Durant le confinement, de nombreux artistes s’étaient livrés à l’exercice difficile du « live à la maison ». Relevant le défi, Emeline Marceau (accompagné de Benjamin Mandeau) avait alors délivré un très beau set intimiste que j’avais pu apprécier en direct. La pop délicate de Roseland se prêtait merveilleusement bien à ce format et ce concert, qui n’en était peut-être pas un. Ce live avait fini de me convaincre du talent de la musicienne. Le premier album du projet solo de la bordelaise—Pyramid Kiwi, Fils, Génial au Japon— To Save What’s Left, avait été chroniqué dans ces colonnes et m’avait déjà conquis. Elle continue son exploration d’espaces sonores qui mélangent avec bonheur guitares et synthés, ambiances douces et surgissements aux couleurs plus pop, new wave, voire presque shoegaze sur ce nouvel album sorti en mars dernier, Unsaid Words.
Ce qui se cache derrière ces non-dits
L’atmosphère quelque peu mélancolique qui prédomine sur cet album vient peut-être du fait qu’il a été pensé et composé pendant le premier confinement en 2020 (alors que le précédent n’avait pas encore eu le temps de refroidir sur les platines !). Quelle que soit la source de ce sentiment qui s’y exprime, les thèmes abordés ne sont pas forcément des sujets de rigolade : la mort, l’incommunicabilité des sentiments, la perte de biodiversité. Pourtant, la musicienne a cherché une voie (voix) plus lumineuse pour la production de ce deuxième long playing. To save… avait en effet un côté sombre qui est ici remplacé par une douce sensation d’apesanteur élégiaque. Les titres naviguent entre folk song electro et new wave entrainante.
La musique peut (et doit?) exprimer des choses que les mots ne peuvent dire. Des sentiments cachés, des émotions indicibles, des sensations transcendantes… Tout ce que l’humain dans l’intimité de son univers carcéral personnel ne peut communiquer pleinement, la musique devrait pouvoir le transmettre. Même de manière atténuée. Voilà ce que tente—et réussit en partie—ce Unsaid Words.
Une musique entre electro cérébrale et pop charnelle
Si les premières mesures de Eternal Eyes pourraient faire penser que les compositions vont plutôt s’orienter vers une electro-pop sous l’influence de New Order—entre Power, Corruption and Lies et Get Ready, le ton change dès All I Want, hymne shoegaze énergique et entrainant au sein duquel les guitares dominent. La voix d’Emeline, douce et touchante, parfois susurrée (le très beau Wasted), parfois passée par des filtres (pas d’autotune ici, ouf!) que n’auraient pas reniés Air ou un producteur des années 80 (Silence), éthérée et pourtant chargée d’émotions traverse l’album comme une caresse (Let It Go). Les influences qui ont marqué les compositions de ce disque sont aussi diverses que la pop/folk de Sharon Van Etten, le piano jazz répétitif à la Phil Glass de l’album Solo de Nils Frahm ou les mélodies des newyorkais de Big Thief. La pop teintée d’électro de Roseland va aussi chercher ses racines dans la musique de Portishead (si vous ne voyez pas le rapport, tapez Roseland et Portishead, vous comprendrez) comme le beat et l’interprétation de Empty Sentences le laisse facilement deviner. Ce morceau qui clôture l’album en beauté avec Emeline Marceau chantant d’une voix légèrement voilée, nous laisse une sensation d’apaisement une fois le silence ré installé. Les titres s’imposent comme autant de petites vignettes d’intimité dévoilées pudiquement, appuyées par une musique qui est toujours au service de l’émotion, jamais redondante et toujours juste.
L’album a bénéficié de l’apport de Norbert Labrousse à la batterie, et, de nouveau, de l’aide précieuse de Benjamin Mandeau qui l’a produit, enregistré et mixé au sein de son studio Cryogène Prod à Bègles, à côté de Bordeaux. Encore une fois, le travail de production a su faire ressortir avec bonheur l’essence de l’artiste et donner toute son ampleur à son travail. Un univers personnel à suivre de près.
27 MAI Chez nous – DAX
11 JUIN Supersonic – PARIS