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Tribulation, Where The Gloom Becomes Sound : l’œuvre au noir

Tribulation, Where The Gloom Becomes Sound : l’œuvre au noir

Photo ©Ester Segarra

De The Horror à Where The Gloom Becomes Sound, le voyage musical de Tribulation

Le groupe originaire d’Arvika en Suède porte particulièrement bien son nom tant les musiciens ont voyagé d’un style à l’autre au gré de leurs albums. Depuis leurs débuts en 2005, après avoir abandonné le nom de Hazard, et après leur premier album The Horror, ils ont évolué de telle sorte qu’ils ne sont jamais vraiment là où on pourrait les attendre. Si ce premier opus sonnait définitivement Black Metal, old school tendance Venom, et balançait des titres courts, rapides aux structures simples, dès le deuxième L. P., The Formulas Of Death, apparaissait une volonté d’écriture plus complexe, et surgissait une noirceur que l’énergie brute du premier éclipsait quelque peu. On y décelait déjà un penchant pour les ambiances romantiques sombres. La rupture la plus marquante s’opérant certainement avec la sortie en 2012 de The Children Of The Night. Sur leur quatrième et avant-dernier, Down Below, les influences black qui s’étaient faites lointaines sur le précédent, se sont définitivement dissoutes dans des compositions d’où émergent des arrangements et mélodies plus heavy metal, rock, tirant même vers le glam voir le folk ou le prog. Le fil conducteur de tout ces albums reste la voix de Johannes Anderson, gutturale et monocorde à souhait. Au fur et à mesure de ces changements, l’imagerie accompagnant le groupe a elle aussi connu une évolution : à partir du troisième album, les pochettes traduisent de plus en plus un intérêt pour l’expressionnisme cinématographique des années 30 allemandes. Musicalement, on est aujourd’hui plus proche de Sisters Of Mercy que de Emperor. L’imagerie gothique est aussi sensible dans les thèmes abordés, lorgnant vers l’occultisme, bien que les références au folklore nordique restent très prégnantes.

Une inspiration entre expressionnisme et gothique

Pour Where The Gloom Becomes Sound, le groupe s’est inspiré des paroles d’un titre de l’artiste germanique Anna-Varney Cantodea et son projet Sopor Aeternus & The Ensemble Of Shadows qui chante dans le morceau Hades « Pluton » : « 

Down, further down, where the gloom becomes sound
On the cell where your love might be found

Le personnage de Anna-Varney Cantodea est en soi un croisement entre le Nosferatu de Murnau—le site de Tribulation s’appelle The Nest Of The Vampyre—et les jumelles du cirque de Freaks de Tod Browning. Usant d’une esthétique à la croisée du gothique, de l’expressionnisme et des photos de Joël-Peter Witkin, autant dire qu’elle évolue dans un univers qui colle parfaitement à celui de Tribulation.

Bien sur, le titre est aussi une métaphore de la création selon Tribulation ; de la noirceur nait le son est une formule qui convient parfaitement au processus de création du groupe et à leurs sources d’inspiration. En fait, ce titre avait déjà été suggéré par Anderson pour Down Below.

Au printemps 2020, le groupe est entré pour deux mois aux studio Ryssviken de Linus Björklund et a enregistré sous la houlette de Jamie Elton. Le tout a ensuite été envoyé au pays de Galles à Tom Dalgety (Ghost, Rammstein) qui a mixé l’ensemble dans son Psalm Studio. Il a été masterisé par Magnus Lindberg (Cult Of Luna) au Redmount Studio

Un nouveau départ et une plongée plus profond dans la noirceur

Sur leurs précédents opus, le groupe cherchait déjà son inspiration dans les mondes parallèles, souterrains, où se nichent les morts et les forces obscures. Ce nouvel album va piocher l’inspiration encore plus loin dans la noirceur, réellement au cœur des ténèbres. Les musiciens se sont littéralement immergés dans la sorcellerie, la magie et l’occultisme ou encore dans les mythes et légendes nordiques. Concernant la couverture de l’album, c’est une photo d’une sculpture de Fernand Khnopff—rosicrucien proche de James Ensor et appartenant à l’école symboliste— que le chanteur avait originellement accroché chez lui mais qui a fini au mur du studio d’enregistrement…

Le travail du groupe semblait s’être inscrit dans une routine créative régulière qui manquait aux débuts de la formation. Il avait fallu attendre cinq ans entre The Horror et The Formulas Of Death. Entre The Children Of The Night, paru deux ans plus tard, et Down Below, il s’était écoulé trois ans, ponctués par la sortie de l’E.P. Melancholia. De même, entre les deux derniers dont les sorties sont séparées de deux ans, Tribulation a produit un autre E.P., Lady Death. Ce qui montrait à quel point une véritable émulation créative avait vu le jour. Alors, oui, on pourra regretter le départ du guitariste fondateur Jonathan Hultén—qui a entre temps sorti le très beau Chants From Another Place— annoncé en décembre 2020. Surtout que le groupe avait en effet réussi à créer une véritable alchimie musicale. Les autres membres avouerons que suite à l’annonce de cette séparation, ils ont tout d’abord pensé arrêter. Il est certes toujours difficile de continuer une histoire d’amitié commencée ensemble et aussi bien menée et la complicité qui s’acquièrt au cours du temps n’est pas forcément facile à retrouver. Mais fort heureusement, le remplaçant de Hulten, Joseph Tholl, est le plus vieil ami d’Anderson et suit le groupe depuis le début, contribuant parfois même aux compositions. Reste, qu’une grande connivence et des affinités nombreuses liaient les membres de Tribulation. Ainsi, lors de l’élaboration de cet album comme du précédent, Hulten et Adam Zaars (guitare), sans s’être consultés, avaient tous deux pioché dans leurs lectures des thématiques assez proches ou qui se recoupaient. Seize titres ont été écrits pour l’album, treize par Hulten et trois par Zaars. Dix ont été retenus. Fidèles à leurs thématiques hors du temps, ils ont une nouvelle fois construit un univers entre ésotérisme et représentations gothico-romantiques où les légendes du folklore suédois ne sont jamais loin.

