Des chansons, introduites par des rythmiques aux accents trompeusement bancals, se développent le long de lignes de basse que ne renierait pas Peter Hook. Des sons de synthés aigrelets qui pourraient vaguement évoquer un Stranglers low-cost, ainsi qu’une guitare acoustique, viennent habiller les arrangements dépouillés qui soutiennent une voix aux mélodies entêtantes et au timbre qui n’est pas sans évoquer, comme l’ont remarqué de nombreux chroniqueurs, Morissey ou encore Jarvis Cocker.
Bien que les textes soient dans la même veine romantique, l’ambiance est plus sombre que «The desert of wasted time», le précédent opus de Somehow. Plus mature aussi, «Hidden memories» s’ouvre sur un « Meet me at the western point » où une boite à rythme aux sonorités très 80 et un mélodica étrangement désuet, créés immédiatement l’impression d’entrer dans un univers unique qui sait aussi se jouer de sa propre particularité. Il y a un recul et une dérision qui ajoutent comme un autre axe, une abscisse supplémentaire, enrichissant la lecture de cette musique en lui conférant du relief. On va retrouver cette tendance au décalage et ce côté brit-pop plutôt The Smith que Blur, tout au long des neufs compositions de l’album. C’est dans le placement rythmique des lyrics et certaines intonations, que le rapprochement avec le combo mancunien et son chanteur écorché vif se fait encore plus flagrant, comme sur le refrain d’ « A man and a diving soul ». Ian Curtis n’est pas loin non plus. Le tout est délicatement enrobé des notes du violoncelle d’Aurélie Tremblay et accompagné par sa voix en backing. La chanteuse vient en contre-point ou en contre-chant répondre à celle du musicien.
Le clip de « While the days go by», dans une veine réaliste, très Larry Clark.
Erwan Pépiot, qui se cache derrière Somehow, fait parti de ces artistes qui concoctent leur cuisine musicale dans leur home-studio. Peut-être est-ce la raison d’un choix d’une pop lo-fi lorgnant parfois vers They Might Be Giants. Il en va ainsi, par exemple, du morceau « All the ways are leading to you » qui débute comme une berceuse, avec son rythme ternaire et son synthé rappelant un peu « Golden brown » version midi. Les voix d’Aurélie et Erwan, qui d’abord entament un dialogue, viennent ensuite se superposer. « Someday » apporte un vent de folk britannique sur ce qui est peut-être le plus « smithien » des morceaux de l’album.
Reconnaissant ouvertement l’influence de Joy Division ou encore de Belle and Sebastian, le musicien délivre une pop minimaliste très personnelle et envoutante. Et, malgré la revendication d’influences cold wave marquées, l’ensemble dégage plutôt une atmosphère (tient, un titre de Joy Division…) détachée, parfois presque joyeuse. Et cela aussi en dépit de textes plutôt sombres. Somehow est une catharsis qui tente d’exorciser les blessures laissées par les errements du destin ou la trop grande conscience de fragilité du moment, des instants suspendus ou peut-être le poids d’un passé trop présent. On y décèle un dialogue entre l’auteur et son double, ou un/une interlocuteur. trice à qui il rappellerait des souvenirs de moments partagés, enfouies dans les méandres d’une mémoire qui se refuserait à émerger au détour d’un bilan commun nécessaire.
Autant le dire, c’est un disque qui va se chercher. Pour autant, il serait vraiment dommage de passer à côté, tant, une fois conquis, on a qu’une envie, c’est de se le passer en boucle. On ne se l’approprie certes pas du premier coup, comme un.e fille/garçon facile. Non. L’album est bien de ceux qui se ré-écoutent et gagnent en profondeur à chaque passage. Si on ne se laisse pas accrocher immédiatement, les morceaux s’insinuent insidieusement dans la tête et finissent par ne plus vous lâcher. La voix vient vous hanter, et l’émotion se constitue au fur et à mesure que l’on se plonge de plus en plus profondément dans la musique. Mais une fois immergé dans cet univers sonore, il est difficile de s’en défaire. L’ensemble créé un cocktail addictif qui, j’en suis persuadé, va séduire un public de plus en plus large. C’est également à cela que l’on reconnaît une véritable création artistique, de celles qui vont durer : elle semble vous laisser indifférent, puis vous vous rendez-compte que votre esprit revient sans cesse dessus.
À tel point, que le morceau « Meaningless thoughts in dark times » qui termine l’album nous donne l’impression d’être abandonné en rase campagne dans cet univers que nous avons partagé pendant trente cinq minutes avec l’artiste. Il laisse après coup comme un arrière-goût de pas assez. On souhaite vivement que Somehow soit une fleur qui s’épanouisse et ne meure pas tout de suite, tellement cette pop peu orthodoxe diffuse du plaisir une fois apprivoisée.
