Le choc a été dur ce 1er février 2017 en apprenant le décès de Robert « String » Dahlqvist (Jens Robert Dahlqvist), tricoteur six cordes génial des Hellacopters. La nouvelle est tombée comme un falafel gobé tout sec au fond d’un estomac vide. Avec de la sauce piquante par dessus. À en croire les annonces officielles, diffusées bien après le jour funeste, une crise d’épilepsie dans son bain suivie d’une attaque serait la cause de la disparition prématurée du guitariste. Le groupe avait officiellement mis fin à sa carrière après la sortie de l’album de reprises Head Off en 2008 et un ultime concert au légendaire Debaser de Sotckholm le 26 octobre de cette même année.
Lorsque j’ai rédigé l’article sur Märvel, je vous avais promis que nous reviendrions en Suède pour parler des Hellacopters, non? Et bien chose promise, chose due.
Killing Allan et premières récompenses
Il faut remonter à 1994 pour commencer notre histoire. Un article d’un journal américain tombe entre les mains d’un musicien et d’un roadie suédois en tournée là-bas. Il parle de ces « Hellacopters » envoyés par la CIA pour surveiller les champs de pavots au Mexique. Ils mettent ce nom dans un coin de leur tête et rentrent au pays. Pour conjurer les grands froids de novembre, les deux compères, Nicke Andersson (batteur d’Entombed) et Andreas Tyrone « Dregen » Svensson (Backyards Babies), jamment dans un garage avec Kenny Håkansson, bassiste filiforme et groovy, ami d’enfance de Robert Eriksson, roadie pour Entombed, qui s’assoit derrière les futs. Il faut croire que la mayonnaise prend immédiatement, puisqu’en janvier 1995, se remémorant ce fameux article, The Hellacopters sortent Killing Allan sur leur propre label, Psychout Records. Morceau fondateur qui ressortira en 2002 sur le Volume 1 des Cream of the crap (littéralement : la crème de la merde, clin d’œil au « cream of the crop »—crop=récolte—idiome anglophone signifiant bien sur la « crème de la crème »).
Les « Hellacopters » étaient les hélicoptères de la Navy envoyés pour repérer les champs de pavot au Mexique.
Premier single du groupe, un son brut et garage qui sera leur marque de fabrique jusqu’au tournant des années 2000. Une grosse influence de Motörhead encore sensible.
Suit très rapidement, le premier album, Supershitty to the Max, enregistré en vingt-six heures et sorti en février 1996. Ce premier album sonne comme une bombe dans le milieu rock/garage rock, et permet aux quatre rockeurs de gagner l’équivalent suédois du Grammy Award. Ils recrutent Anders « Boba Fett » Lindström au clavier et enchainent en ouvrant pour un groupe qu’ils admirent, Kiss, lors de leurs dates suédoises. Le son est gonflé aux guitares sur-fuzzées, wah-wahtées, un son lourd, saturé, la voix est comme passée au mixeur. Bref, ça déchire les tympans. Pour ne rien gâcher, l’intensité des compositions est parfaitement rendue, certainement à cause, ou grâce à la rapidité et la spontanéité de l’enregistrement.
Tab, sur Supershitty to The Max, chez White Jazz Records, 1996. Morceau qu’ils joueront régulièrement lors de leur dernière tournée officielle avec Robert Dahlqvist en 2008. À écouter très, très fort, toutes fenêtres ouvertes!
Sur Payin’ The Dues, dernier album sur lequel figurera Dregen qui retournera vers les « babies, » les influences principales ressortent avec une plus grande acuité. On retrouve des gimmicks très MC5, comme sur You’re Nothing, des riffs que ne renieraient pas les Radio Birdman, et, cerise sur le gâteau, sur l’édition limitée du vinyl, le très grand et très classique City Slang du Sonic’s Rendez-Vous Band de Fred « Sonic » Smith. Un morceau d’anthologie s’il en est. Fred Smith qui épousera plus tard Patti Smith (pratique pour l’état civil), écrit ce morceau comme une boutade et un pastiche de tous les patois incompréhensibles qui fleurissent dans les villes américaines, mais aussi clin d’œil aux groupes non anglophones qui ne s’encombrent pas d’écrire leurs paroles dans un anglais potable. Vous ne comprenez pas les paroles? Normal, c’est du yaourt, des onomatopées censées sonner comme de véritables locutions anglophones.
