Dehors, ce samedi soir là, au Mans, la pluie battait les carreaux sur lesquels le vent rabattait régulièrement les averses avec de grands crépitements assourdissants. De rares accalmies stoppaient quelques temps le bruit des gouttes sur les fenêtres. On avait bien des places pour le Bebop Festival, mais la programmation qui nous intéressait ne débutait qu’à 23h avec les Psychotic Monks puis Ascendant vierge. Pour le reste, des rappeurs, des chanteuses ou des crooners pour ado.e.s pré pubères (ce qui ne veut pas forcément dire sans talent, mais plutôt sans intérêt pour nous), ou des artistes inconnus. Il est vrai que lorsqu’on avait jeté un coup d’œil, ça avait pourtant l’air assez sympa ce truc en tok dont on n’arrivait pas à fixer le nom et qui ouvrait le soirée du samedi. On regarde de nouveau. Qu’est-ce qu’on fait? Bon, allez, m…, il ne pleut plus, c’est samedi soir, nom de dieu, on se bouge le boule!
Mais quelle bonne idée! Quelle surprise enchanteresse! Malheureusement trop courte… Après les avoir vus, je me souviens bien de ce nom improbable aussi décalé que leur musique et leur show : Brik Tu-Tok. Quant à savoir ce que ça veut dire…
Fume, c’est du belge
Gand n’est pas la ville la plus fofolle que je connaisse. Grande cité historique et touristique fliquée par des caméras, bourrée de touristes béas en été (bon, c’est beau, les musées déchirent ok…), il faut se glisser dans les chemins de traverse pour apercevoir l’autre facette de la ville. Les couleurs, la folie, le désordre foutraque qui tente de masquer la laideur du monde contemporain. Et c’est bien de ce côté là que se situe le duo gantois. Le monde est un théâtre. Il suffit d’y piocher ses accessoires pour jouer la pièce.
La pièce n’est jamais finie. Elle évolue en permanence grâce à ce mélange des arts et des genres. Nous aimons transformer et incarner des personnages à chaque fois différents. Nous mettre dans la peau d’autres. On change comme ça de personnages à chaque concert, à chaque clip… Il n’y a rien de fixe.
Linde Carrijn, RTBF, 2020
Leur nom évoque pour le francophone un bric et broc, un bric-à-brac, tout comme leur cuisine musicale. Leur univers visuel composé de costumes faits de pièces hétéroclites, perruques, lunettes, déguisements cheap et ultra colorés, est le parfait pendant de leurs sons. Utilisant jouets, instruments improbables, enregistrant les bruits de leur cuisine, les artistes se nourrissent de tout ce qui les entourent, tirant leur inspiration du quotidien et transcendant ce dernier afin de lui redonner ses véritables couleurs artificielles. Tout est performance et sujet à ré-interprétation. Ils endossent aisément n’importe quel personnage, mixant les genres tout autant musicaux que d’identité. Car Maxim Storms et Linde Carrijn, acteurs professionnels, se sont rencontrés à l’école de théâtre en 2017 et ont décidé de redonner des couleurs aux dancefloors (que ce soit ta cuisine ou le squat d’à côté comme la boite du coin).
Free your mind and your ass will follow
Leur première sortie, Greatest Hits (2019, Rotkat), dénote d’un certain sens de la dérision. Ils s’affranchissent de toute frontière et présentent déjà tous les éléments de leur monde. Assemblages et collages de sons, utilisation de tout ce qui leur tombe sous la main afin de lui donner une autre fonction, clip DIY s’inspirant d’autres images des années 80/90. Revendiquant une palette d’influences qui va de Roisin Murphy, Cocorosie, The Residents ou encore… les Spice Girls, leur musique échappe pourtant à toute définition. Dansante, jouissive, turbulente, vivante, peut-être tout simplement libre. L’évolution entre 2019 et aujourd’hui est flagrante. Ils le reconnaissent eux-mêmes :
Au début de ce projet, nous mélangions le théâtre et la musique, mais maintenant nous n’avons plus honte de dire que nous faisons seulement de la musique .
Gonzaï, octobre 2023
Colorer la laideur du monde pour mieux la dévoiler
Sur le premier album (Greatest Hits ), on enregistrait les bruits de la cuisine, de la salle de bain… on n’utilisait pas vraiment d’instruments de musique à proprement parler. Le second album (The Giggle Gallery ) était beaucoup plus porté sur le clavier (Gonzaï). Hot Glue, sorti le 27 septembre dernier, offre une palette encore plus riche, où des titres assez sombres côtoient des pamphlets musicaux acerbes (The Entertainer), habillés par une musique en constant renouvellement, au style finalement assez homogène mais jamais répétitive (merci le Casio CZ101). On se prend à ressentir toute une palette d’émotions, trimballé au rythme de leurs lubies. On rit, souvent jaune, on est chamboulé, pris par surprise lorsque surgit une émotion que l’on pourrait, au premier abord, juger comme incongrue dans leur univers coloré. Notamment avec le morceau de clôture (magnifique moment live malheureusement partagé par un public clairsemé, le reste préférant aller voir un rappeur/crooner sans trop d’intérêt, au nom qui évoque le frère d’un plombier de jeu vidéo célèbre), The Park, titre mélancolique et désabusé, un peu comme si les B-52’s rencontraient Dead Can Dance ou que Bozo le clown déclamait un texte de Kae Tempest sur une musique de Die Antword sous xanax. Il pourrait surprendre si on passait à côté de l’essentiel de leur monde : Brik Tu-Tok n’est pas une farce, mais bien une critique et une caricature de notre monde contemporain. Derrière le clown, ses paillettes, ses couleurs flashy, son masque rigolard, se cache toujours une vision du monde d’une lucidité grinçante. Rappelez-vous le masque sympa et souriant de Guy Fawkes dans V For Vendetta…
Liens :
https://briktutok.bandcamp.com/
https://www.facebook.com/profile.php?id=100051158934062
https://www.instagram.com/briktutok/