain. Très belle chanson, ponctuée par nos deux voix, masculine et féminine, Regarde le vide, écoute le silence/Regarde la qui défile/c’est la France. Mon dernier voyage nous emmène dans une promenade où visions intimes et érotiques se conjuguent, le titre intégrant poésie et références culturelles, comme cela est fréquent dans les chansons de Thousand. On y trouve l’une des plus belles strophes de l’album:
La liberté viendra et elle viendra de l’ombre tu sais / Vois la France entière téléguidée par les ondes mais
Pleure sous la pluie pleure sous les gaz / C’est un trou de verdure où chante une rivière de larmes.
Après le Rêve du Cheval (encore un beau titre !) vient l’un des morceaux les plus empreints de poésie onirique et érotique, Vue du Fond de l’Aquarium. C’est l’un de mes préférés. On poursuit d’ailleurs sur une veine similaire avec Au Paradis, le titre éponyme ouvrant la deuxième face de l’album : Je suis l’explorateur de tes côtes opales/Là où la coque épouse le corail/Je glisse un doigt le long des pétales/Comme pour faire chanter le cristal. Belle conclusion (autobiographique?)…La vie est un paradis qui m’a ravi.
Le Masque du Fou est un titre magnifique, épuré, accompagné par une très belle guitare et pouvant sembler renvoyer à la pochette-maison- de l’album : Tu l’as porté, tout le monde l’a porté un jour/ce que tu as reconnu c’est le masque du Fou. Derrière le masque mexicain de la pochette, un des objets personnels que Thousand a mis en scène pour confectionner sa pochette d’album, on reconnait en effet Stéphane Milochevitch. Y aurait-il une dimension ironique dans ce titre…je n’ai pas la réponse!
Après Aux Enfants de Saturne, clin d’oeil Aux Enfants de la Chance de Gainsbourg?, l’album s’achève sur deux beaux titres: Des Fleurs dans un Feu , avec un peu d’écho/de reverb nous propose aussi une rupture magnifiée par des cordes… On a l’impression de se rapprocher de la fin du voyage d’autant que la mélodie fait écho, notamment à travers le jeu de guitare, au morceau Mon Dernier Voyage. Un voyage qui se termine pour le bâteau ivre avec le Bâton Ivre où il est question du Val Fourré mais aussi des cendres de l’écrivain américain Hunter Thomson: Ecoute….Au Paradis plus personne...puis c’est sur un sifflement énigmatique d’oiseau que s’achève l’album.
Derrière ce bel album, il ne faut pas oublier les mêmes et fidèles musiciens que l’on retrouve autour de Stéphane Milochevitch, et pas seulement depuis deux albums: Olivier Marguerit (croisé jadis avec Syd Matters et auteur de belles basses ! Mais aussi aux claviers et percus), Sylvain Joasson (batterie) , et Emma Broughton. Les cordes ont été écrites et arrangées par Bryce Dessner (The National) qui vit maintenant en France et est passé, en 2003, chez Talitres (pour le deuxième album de The National).
Ne cherchez pas longtemps : avec Au Paradis, vous tenez déjà l’un des plus beaux albums français de l’année 2020.
Merci France inter de m’avoir fait découvrir cet artiste génial, j’adore, j’achète dès demain matin, passé à la radio ce vendredi soir 4 septembre 2020, entre 22 et 23heures.