L’original de 1978 sur lequel on retrouve Gary Rasmussen, Scott Morgan (on reparlera de cet ex. The Rationals un peu plus loin), Scott « Rock Action » Asheton (ex. Stooges), autour de l’ex. MC5 (second en partant de la gauche)…
…et la reprise 20 ans plus tard par ce qui va devenir le plus grand groupe de rock suédois avec The Hives.
Les deux membres fondateurs font chacun un choix opposé pour les mêmes raisons : trop de pression pour mener deux groupes aux carrières intenses de front. Andersson laisse donc tomber Entombed (jolie début d’allitération), et Dregen retourne s’occuper des Backyards Babies.
C’est lors de la tournée US qui suit, avec deux guitaristes de remplacement, Chuck Pounder et Mattias Hellberg, que Nicke Andersson—qui enregistre aussi des albums sous le nom de Nick Royale— aura l’occasion de rencontrer Scott Morgan avec qui il passera derrière la batterie pour son projet soul, The Solution. Il va également jouer avec Wayne Kramer, l’autre moitié des douze cordes du Motor City Five. Un grand moment pour un fan ultime de Detroit Rock City, et le début de nombreuses collaborations.
Grande Rock, le grand tournant et Robert Dahlqvist
C’est Anders Lindström et Mattias Hellberg qui enregistreront les parties guitare sur l’excellent Grande Rock qui sort en 1999 sur White Jazz. À noter que c’est Sub Pop qui distribue le groupe aux USA.
Les Hellacopters, c’est pas des fanzouzes! Portrait au vitriol de Paul Stanley en 2:05mn.Peut-être une réminiscence de moments passés lors de leur tournée commune en Suède…
Grande Rock est un très bon album, mais c’est aussi un album transition : changement de Line-up, décision de privilégier la carrière du groupe et morceaux de plus en plus tubesques. L’attaque de guitare qui entame le disque donne le ton. Mordante, acérée et d’une redoutable efficacité, elle entre dans le crane comme une hache dans du beurre. On retrouvera ce court morceau Action de Grace avec une version live sur l’édition limitée ré-éditée de Payin’ the Dues qui sort fin 1999.
Selon la légende, Dalhqvist aurait rencontré le groupe dans le bar où il travaillait et aurait sollicité une audition.
Il fallait un remplaçant à Dregen. Aussi les quatre membres restant auditionnent-ils des guitaristes. Le serveur d’un bar où ils ont l’habitude de descendre (des bières), Robert Dahlqvist, leur propose de faire un essaie. Le jeu de la jeune recrue est à l’opposé du style lourd et puissant de Svensson. Au contraire de ce dernier, il allie finesse, groove, délicatesse et un sens des riffs rock and roll ultime. Lui aussi grand fan des MC5, l’entente ne pouvait être que bonne entre les deux frontmen.
Le groupe est désormais à un tournant de sa carrière. Le son s’était fait moins gras, la voix plus posée, et les compositions avaient trouvé leur style propre, imposant un « rock and roll high energy » dans ce qu’il a de plus pur : des titres courts, aux structures classiques, des riffs qui jouent sur les contretemps et des mélodies accrocheuses.
Avec High Visibility, premier album enregistré avec Dahqlvist, une dose de soul/rythm and blues vient s’immiscer dans les morceaux. Peut-être l’influence de Scott Morgan sur Nicke Andersson? Toujours est-il que l’écriture qui s’était faite plus concise sur Grande Rock, efficace à l’extrême, évolue vers une plus grande maturité et délaisse le côté punk des débuts. You’re Too Good (To Me Baby) en est le parfait exemple.
Sorti en 2000, High Visibility n’est qu’un enchainement de tubes rock and roll à la production limpide et énergique.
On y trouve donc du Rock and Roll pur et dur, et une production beaucoup plus soignée, avec cœurs, arrangements discrets et surtout une grande complicité et complémentarité dans le jeu des deux guitares. C’est aussi l’arrivée des guitares vintages, comme l’Epiphone Crestwood Deluxe dont des copies collectors ont été faites sur commande par le luthier français Roger Daguet. Ce dernier travaillera également pour un autre grand admirateur du rock de Detroit des années 70, et musicien australien, qui collabora avec des membres du MC5 et de Stooges sur le projet New Race, en la personne de Deniz Tek des Radio Birdman. Cette guitare est autant un hommage qu’une volonté de se rapprocher d’un son particulier des années 60/70. Produite par Epiphone, alors encore sous licence Gibson, elle fut popularisée par… Wayne Kramer. La boucle est bouclée. Il y a aussi l’inévitable Mosrite, guitare jouée par The Ventures et les Ramones. Plus tard dans leur carrière, et encore aujourd’hui pour Nicke Andersson, c’est l’Ibanez PS120 BK de Paul Stanley qui atterrira entre les mains des deux tricoteurs des Hellacopters.