We’ve never written about anything that’s really contemporary or mundane; we want to keep it in a different realm.

Adam Zaars, Kerrang

Si chez Anderson, l’inspiration vient des histoires entendues dans son enfance baignée par le folklore local, de son côté, Hulten, qui a composé la majorité de cet album, a parcouru les écrits de l’occultiste socialiste français du XIXe siècle, Éliphas Levi Zahed (Alphonse Louis Constant). Pendant ce temps, Adam Zaars, qui étudie l’histoire des religions notamment indiennes—Anderson le surnomme « religion freak » —s’imprégnait d’écrits sanskrits à propos du rôle des cinq éléments présents dans les dogmes des croyances du sous-continent indien. Ainsi, la terre, le vent, le feu, l’eau et l’espace sont-ils au centre de compositions comme Funeral Pyres pour le feu ou de l’énorme (le morceau) Leviathans pour l’eau. La mystique hindouiste, sous les traits du dieu à tête d’éléphant, Ganesh, a également inspiré Inanna.

Un syncrétisme Heavy/Black Metal

Selon Johannes Anderson, Down Below était un album qu’il qualifiait de « rationnalisé ». Quant à lui, Where The… lui apparait plutôt comme « ample »et « large ». Peut-être que le concept d’espace comme cinquième élément dans l’hindouisme y est pour quelque chose… (en fait, il faut plutôt y voir une sorte d’élément impalpable que l’on pourrait assimiler à l’éther). Toujours est-il que l’album se distingue un peu plus de ses prédécesseurs en revenant à une forme de quintessence du heavy metal. Ainsi, on peut aisément parier qu’un fan de Morbid Angel y trouvera autant son compte qu’un aficionado de Judas Priest. Dès le premier titre, In Rememberance, on sent une inspiration que n’aurait pas reniée un Randy Rhoads (tout comme le solo d’Inanna), et une facilité dans la composition qui fait que chaque morceau est un tube potentiel (enfin, pas sur les radio françaises, hein…) et d’une efficacité redoutable. Si le riff dévastateur de Daughter of The Djinn tout comme celui de Funeral Pyre sont dans la pure lignée des meilleurs moments d’un Maiden période The Number Of The Beast, le rythme binaire de Hour Of The Wolf et son gimmick arpégé entêtant qui louche vers Ghost entraine immédiatement, à l’image d’un morceau d’AC/DC, une irrésistible envie d’headbanger. Une des forces de cet album est d’arriver à proposer des riffs et des figures de style qui pourraient paraitre un peu désuètes (le solo très 80’s d’Elementals), si ce n’était une ambiance très personnelle alliant une production puissante et contemporaine qui redonnent un coup de brillant à l’ensemble. Pourtant, on est loin du revival, car de nombreux titres vont piocher des brides d’inspiration dans d’autres styles : doom pour Dirge Of A Dying Soul, metal prog pour Leviathans

À l’image de ce Leviathans, justement, les titres présentent une parfaite adéquation entre des thématiques occultes, sombres et une musique délicieusement désespérée et mélancolique aux accents parfois grandiloquents, mais toujours juste et accrocheuse. La production aide beaucoup en cela, bichonnant les détails sonores, comme ce piano distant, dont on distingue les craquements du bois, du très romantique Lethe. L’instrumental évoque irrésistiblement des images de vampires, de goules, de cimetières aux caveaux recouverts de lichen d’où émergent des figures de gargouilles torturées ou d’autres apparitions chères aux romanciers de la fin du XIXe siècle. L’album est émaillé de petites trouvailles sonores qui habillent intelligemment les titres. Sur Funeral Pyre, en tendant l’oreille, on distingue une guitare lointaine qui sonne comme un thérémine, instrument de prédilection des bandes sons de film d’horreur ou de science-fiction, ses sonorités évoquant immanquablement l’étrange et le surnaturel. Le groupe avait originellement envisagé d’utiliser une scie…

La musique adoucit les pandémies

2021 n’a pour l’instant rien à envier à 2020. Mais à l’écoute de productions comme ce Where The Gloom Becomes Sound, on se prend à espérer que la musique vienne redonner un peu de plaisir dans un monde qui en manque cruellement actuellement. Where The Gloom Becomes Sound est la parfaite bande-son de cet hiver gris de pandémie sur lequel flotte un peu l’ombre des épidémies du passé et ses imageries de fin du monde. Un album sombre et sublime qu’on se plairait à écouter dans un cimetière abandonné baigné par les engoulevents en dégustant un vin doux dans des coupes en cristal de bohème, les dentelles des chemises doucement agitées par un vent surnaturel.

Liens :

https://www.facebook.com/TribulationSweden

https://www.instagram.com/tribulation_official/

https://www.metalblade.com/us/news/tribulation-launches-video-for-new-single-funeral-pyre/

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