Il y a quelques jours paraissait, sur le label Domino, le 3ème album d’un trio constitué de James Yorkston, Jon Thorne et Suhail Yusuf Khan. L’album, Navarasa: Nine Emotions, poursuit le voyage entamé par le trio il y a 4 ans avec Everything Sacred puis Neuk Wight Delhi All-Stars en 2017 (Neuk en Ecosse, l’ile de Wight et Delhi étant les 3 lieux de résidence principale de nos 3 compères, ndlr).
James Yorkston est loin d’être un inconnu pour moi car j’ai découvert et apprécié le folk de cet écossais dès 2003, à Nantes, alors qu’avec son groupe d’amis musiciens (The Athletes) il accompagnait, en tournée, Tindersticks, un de mes groupes chouchous. J’avais alors acheté l’album Moving up country qui était son 1er album chez Domino, co-produit par Simon Raymonde, un des emblématiques membres de Cocteau Twins. En Février 2019 est paru le 9ème (et bel) album de Yorkston, The Route To Harmonium, toujours chez Domino.
La constitution d’un trio atypique
Thorne Yorkston et Khan photo jon Pountney
James Yorkston aurait pu se contenter de ce beau parcours folk et souvent trop discret pour le grand public mais il a voulu aussi s’aventurer dans des expériences musicales hors des sentiers battus. C’est ainsi qu’on le retrouve, à nouveau sur cet album, aux côtés du contrebassiste de jazz Jon Thorne, lui même curieux expérimentateur, naviguant entre jazz et électro trip hop comme bassiste avec Lamb. A noter, pour les amateurs, comme moi, de GoGo Penguin (voir article), que Nick Blacka fut un des « élèves » de Jon Thorne. Le troisième membre de ce trio atypique est Suhail Yusuf Khan, issu d’une longue génération de musiciens de Delhi et maîtres du qawwali (chant dévotionnel islamique soufi dont Nusrat Fateh Ali Khan fut un des grands interprètes).
Le Navarasa, un concept indien
Ce troisième album du trio, Navarasa: Nine Emotions, va ainsi vous amener au coeur du concept indien du Navarasa: les neuf (nava) sentiments (rasa…même si littéralement la traduction du sanskrit signifie sève). Ces sentiments (on devrait presque dire saveurs) essentiels vont de l’Amour à la paix en passant par la joie, la colère, le dégoût, la terreur et le courage! Chaque titre de l’album est ainsi relié à l’un de ces sentiments.
Ainsi, le titre « Westlin Winds » est il relié à Adbhuta ( saveur de l’émerveillement, la surprise ) : il commence par le destructeur acte I du poème écossais de Robert Burns « Now Westlin Winds » et transplante délicieusement son acte II porteur d’un message de vie en Inde avec une composition « en Purbi, un dialecte spécifique du vieux Hindi » explique Suhail Khan, avant d’ajouter: « J’ai appris la chanson en écoutaant divers chanteurs de qawwali au sanctuaire de Delhi. Son inspiration est Hazrat Amir Khusran » (poète philosophe mystique soufi, mort à Delhi en 1325, ndlr). C’est un des très beaux titres de l’album, comprenant aussi de superbes instrumentaux comme « The North Carr » ou le très long « Darbari » qui clôture l’album.
Un assemblage multiculturel pour un « sombre bonheur »
Cet album propose donc un assemblage d’éléments interculturels qui pourrait apparaître un peu hétéroclite, intello voire rébarbatif sur le papier: il n’en est rien! L’album est superbe: James Yorkston tisse dans le folk, souvent épuré, la littérature-poésie et le chant écossais; Jon Thorne est ancré dans le jazz et le groove. Suhail Yusuf Khan apporte des formes de chants classiques du Nord de l’Inde comme dans « Thumri Bhairavi », le 3ème titre, et de chants pieux soufis. Ce qui unit ces divers courants musicaux, c’est « un sombre bonheur » résume James Yorkston. Ecoutez notamment « The Shearing’s not for you », un chef d’oeuvre pour vous séduire, ! Quand s’achève le titre « Darbari » (12’31!), vous avez envie de vous laisser porter à nouveau en réécoutant l’album surtout si vous aimez, comme moi, le sarangi joué par Suhail Khan !
A noter que la version double vinyle contient 3 titres bonus en face D!
Après une tournée printannière au Royaume -uni, nous espérons voir le trio sur le continent!