Le 12ème album de The Divine Comedy -on pourrait dire de Neil Hannon-, Office Politics, sort le 7 Juin chez Pias, 3 ans après Foreverland, pas forcément mon préféré mais celui qui, paradoxalement, avait valu les meilleurs classements dans les charts. Autant le dire tout de suite, la 1ère écoute de l’album m’a un peu dérouté: l’album partait dans différentes directions musicales, manquait de cohérence apparente et plusieurs titres , notamment les deux premiers, ne « sonnaient » pas The Divine Comedy….classique! Et alors? Si Neil Hannon, 30 ans après la première mouture de The Divine Comedy (Neil Hannon n’avait alors que 18 ans) voulait aussi faire preuve de liberté musicale, fallait-il le condamner? Non! Alors, plusieurs écoutes (tant mieux!) sont nécessaires pour s’approprier l’album et en extraire la substantifique moelle!
Neil Hannon avait annoncé la tonalité de l’album Office Politics: « Les principaux personnages sont des machines. Des machines qui font ceci, des machines qui font cela. des machines qui vont tous nous étouffer dans notre sommeil ». Ainsi, le disque se voulait délibérément le reflet d’une époque tourmentée, explorant le sujet de la dépersonnalisation, des fantômes errant dans la machinerie de la vie moderne mais en y mettant de l’humour et de l’émotion comme Neil Hannon a su souvent nous y habituer. Il dit d’ailleurs, non sans humour et exagération là aussi, « les chansons et les personnages qui composent l’album arrivaient tellement vite que je ne pouvais pas suivre »!
Le titre « Queuejumper » qui ouvre l’album (et la video qui l’accompagne) reflète tout cet humour avec un Neil Hannon qui se met lui même en scène. Le titre, Resquilleur-celui qui passe devant tout le monde, lui a été inspiré à la suite d’une collision évitée de justesse avec une BMW qui fonçait sur l’autoroute en Irlande. Le tire de l’album, intrigues de bureau, doit être ainsi compris de façon beaucoup plus large qu’une vie et des relations de bureau. C’est plus d’une vie codifiée (de ses règles et contraintes) dont il va être souvent aussi question. Dans le 2ème titre, qui donne son titre à l’album, on rencontre un banquier, Sir Hillary Oldmoney (!) qui se souvient du temps où l’on pouvait se servir de sa position pour obtenir ce que l’on voulait! Le rythme et la tonalité du morceau surprennent au début, mêlant funk et parfum de rap et on s’habitue vite; Neil Hannon a le droit de nous surprendre et cela fait du bien!
A travers le 3ème titre, « Norman and Norma« , Neil Hannon raconte l’histoire d’un couple banal dont il nous dit: « Je ne voulais pas que ce couple évolue discrètement dans cette nuit et je voulais avoir une raison derrière le choix des prénoms »…avant d’ajouter « Je me suis rendu compte qu’ils pouvaient trouver une nouvelle profondeur et une nouvelle vie en rejoignant l’une de ces sociétésde reconstitution historique. La vision de Norman et Norma portant des casques, des cottes de mailles et se livrant à des combats médiévaux, assoiffés de sang, m’a fait sourire ». (voir la 2ème partie du clip video). C’est un très beau titre , d’un Divine Comedy plus…classique, qui va rassurer les « vieux » fans.
« Absolute Obsolete » a été l’un des premiers titres terminés pour cet album. Il est centré sur l’idée que « nous vivons tous dans ce monde de l’heure H, où notre identité n’est plus attachée à notre vocation de toute une vie, puisqu’il n’y a plus de vocation de toute une vie »! Un rappel à la réalité pour ce titre funky avec un air de Bowie ou de Scott Walker (que l’on retrouvera sur d’autres titres de la deuxième moitié d’album). Il faut rappeler que si Scott Walker fût un modèle pour Bowie (voir mon article), il était un « Dieu, donc immortel » pour Neil Hannon.