Les suédois sont des grands fan de rock des années 70 et le montrent. Beaucoup de leurs lyrics parlent de rock, d’ambiances de concerts, ils enregistrent pas mal de reprises et font des clins d’œil à leurs idoles dans leurs titres comme dans leurs riffs. C’est Speedfreak de Motörhead ou Time to Fall des Radio Birdman, City Slang, cité plus haut, c’est It’s a Long Way Down, aux accords « Younguiens » qui font échos au It’s a Long Way To The Top des frères Young… C’est donc assez logique que tous fan de rock se reconnaissent dans leur musique. Il y a comme une mise en abime. Qui n’aimerait pas jouer les morceaux du combo suédois comme hommage à ses idoles?
Goodnight Cleveland VS Hello Cleveland, Spinal Tap VS Hellacopters
Lors de la tournée High Visibility aux USA, le groupe tourne un documentaire, Goodnight Cleveland. Vous vous rappelez Spinal Tap? Le « Hello Cleveland » de Derek Smalls, le bassiste? Lorsque le groupe se perd backstage, on l’entend hurler par deux fois « Hello Cleveland« . C’est là qu’Andersson prend sa référence pour donner son titre final ironique au film.
https://www.youtube.com/watch?v=iAR70kNhxws
Pour les plus patients, 1h30 de documentaire.
La crème de la …, deux compilations avec des trésors et le succès de By the Grace Of God
Le groupe fait un break au cours de l’année 2002, chacun se consacrant à des side-projects, The Solution pour Nicke Andersson, Thunder Express ( dans la catégorie « notre grand jeu rock and roll », de quel groupe et de quel album est tiré ce titre?) pour Dahlqvist, entre autre. Ils décident de sortir deux compilations d’inédits enregistrés pour différents albums mais non sélectionnés. Et entre les deux volumes des Cream of The Crap, ils enregistrent ce qui va devenir leur deuxième disque d’or dans leur pays d’origine, By The Grace Of God.
Le méga tube du groupe. Le riff qui reste typiquement toute la journée dans la tête —contrairement au clip.. À droite, Dahlqvist et sa copie Crestwood Deluxe.
Ici, il faut s’arrêter un instant sur la gestuelle scénique des deux guitaristes. Les attitudes scéniques des deux compères reprennent avec bonheur les poncifs des postures des rock stars et « guitar heroes », le plus souvent en parfait synchronisme. De même, ils n’hésitent pas à user du pantalon sur le plancher en venant s’agenouiller devant le public lors de leurs solos respectifs. Chez tout autre groupe, cela pourrait paraitre artificiel, voir ridicule, mais ils cultivent tellement cet aspect mythique du rock and roll, vouant un culte au matérialisme particulier de cette musique (voitures, vitesse, filles…), qu’ils ne peuvent pas le faire sans être 100% sincère. Cela transparait aussi dans les artefacts qui accompagnent les disques : badges, patchs et éditions limitées en picture disc (même dans un carton de pizza pour le single de I’m In The Band sur Rock and Roll is Dead —but it’s not!).
The Hellacopters est l’archétype du groupe de fan de rock qui se voit dépassé par un succès qu’ils n’avaient pas cherché.
Pour leur cinquième album, ils enregistrent, comme à leur habitude, trop de morceaux. Seulement treize des vingt figureront sur la première édition. C’est aussi la pochette de ce disque qui deviendra l’emblème qui suit encore le groupe à l’heure actuelle (cf l’image de une).
Suite à ça, et avant l’enregistrement de ce qui sera leur dernier album de compositions personnelles, ils sortent le volume 2 des Cream of The Crap. La suite du premier opus où l’on trouvait en piste 2 Crimson Ballroom qui rend hommage (encore!) aux MC5, et son gimmick qui fait hurler les foules dès qu’Andersson entonne les premiers accords. On retrouve là encore sur cette compilation d’inédits des reprises de Scott Morgan, du Sonic’s RDV Band, d’Arthur Lee (Love), des B-Sides…
Peut-être l’ultime morceau de rock and roll jamais écrit en ce bas monde.
