Il est grand temps de corriger une énorme injustice ! j’ai adoré le dernier album de Rone, Mirapolis, je l’ai même mis dans mon top de l’année 2017, mais je n’ai pas eu la courtoisie de vous en proposer une découverte un peu plus fouillée.
Rattrapons dès à présent le temps perdu ! Mirapolis est le quatrième album studio de ce talentueux producteur et compositeur de musique électronique qu’est Erwan Castex, alias Rone. Pour votre culture générale, et afin que vous puissiez faire les marioles avec vos amis, le pseudonyme, Rone, est lié à une faute de frappe. Initialement, cela aurait dû être R.One, mais des types, un peu distraits, ont publié des flyers avec la typo Rone…Erwan Castex a décidé de conserver ce nom de scène. Voilà, grâce à weirdsound vous repartez avec une anecdote qui fera de vous quelqu’un de brillant, que l’on a envie de côtoyer en société !
Revenons-en à la musique. Rone s’est lancé en 2008, avec la sortie de son premier EP, Bora, sur le label Infiné. Très rapidement, le premier album de Rone sort, aussi chez Infiné, il s’agit de Spanish Breakfast. Les critiques musicales sont dithyrambiques, Rone est propulsé au rang de prodige de la musique électronique made in France. De Telerama à Trax en passant par France Inter et le nouveau chasseur français, tout le monde y va de son compliment ! S’en suit alors une grande tournée, en France et à l’étranger, avec toutes les étapes obligées du petit monde de l’électro : Astropolis (Brest en France), Sonar (Barcelone en Espagne), Berghain (à Berlin en Allemagne).
Spanish Breakfast est une bonne entrée en matière pour celui qui voudrait découvrir Rone. On y trouve déjà ce qui, à mes oreilles, représente l’architecture de l’album typique de Rone : c’est lumineux, aérien, planant, mais en même temps bien rythmé, et vous pourrez danser là-dessus ! Spanish Breakfast est un manifeste pour l’introspection musicale. Dès les premières notes de l’album, vous êtes transportés dans un monde imaginaire. Une impression que je ressens sur tous les albums suivants en fait…Le morceau Spanish Breakfast démontre tout le talent de Erwan Castex : ça part dans tous le sens, mais ce joyeux bazar est incroyablement bien maitrisé, et surtout incroyablement bon ! Aya Ama, avec ces deux parties bien distinctes, se déguste facilement, la séquence un plus péchue s’invitant sans prévenir et surprenant l’auditeur perdu dans sa rêverie.
Difficile de faire l’impasse sur le morceau Bora, qui mérite largement les éloges reçus au moment de la parution de l’EP. Alain Damasio, ami de longues dates de Erwan Castex, met en musique un de ses textes. Au début, ça paraît surprenant, mais l’impératif besoin de liberté, lié aux paroles et à la musique de Rone, vont vous plonger dans une contemplation onirique dont vous aurez bien du mal à revenir. Sans trop m’étendre sur Spanish Breakfast, goutez donc à Tasty City : comme son nom l’indique, c’est savoureux et ça a un goût de revenez-y !
L’année 2009 est aussi marquée par la sortie en format EP de La Dame Blanche, tiré de l’album Spanish Breakfast sur lequel on trouve la collaboration de Tyler Pop (LCD Soundsystem) et Clara Moto (DJ autrichienne, elle aussi présente chez Infiné depuis une dizaine d’années). Le morceau dure sept minutes, ça sera du temps bien investi si vous cliquez sur le lien ci-dessous.
Après ce premier album très réussi, Rone se remet au travail et il revient en 2012 avec son second album, Tohu Bohu. Croyez le si vous voulez, cet album est lui aussi porté aux nues par la presse musicale ! Rone est intronisé meilleur artiste français de l’année par le magazine Trax, et le disque cartonne un peu partout sur la planète.
