En Une: Emily Jane White Crédit photo Kristin Cofer juillet 2021
2 ans et demi après le superbe Immanent Fire, Emily Jane White revient. Son septième album, Alluvion, paraît sur le label Talitres auquel elle reste fidèle depuis 15 ans. Si l’ADN Folk et la voix aimée sont toujours présents, des variantes musicales apparaissent aussi. Variantes dues aux contraintes de la pandémie mais aussi dans la thématique qui reste sombre. Reste un constat, après 15 ans de carrière. Emily Jane White, non seulement ne déçoit pas, mais continue de nous séduire!
Alluvion, la thématique du deuil
L’album Immanent Fire reflétait un engagement socio-politique, présent d’ailleurs dès le deuxième album. L’album abordait aussi, comme Weyes Blood, la thématique écologique: anéantissement biologique et accélération de l’extinction d’espèces. Avec ce nouvel album Alluvion, c’est la thématique du deuil qui est abordée, toujours avec grâce, subtilité et gravité à la fois. Ce n’est toutefois pas un album concept où le deuil est prégnant comme dans le superbe album de Tunng, en 2020. Le deuil-personnel ou collectif-peut résulter de la perte de vies humaines, d’êtres chers. Il peut, aussi, être perçu comme la disparition d’un « monde naturel ».
Le deuil est rarement présent dans notre approche culturelle de nos sociétés occidentales. « Tel un dépôt de sédiments, le deuil agit par vagues et par cycles, alluvions nécessaires à notre reconstruction » rappelle le communiqué accompagnant la sortie de l’album. Ces temps troublés, entre longue pandémie et guerre en Ukraine, soulignent que le deuil est nécessaire pour franchir le « portail » vers un monde nouveau comme l’écrit Arundhati Roy. Même si elle part de l’exemple de l’Inde, elle évoque « le portail entre le monde d’hier et le prochain ». C’est surtout l’occasion de réfléchir sur les changements nécessaires. La Covid était, finalement, moins importante que les inégalités du système qu’elle mettait encore davantage en relief rappelle t-elle..
Lucidité, combat et poésie
Le ton est donné dès le premier titre Show Me The War où le propos se veut lucide et combatif même s’il reste noir. EJW chante au nom des 1500 femmes assassinées de Juarez ou du non droit des femmes à avorter en Pologne. Elle nous éclaire: « Au cours de l’été 2020 à Oakland, en Californie, j’ai écrit cette chanson en réponse aux nombreux soulèvements politiques déclenchés par le meurtre de George Floyd. Show Me the War met également en lumière des exemples plus mondiaux d’injustice comme le féminicide à Juarez, au Mexique et l’interdiction quasi totale de l’avortement en Pologne« .
Dans le dernier titre, Battle Call, Emily Jane White rebondit sur la problématique de la guerre. Elle s’interroge notamment sur comment aider ceux qui reviennent, traumatisés, de la guerre. L’avortement est à nouveau évoqué dans Body Against Gun. Cette fois, EJW chante la femme, trop jeune pour décider elle même…et qui doit fuir vers un autre Etat où « il est légal d’opérer ». Les mots sont choisis avec retenue et sans, bien sûr, juger.
Au delà d’autres chansons sombres comme Mute Swan, Emily Jane White montre aussi qu’on peut aussi s’échapper de ces atmosphères-prisons- oppressantes. Ainsi dans I Spent The Years Frozen, elle semble avoir réussi à sortir des années passées à être gelée. Enfin, il ne faut pas oublier l’écriture poétique omniprésente. Parfois sous forme d’images, presque de paraboles. Crepuscule-où mélancolie et deuil sont encore évoqués- reflète la beauté de cette poésie.
Emily Jane White et les différentes déclinaisons du Folk d’Alluvion.
Comme l’album précédent, Alluvion a été produit et arrangé par le multi-instrumentiste Anton Patzner. On le retrouve d’ailleurs sur tous les titres de l’album comme Nick Ott, le batteur. John Courage, fidèle depuis le 1er album et revu en scène encore en Février 2020, assure les guitares-basse et baryton. La pandémie a contraint cependant EJW et ses partenaires à de nouvelles méthodes de travail. Seules les prises de guitares et batterie se firent en présentiel. Un travail de superposition, de nappes et d’arrangements a du être opéré en distantiel. Alex DeGrott a, ensuite, réalisé le mix minutieux .
C’est peut-être une des raisons qui explique pourquoi l’album sonne-souvent-différemment des précédents. EJW a pu vouloir aussi explorer différentes facettes du Folk, entre néo folk, dark folk voire Folktronica. On trouve, en effet, davantage de sonorités électroniques mais ce n’est pas pour nous déplaire! La musique d’EJW y gagne encore en richesse et subtilité.
Le titre Crepuscule, un de mes préférés, s’achève sur un mode carrément shoegaze. Imaginez le repris par…Slowdive! Heresy est un autre bel exemple de cette nouvelle richesse et diversité. On y retrouve Jay Maiven aka Darkher. Ce fut pour moi une belle surprise car j’adore la Dark/Dom Folk de Jay Maiven que l’on retrouve aussi sur le dernier album-Fabir- du suédois Ludwig Swärd aka Forndom. A noter que le deuxième album de Darkher sort le 15 Avril.
Des arrangements souvent somptueux.
Ce sont aussi souvent les arrangements, cordes et/ou vocaux qui subliment les titres. Même lorsque le piano d’Emily Jane White continue à nous charmer au début de nombreux titres, de Heresy au superbe Hollow Heart en passant par Hold Them Alive. Les arrangements prennent alors souvent le relais dans la deuxième partie des titres. Au delà du propos de la chanson, le rythme est parfois enlevé, léger, presque pop comme dans Poisoned.
Battle Call clôture magistralement l’album. Percussions martelant le rythme, nappes de synthés, riffs soudains de guitares puis choeurs. On a déjà envie de remettre l’album au début. Bref, un album qui montre une nouvelle fois la qualité de la musique d’Emily Jane White. Un album qui peut plaire autant aux amateurs de Chelsea Wolfe, que de Loreena McKennit ou de Weyes Blood avec qui je trouve souvent aussi une parenté certaine.
Emily Jane White est actuellement en tournée! Voir les dates sur le site de Talitres ci dessous!
La! C’est de la chronique d’album 👏👏👏👏👍👍👍
Merci…Bon quand on aime , on ne compte pas son temps!