En Une: Townes Van Zandt en 1995 crédit photo Mark Humphrey
Il y a tout juste 25 ans disparaissait Townes Van Zandt, à la veille de ses 53 ans. Bien connu et admiré dans le milieu de la musique folk, il reste jusqu’à sa mort en marge d’un succés et d’une notoriété pourtant mérités. Ce chanteur auteur-compositeur laisse derrière lui une œuvre qui n’a rien à envier aux grands noms du genre. Une œuvre à l’image de sa vie, écorchée et mélancolique. En témoignent la noirceur de ses textes et sa musique, entre blues, folk, et country (non ce n’est pas un gros mot ! … que celui qui n’a jamais tapoté du pied …). Nestor B nous offre une nouvelle belle chronique.
Influences et débuts de Townes Van Zandt
Né le 7 mars 1944 à Fort Worth dans une riche famille texane, le petit John (TVZ) passe une enfance et une adolescence trimballé de déménagements en déménagements au gré des mutations professionnelles de son père. Vers 20 ans, il revient s’installer au Texas et se pose enfin dans la banlieue d’Austin, déclarant avec humour : « C’est là que j’ai commencé à voyager .. ».
Vivant sobrement dans une caravane ou dans un petit chalet, il se met à écrire des chansons, tout en s’adonnant à ses sports favoris, le jeu et la boisson, et les disques de blues. Très vite il est inspiré par Lightnin’ Hopkins (1912-1982), texan lui aussi, et JB Lenoir (1929-1967). Ils chantent la vie dans ce qu’elle a de plus terrible, mais qui savent bien rigoler quand même.
TVZ est influencé musicalement par la grande lignée de folk singers américains, à commencer par Woody Guthrie (1912-1967), Willie Nelson et bien sûr Bob Dylan. Il reste pourtant éloigné des thèmes contestataires de l’époque. Lui-même admet aussi avoir été fasciné, ado, par Elvis Presley : c’est en l’écoutant à l’âge de 9 ans qu’il commence à gratouiller une guitare. Et par Hoyt Axton (compositeur de The Pusher, immortalisé par Steppenwolf et Nina Simone). Ça va, il y a pire comme références. C’est en 1968 qu’il est repéré sur la scène d’un bar de Houston par le musicien Mickey Newbury. Celui-ci l’accompagne alors à Nashville, et c’est le début d’une longue série d’enregistrements, signés sur le label Poppy
Pour l’amour de la chanson, une décennie prolifique
Son premier disque, le bien nommé For The Sake of The Song (1968) contient déjà de belles petites perles dont le magnifique Waitin’around to die. Ce titre, triste au possible, sera réédité plus tard dans une version plus dépouillée. Il évoque la solitude, la route, ses addictions, son désespoir face à l’approche de la mort … Pas très feel good tout ça, j’en conviens, mais tellement beau. A noter plusieurs reprises de cette chanson, dont celle des Be Good Tanyas (qu’on peut entendre dans Breaking Bad), celle des Lemonheads (sur la compile Prairie Noir) . A noter la version plus récente du jeune et talentueux lyonnais Théo Charaf (1er album prometteur en 2021).
S’en suivent six autres albums studio, toujours chez Poppy.
Our Mother the Mountain (1969), sur lequel paraît Be here to love me, titre qui donne son nom au superbe documentaire de Margaret Brown en 2004. Il fut diffusé sur Arte l’été dernier). Kathleen, également sur cet album, évoque ses douleurs et ses rêves, et le soulagement procuré par l’heroïne. La chanson est reprise par Tindersticks sur un ep de 1994.
L’album éponyme Townes Van Zandt (1969) contient des morceaux déjà parus, mais aussi des nouvelles compositions comme Lungs, ou la très dylanesque Fare thee well, Miss Carousel. Un disque d’une qualité rare, que je vous recommande. Le poète -psychotique- est au top de sa forme … euh non, de sa créativité. Les albums Delta Momma Blues et High, Low and It Between, sont enregistrés respectivement en 1970 et 1971. Ils regorgent eux aussi de petites merveilles blues/folk à tomber. (Ne vous jetez pas tout de suite sous un bus, j’ai pas fini!).
J’ai lu quelque part : « une bonne chanson folk donne l’impression d’avoir été écrite depuis toujours ». Mais on sait bien que ce n’est qu’une impression, puisque des gars comme TVZ sont passés par là. La preuve avec presque tous les titres de l’album suivant : The Late Great Townes Van Zandt (1972). Énième échec commercial, et pourtant devenu une référence pour les amateurs du genre. Ce disque au nom faussement pompeux et volontairement morbide sonne quasiment comme un accomplissement de fin de carrière.
Parfaitement réalisé, toujours produit à Nashville, on y entend du piano, des chœurs, et même ses rires (si,si!) sur le bluesy German Mustard. L’album, qui fête ses 50 ans cette année, contient deux de ses titres les plus connus : Poncho and Lefty, ballade aux sonorités country, et If I Needed You, chanson d’amour (devenue célèbre avec la version d’Emmylou Harris et Don Williams en 1981). A noter aussi l’interprétation d’un morceau écrit par son grand pote Guy Clark, Don’t let the sunshine fool ya’, et du Honky Tonkin’ de Hank Williams.