Il faut dire que Tohu Bohu a de sacrés arguments ! C’est doux, contemplatif, une véritable invitation au voyage que Beaudelaire n’aurait pas renié. Une touche de mélancolie apparaît de temps en temps, peut être liée à l’introduction du violoncelle de Gaspar Claus sur le morceau Icare, mais le mot d’ordre de Tohu Bohu est : Plénitude ! Fermez les yeux, mettez votre casque sur les oreilles et prenez un vol direct pour un monde imaginaire dont Rone est le talentueux architecte. Hormis sur Let’s Go, où chante le rappeur High Priest, il n’y aucunes paroles. C’est reposant. L’invité d’honneur c’est votre propre cerveau, qui va, à coup sûr, s’autoriser des divagations imprévues ! Tohu Bohu est un album qui devrait être obligatoire dans toutes les discothèques, un des rares albums où je m’autoriserai un brin de subjectivité en vous affirmant que si vous ne l’avez jamais écouté vous avez loupé votre vie ! Tohu Bohu c’est 47 minutes de bonheur dont vous auriez bien tort de vous privez !
En 2013, les dates et les festivals s’enchainent, avec un passage remarqué à L’Olympia à Paris, ainsi qu’au festival des Vieilles Charrues. C’est aussi l’année de la première tournée aux USA de Rone, avec une date au festival américain de Coachella en prime.
Le morceau Sing Song, présent sur Créatures – LE morceau emblématique du troisième album de Rone – A visionner sans modération.
Le troisième album de Rone, Créatures, sort en février 2015. Celui-ci est étoffé de nombreuses collaborations : Etienne Daho, Bryce Dessner (leader et chanteur de The National) pour ne citer qu’eux… Chaque morceau de Créatures a sa vie propre, échappant au contrôle de l’artiste qui les a imaginé ! Rone les fait sortir de son chapeau de magicien musical, et les laisse se promener en liberté. Liberté, c’est sans doute un mot qui convient bien pour dépeindre un album comme Créatures. Après une longue introduction sur 00, on embarque dans un voyage relaxant à tendance expérimentale (Ouija), qui se démarque un peu des précédents opus du fait de la prépondérance des featuring. Sur Calico Texas, Erwan nous emmène dans un Orient fantasmé, tandis que la voix de Etienne Daho, sur Mortelle, nous happe littéralement dans un tourbillon de sonorités aquatiques. Mention spéciale à Sing Song, morceau jouissif dont Rone a le secret. A travers l’album Créatures, Rone nous offre une expérience très différente de Tohu Bohu, ça sonne toujours comme du Rone, avec une carte blanche donnée à l’expérimentation. Créatures est sans doute moins facile d’accès que Tohu Bohu ou bien Spanish Breakfast, mais vous auriez quand même bien tort de passer à côté…
Le clip de Quitter la Ville en collaboration avec François Marry, le chanteur de François & The Atlas Mountains : un régal pour les yeux et les oreilles – présent sur l’album Créatures.
On arrive en 2017 ! Rone entame l’année avec une date à la Philharmonie de Paris en janvier, où il convie à ses côtés de nombreux invités : John Stanier, batteur du groupe Battles (dont on finira bien par parler ici un jour !), François Marry (dont nous avons parlé un peu plus haut), le groupe Vacarme…bref, du beau monde ! En mars, il est fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres (à 37 ans c’est la classe !).
Le quatrième album, Mirapolis finit par pointer le bout de son nez en novembre, pour le plus grand plaisir des amateurs de musique électronique ! Lorsque l’on découvre cet album, le premier point qui attire l’attention, c’est la pochette. Imaginée, excusez du peu, par Michel Gondry, cette dernière annonce la couleur : on va en prendre plein les yeux, et visiblement tout ça sort encore de l’imaginaire d’un drôle de petit mec avec des lunettes (Erwan ?). Le nom Mirapolis, fait allusion à un parc d’attraction à l’abandon situé en région parisienne, devant lequel le jeune Rone passait régulièrement avec ses parents, imaginant tout un tas de choses derrière les grilles du parc. Si on s’était croisé, j’aurais pu lui répondre, un hasard fait que j’ai parcouru le parc à l’abandon pour tout à fait autre chose que la musique (je ferme la parenthèse sur ma vie passionnante).
Carlos était le parrain du parc Mirapolis : si il avait rencontré le jeune Rone, la carrière de ce dernier aurait-elle été différente?
