En Une photo Katie Von Schleicher : crédit Sherin lainez
La new-yorkaise et multi-instrumentiste Katie Von Scheicher sort son 2ème L.P, Consummation, ce 22 Mai en version digitale et le 26 Juin en version physique chez Full Time Hobby. Ce deuxième véritable album est truffé de petits bijoux empreints de fragilité et d’émotion mais non dénués d’humour parfois tout de même.
Double début de carrière chanceux
2014 et 2015 sont des années particulièrement fastes pour la native de Pasadena (Maryland…précision car il y a aussi Pasadena en Californie) qui s’est installée à New-York. Katie Von Schleicher intègre le groupe Wilder Maker en 2014 dont elle est la claviériste chanteuse. Elle est aussi stagiaire chez Ba Da Bling Records lorsque son patron, Ben Golberg, lui propose de réaliser une cassette: loin de prendre cela à la légère, elle va consacrer 6 mois à la peaufiner, en composant et en produisant ses propres chansons. A l’arrivée, 7 titres d’abord sortis en cassette en 2015 puis, devant le bon accueil, en cd et vinyle en 2016! Ce « mini » album, Bleaksploitation, au tempo lent et un peu Lo-Fi, révèle déjà une patte originale et une voix envoutante.
En Septembre 2017 sort son premier véritable L.P, Shitty Hits, à nouveau auto produit, chez Ba Da Bling. On y retrouve d’ailleurs le guitariste bassiste Adam Brisbin mais aussi Gabriel Birmbaum au saxo, ses coéquipiers de Wilder Maker. Cet album a été créé au départ , sur un magnétophone à cassette, dans la maison d’enfance de Katie VS et se révèle un melting pot de ses influences musicales éclectiques: Whitney Houston dans son enfance puis Neil Young, Mc Cartney, Jeff Buckley et Wilco qu’elle adore particulièrement. Si les mélodies sont plus légères que sur le premier opus,à l’exemple de Life’s a lie, les paroles restent souvent mélancoliques, traitant des sentiments d’isolement, de faiblesse. L’humour, déjà, n’est cependant pas pour autant absent de l’aspect mélodramatique. L’année 2018 vit la sortie du premier album, Zion, de Wilder Maker, avec, bien sûr, Katie V.S que l’on retrouve aussi, aux côtés de Kevin Morby, sur un album d’Air Waves.
Consummation, un album sous influences.
L’album Consummation a été en grande partie inspiré par le thriller hitchcockien Vertigo –Sueurs Froides, en France- de 1958. Lorsque Katie Von Schleicher revoit, en 2018, ce film, avec James Stewart et Kim Novak, elle est surtout frappée par l’absence d’analyse du contexte abusif sous jacent. Elle a tout de suite su que ce narratif absent serait la base de son prochain album car il faisait écho à sa propre histoire personnelle. En écrivant cet album, KVS a aussi trouvé inspiration et soutien dans les écrits d’autres femmes comme la jeune écrivaine Carmen Maria Machado, auteure de Her Body and Other Parties (Son corps et autres célébrations, le titre français, ndlr)et surtout Rebecca Solnit, écrivaine essayiste militante féministe et écologiste, auteur de A Field Guide To Getting Lost. En effet, après le nouveau visionnage du film Vertigo, KVS tombe sur sur une critique très virulente du film réalisée par Rebecca Solnit: celle ci décrit l’errance, la traque, l’obsession liées à la quête amoureuse dépeinte comme un accomplissement alors que la véritable communion– la compréhension et le respect mutuel entre deux amants est, pour les hommes, dans le film, inimaginable. Ces rapports ont pour conséquence un échec fondamental de communication. Les analyses pertinentes de Rebecca Solnit, enfant battue, lui ont d’ailleurs valu un grand portrait dans le New-York Times en Août 2017, celui la présentant notamment aussi comme La voix de la Résistance à Trump. Avec son franc parler habituel, Rebecca Solnit déclarait encore, en 2018, que dans l’Amérique de Trump, Je ne m’inquiète pas pour les hommes.
L’album Consummation est bien sous double influence, hitchockienne et littéraire activiste: du point de vue de l’homme, Vertigo déborde d’un brouillard romantique, mais du point de vue de la femme, il s’agit d’être forcée à disparaître écrivait Rebecca Solnit. L’album Consummation évoque ainsi la souffrance liée à l’incapacité de combler cette distance psychique entre deux êtres.