C’est vraiment un titre cool pour un album de rock and roll : il y a « Rock and Roll » et « Dead » dedans. […]Mais encore une fois, il reflète ce que je ressens à propos de l’état du rock aujourd’hui.
Nicke Andersson, source wikipédia.
Il continue « Je pense que c’est une honte que le meilleur rock and roll soit joué par des gars qui ont soixante ans. Je veux dire, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, non? J’aime les Stones, mais où sont les jeunes groupes, où est le public et la presse pour eux? Il y a des exceptions, bien sur, The Hives, mais je ne sais pas… Cela semble assez mort pour moi, d’où le titre. » Cet album, c’est le sixième des Hellacopters et chaque morceau sonne comme une épitaphe du Rock and Roll. Chaque riff est définitif et résonne tel une offrande aux pionniers de cette musique brute et sans concession (le plus souvent, enfin, on aime y croire…), corps musical dont ils dissèqueraient le cadavre. Sur plusieurs titres, comme le single I’m In The Band, on peut apprécier l’écriture et le jeu fin de Dalhqvist.
Pizza on the run!
Ultime tour de scène et coup de pouce à une nouvelle génération : still on top, time to quit.
Rock and Roll is dead. Vraiment? Alors dans ce cas, cet ultime album du groupe Head Off, vient contredire ce jugement. Serait-ce qu’en fait il y a une relève? Que cette musique peut toujours exister et trouver un public? Oui, certainement, sinon ils ne se seraient pas donné la peine d’enregistrer onze reprises de groupes qu’ils estiment être la crème de la crème du rock des années 90 au milieu des 2000. En effet, Head Off est un disque de covers. Les Hellacopters ont voulu faire découvrir à leur fan leur version des morceaux de groupes marquants de ces années. Ce sont les Bellrays—Makin’ Up For Lost Time, les New Bomb Turks—qui tournent quand même depuis 1990 et avec qui ils ont enregistré un split, ou encore Darling, darling extrait du premier album de The Royal Cream. On peut bien sur y voir un album testament, mais les membres du groupe assurent qu’ils ne se séparent pas du fait d’une mésentente, mais bien parce qu’ils sont au top et ne veulent pas aller plus loin. Au passage, il me semble justifié de dire que la pochette du disque fait référence au Never Say Die de Black Sabbath. Je ne sais pas vous, mais moi, à l’époque, j’y ai vu un signe (et pas of the octopus).
Ils annoncent ensuite une dernière tournée européenne qui se terminera au Debaser le 26 octobre 2008. On ne l’entend pas sur l’enregistrement, mais à la fin du show, le groupe fait jouer l’air de Ce n’est qu’un au revoir mes frères.
À 1:22/24, une reprise de la version enregistrée sur le Live Killer de Queen de We Will Rock You qui tue!
…Eh, vous ne croyez pas qu’on allait vous laissez comme ça les kids!
En 2016, le groupe remonte sur les planches avec la formation originale. Dans la foulée, ils enregistrent un morceau écrit en 1995!
Le retour de la wah-wah de Dregen sur ce nouvel enregistrement d’un vieux titre.
Et surprise, ils continuent de tourner et seront même présent au Hellfest le 24 juin sur la Warzone! Depuis Kenny Hakasson est parti bouger sa carcasse longiligne et sa Fender precision sur d’autres projets, remplacé par Dolf De Borst des Datsuns (excellent groupe également) avec qui Andersson a formé Imperial State Electric, mais l’énergie est toujours là, et si le rock and roll n’est définitivement pas mort et se relève toujours, tel James Brown bondissant sur scène après un faux arrêt cardiaque, alors, comme pour le King ou d’autres trop précocement disparus, on peut dire : Robert Dahlqvist is dead, long live Robert Dahlqvist!
https://www.facebook.com/thehellacopters/
http://www.hellfest.fr/artiste/the-hellacopters/
Pour en savoir plus :
http://www.camionblanc.com/detail-livre-the-hellacopters-du-kerosene-dans-les-veines-827.php
Et pour le plaisir, deux petits « pay off » :
Un morceau du Thunder Express…
…et une apparition de Dahlqvist chez The Solution. It’s only rock and roll baby, but I like it!