Le mec a l’imaginaire fécond, on le savait déjà ! Mais là il se surpasse. Ca commence sur le morceau I, Philip, clin d’œil à Philip K.Dick, auteur renommé de livres de science-fiction. Son introduction et sa montée progressive sont comme un décollage en avion : ça y est on part de nouveau en voyage avec Rone (et c’est une bien meilleure compagnie que Easyjet !). On continue avec Lou, sans doute un de mes morceaux préférés. On y entend la voix de la fille Rone imitant le cri du loup, c’est beau et touchant, d’une humanité profonde. Tout autre commentaire me semblerait superflu et vain : c’est B-E-A-U !
Notre affaire se poursuit avec Faster, morceau qui dénote un peu (selon moi) avec la participation du rappeur Saul Williams. C’est un règlement de compte bien comme il faut concernant l’actuel président américain. Faster serait-elle une petite pause, défouloir pour notre musicien si discret d’habitude ? On replonge dans quelque chose de plus contemplatif sur Spank, morceau agréable et planant (on ferme les yeux et on s’imagine réincarné en mouette au-dessus de Belle Ile en Mer : c’est une suggestion !). Arrive alors Switches, morceau chanté par Baxter Dury, fils de l’illustre Ian Dury (leader des Blockheads, excellent groupe de punk rock sur lequel nous devrions écrire). Le fiston du type qui a inventé la devise Sex, Drugs & Rock N Roll, s’en sort plutôt bien ! Avec le recours de cuivre et de chœurs féminin, Switches pose une douce mélancolie qui pourrait durer un petit moment s’il ne fallait pas passer à Origami !
Origami, c’est de la sacrée bonne camelote ! Vous allez bouger vos petits derrières là-dessus (et je ne veux pas entendre parler de goutte ou d’arthrite). Tout ce qu’on peut faire sur un synthé y passe, et c’est sacrément bon. A peine remis de ce moment d’allégresse, voilà que nos oreilles se font masser par l’excellent Wave….nous sommes bercés par la voix sensuelle de Noga Erez ( chanteuse israélienne sur laquelle on devrait écrire aussi , écoutez Off The Radar si vous ne me croyez pas sur parole!).
Brest est le morceau suivant sur le menu, son nom est une référence au festival Astropolis de Brest où Rone a eu l’occasion de se produire. Après une montée assez longue, le morceau se révèle avec une puissante décharge, intimement liée à la batterie de John Stanier (Battles). Everything nous tombe dessus à l’improviste, toujours avec Saul Williams au chant. Je suis un peu plus partagé sur ce morceau, pas forcément très joyeux.
Ceci étant, ce qui suit est juste mortel ! D’abord un petit interlude, Zapoï, qui nous prépare au morceau éponyme de l’album, Mirapolis. Cinq minutes et cinquante-huit secondes de bonheur, où se rajoutent progressivement des boucles d’instru, le tout avec une maestria digne d’un Jean Sébastien Bach de l’électronique !
On arrive déjà la fin de l’album (merde j’ai vendu la mèche). La conclusion est superbe, Down for the Cause, où Kazu Makino prête sa voix pour l’occasion. C’est super entrainant, là encore vous aller secouer la tête comme une andouille dans les transports en commun…C’est mon cas, j’assume ! La musique stoppe, on en voudrait plus…le retour à la réalité va être douloureux pour certains.
Vous aurez aisément compris que Mirapolis est un album qui m’a enthousiasmé. Et encore, c’est un euphémisme ! Rone est sans doute l’un des meilleurs représentants de l’électro française, depuis une décennie, il nous régale à chacune de ses sorties. Mirapolis plaira aux fans inconditionnels de ce petit breton à lunettes, et pour ceux qui ne connaîtraient pas encore : mais qu’est-ce que vous attendez bordel ???
Rone est en concert un peu partout en France en ce moment, nous aurons le plaisir d’aller l’écouter au Lieu Unique à Nantes le 31 mars prochain, puis au Printemps de Bourges le 27 avril. J’espère que nous aurons l’occasion de discuter un peu avec cet artiste attachant et surtout bourré de talent.