Entretien avec Somehow/Erwan Pépiot :
Bonjour Erwan, tout d’abord, peux-tu nous faire une petite présentation de ton parcours musical (groupes, rencontres…). Peut-être as tu des influences qui ne sont pas seulement musicales, du cinéma, de la littérature…
J’ai eu la chance d’être bercé par le rock indépendant (au sens large) dès mon plus jeune âge, grâce à deux grands frères mélomanes. C’est grâce à eux si j’ai pu tenir très tôt une guitare entre mes mains. J’ai ensuite commencé à jouer dans de petites formations pop/rock locales (dans le 27 où j’ai grandi) dès le tout début de mon adolescence. Puis j’ai été batteur pendant deux ans dans un groupe indie-rock durant mes années lycée (un projet appelé End).
En parallèle, j’ai commencé à 16 ans à travailler chez moi sur des morceaux en mode « DIY» (Do It Yourself, N.d. A.), avec un petit 4 pistes (un Korg PXR4, pour l’anecdote, que je me suis payé grâce à job d’été). Je n’ai depuis jamais cessé de travailler de cette manière, car elle me garantie une liberté artistique totale.
Cela s’est d’abord concrétisé avec la sortie d’un album très lo-fi, paru sous mon vrai nom en 2006 «Erwan Pépiot – Over the Raindrops»). D’abord en autoproduction, puis réédité l’année suivante sur un label indépendant lillois (Ohayo Records). Il est désormais disponible sur Bandcamp.
J’ai ensuite dû mettre la musique entre parenthèses pendant quelques années afin de mener à bien mes (longues) études. A partir de 2014, je me suis sérieusement remis à composer, désormais accompagné au chant par Aurélie, ma compagne. Cela a donné lieu à l’écriture et l’enregistrement d’un nouvel album « The Desert of Wasted Time » sorti début 2016 en autoproduction.
Au second semestre 2016, nouvelle immersion en (home-)studio où j’ai écrit et enregistré l’album « Hidden Memories », toujours avec Aurélie, dont la voix a désormais un rôle prépondérant. Cette fois-ci, ayant pris conscience des limites de l’autoproduction (notamment pour l’exposition médiatique), j’ai souhaité démarcher quelques labels. C’est là que j’ai fait la connaissance d’Alex, de Toolong Records, qui a été très enthousiaste et m’a immédiatement proposé de sortir le disque. C’est un label indépendant basé à Toulon, qui gagne vraiment à être connu. Malgré des moyens limités, ils sont très investis dans le projet et font du super boulot.
Concernant les influences extra-musicales, j’ai été très marqué par les auteurs surréalistes et le théâtre de l’absurde durant mon adolescence. Cela se ressent probablement dans les textes de certaines chansons. Au plan cinématographique, je suis un grand fan de Kubrick, Carpenter et Kiyoshi Kurosawa, pour ne citer qu’eux.
-Tes textes sonnent pour moi comme des dialogues, notamment grâce aussi à l’apport de la voix d’Aurélie qui te répond souvent. Comment abordes tu leur écriture?
Les premières bribes de texte viennent souvent spontanément en même temps que la musique, lors de sessions d’improvisation. La suite vient d’abord sous forme de mélodies vocales vides de sens. J’écris le texte dans un second temps pour le « plaquer», sur ces mélodies. J’accorde beaucoup d’importance à la sonorité des textes. Ils sont volontairement assez abstraits, même si certaines thématiques sont assez transparentes (le temps qui passe, les attentes déçues, la fuite, l’absurdité de l’existence, etc.). Il y a également un sous-texte politique / révolutionnaire sur plusieurs chansons, telles que «Meet Me at the Western Point» ou encore «Red Butteflies», que j’ai écrite pendant l’incroyable bouillonnement du printemps 2016 (mouvement contre la loi travail, Nuit Debout…).
L’échange et l’articulation entre les deux voix (celle d’Aurélie et la mienne) est effectivement essentiel, surtout sur ce dernier album. J’ai généralement une idée initiale pour les harmonies et les passages solo d’Aurélie, puis elle y apporte ensuite sa touche et les fait évoluer.
-Comment envisages tu l’avenir de ta musique?
J’ai commencé à travailler sur la suite depuis quelques semaines. L’approche est toujours la même : ça sera du DIY, fait dans mon home-studio. Avec ses avantages (la liberté artistique et un son singulier) mais aussi ses limites : comme tu le fais remarquer dans ta chronique, le côté lo-fi peut parfois rebuter à la première écoute. Je pense que c’est d’ailleurs une des raisons pour lesquels le projet reste assez underground malgré une bonne réception critique.
Bref, on n’en est qu’aux balbutiements pour le moment, mais si tout va bien, j’espère sortir un nouvel album en 2019. Avec pourquoi pas un single qui pourrait voir le jour dès la fin de cette année.
-Merci Erwan.
-Merci.
https://somehow.bandcamp.com/