Un artiste libre… et un peu schizo
Squarepusher s’amuse avec la musique, les instruments et le son depuis son plus jeune âge. Les premières productions de Tom Jenkinson sous son nom de scène remontent au milieu des années 90. Influencé alors par le jazz, l’électro et les beats destructurés d’Aphex Twin, on trouve déjà ce mélange entre instruments joués et programmation électro. C’est la grande époque de l’acid jazz, des crossover électro-jazz, des Matthew Herbert, par exemple, qui remettent les sons de ces musiques au goût du jour dans le genre. Guitariste et bassiste, Jenkinson, originaire de Chelmsford, Essex, va progressivement s’orienter vers une musique plus abstraite, sans pour autant délaisser les instruments électriques. La dualité de ses productions est très certainement un reflet de sa personnalité éternellement tiraillée entre plusieurs pôles (multi-polaires?). Entre deux L.P. purement électro, il peut revenir à une musique entièrement électrique, comme Solo Electric Bass ou, au gré de ses envies, passer à des arrangements mêlant adroitement instruments, prog (Just A Souvenir, Hello Everything), et basculer indifféremment d’un style exclusivement abstrait, à une musique plus ludique et bourrée de références. Ce qui l’amènera notamment à créer le projet Shobaleader One, à collaborer avec des robots (Squarepusher X Z-Machines) ou a travailler sur des B. O. de programmes pour enfants pour la BBC.
À propos de son travail, et notamment de Solo Electric Bass :
Un retour forcé aux sources
À la grande époque de Warp, dans le courant des années 90 et début des années 2000, Squarepusher partage le haut de l’affiche avec les Autechre et autres Aphex Twin. Pourtant, depuis quelques années, en dépit d’une production riche et variée, son travail n’est pas reconnu à la même hauteur que celle des musiciens sus cités. L’année dernière, Tom Jenkinson s’est cassé le poignet. Des éclats d’os et une longue rééducation l’empêchent d’empoigner des instruments électriques. Ne pouvant utiliser le set qu’il améliore d’année en année, il ressort alors ses vieilles machines, dont certaines analogiques. De celles qui lui ont servi à composer ses premières productions dans les années 90 (même un Commodore Vic20). La texture et la musicalité particulière de l’album Be Up A Hello qui sort ce 31 janvier chez Warp s’en ressent. Avec bonheur. Moins froid et brut que le Demogen Furies de 2015, les titres oscillent entre électro joyeuse, Oberlove et Hitsonu qui ouvrent l’album avec leur côté jeu video vintage, et break beats épiléptiques, comme Nervelevers ou Speedcrank. Quant à Ondula qui vient terminer en beauté les 48 minutes de son, le titre pourrait être tiré d’un album de Tangerine Dream, de Vangelis ou encore d’une B. O. de John Carpenter. Le résultat est une étrange familiarité avec ces sons, comme si ceux-ci ressurgissaient d’un inconscient techno-historique commun, sorte de cerveau reptilien musical. Malgré ce constat, l’artiste n’en reste pas moins, à mon avis, encore à l’avant-garde du genre. Peut-être est-ce sa capacité à jouer toute sorte de musiques ou encore son usage d’un matériel qu’il doit ré-apprendre à maitriser…
Délicat équilibre entre fun et virtuosité, sa musique, complexe et imprévisible, n’en est pas moins facile d’accès. Derrière le travail sur le son brut et ces beats épiléptiques—resurgences de jungle/drum ‘n bass somme toute classique—qui font toute la saveur du genre, Jenkinson sait glisser des harmonies qui viennent doucement prendre place au fur et à mesure du titre pour créer ce petit frisson d’émotion qui viendra clôturer l’échafaudage musical que constituent ses morceaux. Quelle virtuosité dans ces glissements fluides et ces enchainements de textures! Terminal Slam en est un parfait exemple.
La contrainte et l’artiste
On sent bien au travers des diverses expériences du musicien son incapacité à rester en place, son envie d’innover, d’explorer sans cesse de nouveaux horizons. Sur ce Be Up A Hello, on passe sans transition d’un Speedkrank dense et éprouvant physiquement, gavé de breakbeats frénétiques à un Detroit People Mover digne d’un film des années 80, pure composition de nappes de synthés vintages aux basses « moogesques ». On se prend à se dire que la contrainte imposée par la blessure, ce retour aux instruments originels, est un formidable boost pour la créativité de l’artiste. On écoute là bien plus qu’une madeleine de Proust musicale. Il y met toute son expérience musicale et la facilité d’exécution acquises tout au long des ces 30 années de musique. Cet album de Squarepusher est, à mon humble avis, ce qu’il a fait de meilleurs en solo depuis… ses premiers albums.
Liens :
https://squarepusher.net/release/156698-squarepusher-be-up-a-hello