Retrouver le sourire avec une musique mélancolique
En dépit de son jeune âge, Sean Solomon a du se rendre à l’évidence : les tournées et les boissons gratuites l’entrainaient vers une dépendance toxique. Après un an de sobriété, le chanteur/guitariste de Moaning, que nous avions rencontré lors de leur passage à Aucard en 2018 (ici), admet que l’effort aura été payant : de meilleures relations avec les autres, des interviews plus faciles et surtout, la tête claire pour l’enregistrement et la composition du nouvel album. Le combat contre cette addiction, si commune parmi les musiciens, aura aussi nourri le contenu des titres de ce « rire difficile ». Ces deux termes qui semblent si mal aller ensemble trouvent ici un point de convergence dans la volonté du groupe de transcender angoisses et inquiétudes en pulsions de vie. Car c’est bien de l’angoisse de vivre au XXIe siècle dont il est question dans cet opus. Comment rester optimiste, danser et aller de l’avant dans un monde de plus en plus égoïste, troublé, dépasser la dépression et la paranoïa, aller au-delà des apparences puisqu’elles ne sont pas ce qu’elles paraissent.
Une production au cordeau pour sentiments exacerbés
Solomon nous expliquait à quel point il aimait que les choses aient deux facettes parfois contradictoires, comme ce moaning—gémissement—qui peut être de douleur comme de plaisir. De nouveau, sur cet album, la dualité pointe son nez. Non seulement dans le titre ainsi qu’au travers du design de la pochette—une fleur au visage souriant dessiné avec ce que l’on suppose être des larmes— mais aussi dans le combat entre une musique aux rythmes entrainants et les sonorités mélancoliques des mélodies et instruments. Il y a comme une lutte constante entre ce groove très 80’s, assez dansant finalement, et la production qui met particulièrement en avant les synthés et la voix très éthérée du chanteur. On ne peut s’empêcher de penser à Bernard Summer et au New Order des premiers albums ou de Get Ready en écoutant cet album. Le choix de mettre les guitares moins en avant, de les utiliser plus en nappe ou pour booster un refrain, et de privilégier les synthés rappelle les influences très eighties du bassiste, Pascal Stevenson : Talking Heads, Siouxise and The banshees, New order… C’est d’ailleurs lui qui officie derrière les claviers. La production une fois encore assurée par leur « découvreur », Alex Newport (At-The_Drive_in, Bloc Party…) apporte des expérimentations techniques qui vont dans le sens de la musique. Comme cette batterie passée en mp3 et ré-enregistrée sur Connect the Dots qui met une distance entre la musique et le rythme, comme si les « points » n’arrivaient pas à se relier entre eux. Il faut aussi rappeler que le groupe a baigné dans cette scène DIY de L.A. où la bidouille sur du matos cheap dans sa chambre est une école furieusement formatrice.
Un flot introspectif : à la recherche du moi perdu
On sent tout au long de l’album une autre dualité, plus intérieure celle-là. Entre auto-dénigrement avec Stranger (« I Hate myself« ), mise de côté de l’égo dans le justement nommé Ego et constat d’une impossible communication avec l’autre, le chanteur qui signe tous les textes, s’interroge avec un certain égotisme sur sa relation au monde. Entre néo romantisme et mal être adolescent, on retrouve chez Moaning une certaine tendance de la musique des années 80 à exprimer cette relation douloureuse à soi et à autrui. C’est le très New order Stranger qui semble évoquer les difficultés d’être lucide face à l’addiction, ce qu’elle détruit de nous même, mais aussi le mal qu’elle engendre dans nos relations.
Sur ces onze titres entrecoupés de deux interludes instrumentaux de moins d’une minutes—/// et //////////—assemblages de beats trafiqués et de nappes fantomatiques, tous n’ont pas la même intensité. Mais, bon gré mal gré, au fil des écoutes, chacun dévoile son identité particulière, se glisse dans le cerveau de l’auditeur pour trouver grâce à ses oreilles et finir par y rester. Débutant avec l’entrainant et tubesque Ego, l’album se clôture sur Say Something dont la mélancolie désenchantée n’est pas sans rappeler, en plus lent et nonchalant, le Soft As Snow des My Bloody Valentine. Une référence s’il en est.
Ce n’est pas une collection de chansons!
Moaning, le premier album éponyme du trio, regroupait un certains nombres de titres composés sur une période assez longue. Pleins de fulgurances à la Nirvana, les trois amis trouvaient qu’il manquait de cette maturité qui rend les albums cohérents. Les morceaux de Uneasy laughter ont été écrits dans un laps de temps plus court et produits avec une vision d’ensemble. Ce qui manquait à Moaning. Le travail sur les synthés de Pascal Stevenson rend peut-être la performance scénique plus compliquée, exigeant un dispositif plus contraignant certainement, mais il apporte indéniablement une couleur et une cohésion unique aux titres.
Il y a un peu moins de deux ans, j’écrivais « Moaning : petit cri deviendra grand« . En 2019, ils ont joué pour soutenir Bernie Sanders, écumé les scènes US, été reconnus par la presse indé outre atlantique, devait être programmé au SXSW (South By Southwest, ensemble de festivals texans qui représente un des évènements musicaux les plus importants aux USA et constitue une forme de reconnaissance dans le milieu). Avec Uneasy Laughter, le talent du groupe se confirme, ils nous offre une galette de qualité qui sera certainement dans le top 2020 de votre serviteur. On l’écoute comme on déguste un cru inattendu : une bonne première bouche, un retour agréable, un sentiment ambigu, puis le regret d’avoir fini la bouteille aussi vite.
My favourite..fall in love..cela fait du bien en ce moment!