Une tranche de vie sur deux galettes
L’année suivante, en juillet 1973, le producteur Earl Willis capte sur scène à Houston le Live at the Old Quarter. Plusieurs soirées de concerts donnent naissance à un double vinyle, sorti en 1977 chez Tomato. Il ressort en 2009 chez Fat Possum Records. L’Essence même de l’artiste, et tous les ingrédients sont là et bien là : émotion, détresse, humour parfois. Inutile de vous dire que ma platine connaît bien. On y retrouve 26 titres en un peu plus d’1h30 d’enregistrements.
Ses grandes chansons en côtoient d’autres, moins souvent entendues, comme le traditionnel Cocaïne Blues, Chauffeur’s Blues (de Lightin’ Hopkins) ou encore Who do you love ? de Bo Diddley et repris par The Doors quelques années auparavant. Seul à la guitare, il parle au public, le fait rire, et offre des versions épurées un peu différentes de celles que l’on trouve sur les albums studio (souvent plus arrangées et accompagnées – piano, harmonica, …-).
Earl Willis, dans la pochette du disque, évoque le lieu. Je résume. Une petite scène où nombre d’artistes jouent « au chapeau » avant de percer et de revenir à l’occasion. Lightnin’ Hopkins (encore lui !), Big Walter Jenkins, Guy Clark, Jerry Jeff Walker … Une centaine de spectateurs entassés dans une petite pièce enfumée. Willis précise : « Pour capter l’attention de la foule, Townes n’a que lui-même, sa guitare et ses chansons ». Les enregistrements prouvent qu’il en est capable. Certaines chansons sont retirées des bandes finales à cause des bruits de verres ou de bus, mais « ce qu’on entend sur le disque est ce qui s’est vraiment passé ! »
Townes Van Zandt dans l’ombre
Avant ses 30 ans, Townes a donc déjà montré toute l’étendue de sa créativité.
Quelques tournées plus tard (dans tous les sens du terme) sort Flying Shoes (1978). Un bel album encore, sur lequel figure une excellente version de Who do you love ?.
A partir de là son style se trouve un peu changé par l’arrivée d’une guitare électrique, d’un violon ou d’un arrangement plus chiadé ( – j’allais dire pop folk, ooh -). Mais quelques bons titres sortent du lot !
Accro à l’alcool et à diverses drogues, il se bat aussi contre des troubles schizophrènes (depuis l’adolescence), ce qui l’éloigne un peu d’un succès médiatique. Certains disent qu’il se tire une balle dans le pied en choisissant la marginalité. Une citation du chanteur résume assez bien son processus de création : « Si je me trouvais à bord d’un bateau sur le point de couler, je serais prêt à composer une chanson, tout en sachant que personne ne l’écouterait jamais. »
Jusqu’en 1996 il continue à se produire sur scène et sort quelques disques sur lesquels il s’entoure parfois d’autres musiciens. Dans les années 80 il croise notamment Calvin Russell et joue avec Willie Nelson (encore des Texans !). L’album At my window sort en 1987. Road Songs (Live) en 1994 (il y reprend Dead Flowers des Stones). La même année, paraît son dernier opus, No deeper blue. Bien différent de ses débuts, j’ai une tendresse particulière pour cet album. La voix a bien vieilli. Il est à ranger à côté de celui, posthume, de Johnny Cash.
Un artiste immortel
Parallèlement (et après sa mort) sortent plusieurs compiles, collaborations, lives, etc … On a même déterré des titres inédits de 1967 (In the Beginning – 2003 -). Ecoutez Black crow Blues, et ne me dites pas que Lennon a tout inventé.
En 1996, un projet d’album avec Steve Shelley (Sonic Youth) meurt dans l’œuf à cause de son état de santé physique et psychologique. A la fin de l’année, une chute dans les escaliers l’emmène à l’hôpital où il se fait opérer pour plusieurs fractures. De retour chez lui à Smyrna, Tennessee, il meurt d’une crise cardiaque le 1er janvier 1997.
Le quotidien Libération publie un bel article , le 7 janvier 1997, quelques jours après la mort de Townes Van Zandt. Le journaliste Serge Loupien cite Steve Earle, ami et « disciple » de Townes : « Townes Van Zandt est le meilleur auteur de chansons du monde . Et je suis prêt à escalader la table de nuit de Bob Dylan avec mes bottes de cow-boy pour le lui dire en face. »
Ps : Envie de chialer un bon coup ? Damned, je vous avais prévenu ! Alors pour finir de plomber l’ambiance, et si vous aimez TVZ, courrez écouter Jackson C. Frank, autre poète déprimé (lui n’a sorti qu’un album, en 1965, avant d’être interné).
Allez, un petit whisky et au lit !
J’adore Townes Van Zandt, et j’adore Jackson C.Franck !
Merci W. L’objectif est de faire partager les belles découvertes même si elles sont parfois tardives !