Consummation, accomplissement personnel musical pour Katie V.S
La palette musicale de l’album peut-être le reflet de l’exploration d’un certain traumatisme mais il est certain que Katie Von Schleicher transforme des sujets lourds en paysages sonores séduisants.
Dès le 1er titre, You Remind Me, Katie Von Schleicher, influencée -dit-elle- par Radiohead, nous embarque dans un titre fragile: synthés et boite à ryhmes évoquent un sas de dépressurisation, nous prévenant d’un changement d’itinéraire vers un territoire troublant et onirique. La voix de KVS flotte au dessus du titre, avec des mots sans équivoque: and now I can’t confine my rage-maintenant je ne peux retenir ma rage. On enchaîne avec Wheel, un beau titre, assez court, accompagné d’un clip video fin Avril. Au départ, Katie Von Schleicher l’avait construit comme une ballade mais on retrouve une guitare saccadée, des percussions up tempo et la voix aérienne et légère de KVS contraste avec les paroles mélancoliques: I’m alone in the house//with your mark all around//all cold windows, like suffering. Katie V.S et V. Haddad, la réalisatrice du clip ont décidé de faire don du budget de cette video à Safe Horizon, organisation d’aide aux victimes de violences pour laquelle KVS a aussi organisé une collecte de fonds fin Avril; Comme en France, KVS était consciente que les victimes de violences, notamment dans le cadre du foyer familial, ont été beaucoup plus nombreuses pendant cette période de confinement du à la pandémie de Covid 19.
Nowhere (que Katie Von Schleicher adore) nous maintient dans un tempo lent, alors que Caged Sleep nous entraîne dans un Krautrock plus rugueux, Up beat et une atmosphère post punk. Katie Von Schleicher raconte, à propos du titre: pendant que le reste des chansons était en cours de mixage, j’ai fait un rêve (Nick Jost, le bassite de Wilder Maker était aussi dans son rêve: elle l’a donc invité à jouer sur ce titre où elle prononce son nom, ndlr)très marquant, avec un serpent de couleur lapis-lazuli. C’est devenu une ode à un rêve qui a mis fin à une période de ma vie. Certaines personnes détestent les histoires de rêves et donc, à l’intention de ces humains, j’ai intégré des saxophones, synthés pour détourner l’attention!
J’aime beaucoup Loud et ses vocalises plus ambitieuses. Strangest Thing est un de mes trois titres favoris: la voix envoutante de Katie V.S est plus travaillée, pêchue, me faisant parfois penser alors à Anna Calvi. On a failli ne pas avoir ce titre, car, au départ, K.V.S ne pensait pas en faire une chanson pour son album.
Dans la deuxième partie de l’album, les titres restent variés quant au style et au tempo. J’aime bien Brutality : pour KVS, c’est la pièce maîtresse thématique de l’album: si grimper est amusant, whouh, tomber est amusant...chante t-elle: on devine le sarcasme implicite. Mes préférés restent, cependant, les trois derniers. Power , au tempo lent avec sa boîte à rythmes, est, de loin, le titre le plus long de l’album: c’est le titre préféré de KVS sur cet album. Il précède Gross, une belle ballade mélancolique, écrite pour un ami, après son décès: d’abord juste une guitare et une voix un peu tendue puis un clavier tremblotant pour un nouveau titre fragile. La fin sonne comme de minuscules feux d’artifice qui explosent nous dit Katie Von Schleicher, alors que les paroles sont toutes des voeux fantastiques.
Nothing Lasts (premier titre écrit pour cet album) parachève l’album de belle manière, sur un tempo un peu plus enlevé: un couplet romantique laisse la place à un choeur plus entraînant quoiqu’un brin fataliste:cause nothing lasts for long, nothing lasts, see it’s gone- rien ne dure longtemps/rien ne dure/vois comme cela disparaît.
Un amour destructeur peut-il être considéré comme de l’Amour? C’est la question qu’a posé aussi Katie Von Schleicher dans cet album. Consummation est, sans doute, un accomplissement personnel et musical pour Katie Von Schleicher, à consommer sans modération.
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