La cabane au fond des bois
Quelque part au cœur des forêts du Nord-Ouest américain, tel un Henry David Thoreau des temps modernes, un artiste s’isole pour créer. Comme un papillon dans sa chrysalide, il y entame une mue pensée depuis longtemps. C’est peut-être ce que la légende retiendra. Pourtant, cela fait effectivement une dizaine d’années que l’artiste Amon Adonai Santos de Araujo Tobin aka Amon Tobin travaille sur ce projet annexe. Sorti sous le nom de Figueroa fin juillet 2020, The World As We Know It est un album qui a la particularité d’être un disque de folk aux instruments entièrement programmés, fruit d’une recherche sonore pointue.
De Cujo, période Ninja Tunes, Only Child Tyrant, en passant par sa collaboration avec Doubleclick pour Two Fingers, celle avec Thys récemment pour le très beau Ghostcards et le non moins beau Ithaca, AmonTobin a déjà connu de multiples incarnations musicales. Figueroa, du nom de la rue de L. A. où il habite, est la dernière en date a être publiée sur son label Nomark.
Chercher la voix
le musicien avait déjà posé sa voix sur d’autres projets, notamment Only Child Tyrant, projet dans lequel est déjà crédité un certain Figueroa. Mais comme il manque d’assurance, il a jusqu’alors plus souvent fait appel à des artistes pour des featuring (MC Decimal sur le très bon Verbal par exemple). Pour The World As We Know It, il a dans l’idée de poser une voix féminine. Il envoie alors une démo à Sylvia Massy (Tool, Johnny Cash, Red Hot Chili Peppers …) dans l’espoir qu’elle lui trouve LA chanteuse adéquate pour cette musique hybride. Ce n’est pas pour rien que la productrice a un tel CV. Elle a du flair et un goût sûr. Aussi l’invite t’elle à s’enregistrer lui-même dans un studio hollywoodien (Capitol Records) sous sa supervision.
Le résultat est un chant à la fois fantomatique, éthéré, tout en chuchotement. Il y a un effet hypnotisant dans l’interprétation de l’artiste qui arrive à allier des mélodies accrocheuses à la Nick Drake avec un débit lent et plat qui n’est pas sans rappeler les ballades folk de Beck. Et c’est certainement un élément à mettre au crédit de la production méticuleuse et attentive de Sylvia Massy. Car les performances vocales du Brésilien sont assez limitées. Mais la qualité des compositions et son travail sur le son combiné au talent de sa productrice contribuent à offrir une musique doucement mélancolique, jamais répétitive dont, paradoxalement, la voix constitue le fil conducteur. Celui-ci nous prend doucement par les oreilles et nous entraine dans des sphères qui paraissent familières…sans l’être tout à fait.
Ghost in the shell
Comme s’il essayait de caser toutes ses influences guitaristiques en un seul projet, Amon Tobin explore de multiples facettes de l’instrument grâce à une émulation de guitare fort réussie. Le travail sur la diversité des sons est époustouflant. En effet, on y retrouve des arpèges en cascade, des accords déliés façon flamenco, des cordes frappées, étouffées, ou des accords plaquées et vibrato. On entend même à la fin de Do Right le son de la main qui vient se poser sur la caisse de résonance de l’instrument… Sur Put Me Under, le magicien sonore arrive même à marier une rythmique presque flamenco avec une ambiance qui dérive vers un univers proche des musiques d’Ennio Morricone.
Il y a dans le son de la guitare, et surtout sa programmation, la sensation d’un disque légèrement rayé, d’une pattern trop parfaite pour avoir été jouée. Cette impression d’artificialité n’est pas un obstacle à l’émotion. Au contraire, cela ouvre à l’auditeur une autre dimension d’écoute. Ces gimmicks à la Leonard Cohen (Do Right) habillés d’une voix psychédélique nous emmènent dans un univers pas tout à fait parallèle, à la frontière entre deux réalités. Le sentiment diffus que ces instruments sont en fait des programmations biaise la perception de la musique. On se trouve un peu comme face à un cyborg parfait de manga, il y a du « ghost in the shell » dans The World As We Know It.
If you knew my name débute comme un titre que Nick cave aurait oublié au fond d’un tiroir et dont le son se serait altéré au fil du temps. Avec cet orgue et ces accords de guitare, le titre commence comme un hommage à cet autre musicien, brésilien d’adoption. L’album se termine par une ode psyché aux guitares très Byrds, à la mélodie tout droit sortie d’un album de la fin des années 60, peut-être un Pink Floyd ou un Jefferson Airplane. La ligne de basse soutenue, véritable colonne vertébrale du titre crée un vrombissement incessant qui mesmérise littéralement l’auditeur quasiment tout au long de ses six minutes.
Il est libre Amon
Les titres de l’album ont été composés au moment où sortait ISAM (2011). L’artiste ne pensait alors guère à les publier. C’est pourquoi il choisit alors d’aborder des thèmes qu’il n’aurait jamais traités autrement. Surtout qu’il est essentiellement un musicien instrumental. Ce travail fait sans pudeur aucune lui a certainement donné une grande liberté. D’ailleurs, l’artiste a trouvé le moyen d’acquérir une liberté de ton et de création au travers de ses multiples incarnations musicales. Il a sculpté son propre écrin pour les accueillir en créant le label NoMark qui lui permet de sortir ses productions sous ses diverses pseudonymes.
Toujours à la recherche de nouveaux sons, s’interrogeant sur les canaux de la création et ses vecteurs, l’artiste s’associe avec des figures plus expérimentales, étendant toujours d’avantage l’éventail de ses capacités créatives. En témoigne le dernier E.P. Ithaca composé avec le musicien du groupe NOISIA (VISION à l’envers), Thys qui mérite bien plus qu’une oreille. Mettez-y les deux.
Bonus :
Échange entre Amon Tobin et la productrice Sylvia Massy
Liens :
https://www.amontobin.com/music
https://www.nomark.net/artists
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