« Infernal Machines » est bien dans l’esprit thématique de l’album: le rythme de Shuffle Glam electro soutient le propos de Neil Hannon qui veut nous expliquer comment l’automate a sous traité quasiment tous les aspects de nos vies. J’aime bien le titre suivant, « You’ll never work in this town again » à l’orchestration jazzy riche: construit autour d’un sample de « Bim, bamb, Boom! » (Enlloro/Voodoo Moon) de Percy Faith and his Orchestra, il explore la contradiction entre le désir d’automatisation et le chomage en découlant.
« Psychological evaluation« , le titre le plus court de l’album, va dérouter plus d’un « vieux » fan. Neil Hannon se sent libre, inspiré par Kraftwerk, et se livre à un dialogue avec la machine et il évoque un certain nombre de groupes qui l’ont marqué: très intéressant après plusieurs écoutes. Voilà un bel exemple de l’audace de Neil Hannon sur cet album. Par contre, j’avoue avoir du mal avec « The Synthesiser Service Centre Super Summer Sale« , titre construit à partir de 2 expressions notées dans le carnet de Neil Hannon…..un des deux titres dispensables de cet album. La 2ème moitié de l’album est somptueuse (à l’exception d’un 2ème titre moins convaincant, « Philip and Steves Furniture removal Company » où Neil Hannon imagine ce que Philip Glass (vu récemment à Nantes , voir article) et Steve Reich auraient pû inventer si l’on leur avait commandé le thème musical d’une sitcom appelée précisément « Société de déménagement Philip and Steve »….Là, le pari musical original (avec système répétitif cher aux deux inspirateurs) s’avère plus risqué .
Evoquons plutôt tous les bijous contenus dans cette 2ème moitié d’album. Plusieurs titres vont, à nouveau nous faire penser à Bowie et Scott Walker. « The Life and Soul of The Party » est un de mes titres préférés avec un parfum vocal indéniable de Bowie et une rythmique me rappelant PinK Flyod (Another Brick in The Wall). Dans « A Feather in your Cap » on retrouve Neil Hannon avec beaucoup de douceur pour dire adieu à une ex. Neil Hannon l’a enregistré in extremis (il avait déjà donné la maquette de l’album, la veille, à son manager). « I’m a Stranger Here » est magnifique d’un point de vue musical et d’une beauté (tristesse?) absolue : reflet d’une pop un peu baroque qui va à nouveau rassurer les fans , le titre évoque celui qui se retrouve étranger, marginalisé par les innovations qui étaient censées rendre la vie quotidienne plus facile mais ce titre peut évoquer aussi le migrant perdu dans le pays où il est arrivé.
« Dark Days are here again« , encore un très beau titre, a été composé alors que Neil Hannon était en tournée en France (je l’avais vu à Nantes une dizaine de jour plus tôt) et il s’est réveillé (le 3 Novembre 2016, ndlr) en apprenant l’élection de Trump; Neil Hannon raconte: « Le ciel était d’un gris métallique apocalyptique…Non seulement ça évoquait la fin du monde, mais ça y ressemblait »! « Opportunity’Knox« , avec ses chorus très réussis, voit un certain Mr Knox, voulant obtenir une promotion, liquider…..le héros d’un titre de l’album Absent Friends de 2004. (indice précieux dans la video ci dessous!).
Mr Knox va, au nom de son ambition, liquider…….
Les deux derniers titres sont parmi les plus belles réussites de l’album; notes de piano superbes pour introduire « After the Lord Mayor’show » à l’orchestration à la fois riche et sobre. Le titre de clôture , « When the working day is done » est une pépite qui boucle aussi la thématique de l’album: le retour du travail qui aliène. Avec à nouveau des choeurs et une orchestration pop baroque, ce pourrait être un dernier hommage musical à …Scott Walker.
Bilan?…14 titres sur 16 sont bons voire très bons! Je laisserai le dernier mot à Neil Hannon pour nous éclairer sur le contenu de cet album où il s’est libéré, lâché : « Je ne voulais surtout ne pas avoir à soustraire toutes les bizarreries. Quand tu fais un album court, il ne reste jamais assez de place pour les élaborations mentales » (ITV à Magic n°215). A vous de juger si la pari audacieux est gagnant; Pour moi, il l’est!
The Divine Comedy (sans doute à 5 musiciens) seront en concert cet automne: 5 dates en France!