Il est libre Paul Weller
Depuis 2004, le Modfather, chanteur des Jam, le leader du new soul Style Council (petit clin d’œil dans cette playlist) sort des albums à intervalles réguliers. Si ils ne sont pas tous indispensables, ils sont loin d’être de mauvaises productions. Chacun d’entre eux renfermant au moins une pépite au sein de titres tout à fait honorables. Ne s’enfermant plus dans un style, le musicien tente toujours des escapades expérimentales. Sans pour autant briser les codes, il mêle avec bonheur les musiques contemporaines et ses influences soul et rock. Paul Weller s‘est en effet essayé à de nombreux styles : rock, soul, funk, pop, electro… Il avoue que si ses goûts le portent de plus en plus vers les musiques d’avant-garde, il reste très attaché aux artistes et genres qui l’ont construit. Et les compositions de son dernier opus, On Sunset, ne démentent pas cette déclaration.
On Sunset est un album sérotinal (petit Robert)
Miror Ball qui ouvre somptueusement cet album débute avec des nappes électroniques planantes sur lesquelles vient se poser la voix du chanteur, en mode presque lyrique (j’exagère un peu…), donnant une ampleur grandiose à cette entrée en matière. Le titre de sept minutes évolue ensuite vers un disco-funk très 80, pour s’interrompre sur des plages de bruitages champêtres ou des sons de foule, alternant, les reprises avec solo de guitare, échappée funkisante et final mélancolique. Un bijou. En 2019, il donnait deux concerts appuyé par un orchestre symphonique. L’expérience lui a conféré une certaine assurance, au moins suffisante pour se lancer dans des arrangements de cordes, comme le montre le très beau titre More qui mixe les influences, ou les belles envolées de corde de Rocket. Et cela sans renier ses premières amours musicales.
Comme un coup d’œil nostalgique par dessus l’épaule
En effet, l’ombre de la Motown et des Temptations, et peut-être plus encore celle de Curtis Mayfield, planent sur ce morceau dont le final en jam (l’improvisation, pas le groupe de mr Weller) s’étire sur trois minutes avec interventions de cordes, de cuivres, soli de guitares… More c’est aussi la collaboration de Julie Gros du groupe Le Superhomard pour une courte intervention en français. Baptiste confirme bien l’orientation « old soul » avec son côté très Otis Redding : guitares à la Steve Cropper, orgue à la Booker T. Et, si la volonté de revenir à une soul des débuts est manifeste, il n’en reste pas moins que la plupart des compositions intègre un côté électro, voir parfois presque RNB tel le début de Earth Beat, ou quasi dancefloor comme l’intro de Old Father Tyme . On retrouve d’ailleurs sur ce dernier, son compère du Style Council, Mick Talbot qui vient poser ses nappes d’orgue Hammond. Jetant un regard sur sa carrière et son passé, le musicien se livre à une réflexion douce-amère sur le passage du temps et le prix à payer pour arriver au soir de la vie. L’artiste avoue d’ailleurs que le morceaux titre lui est venu après une visite dans le quartier du Whisky-a-gogo à L. A. En revenant dans le secteur plus de quarante ans plus tard, il n’a pu s’empêcher de repenser aux vieux amis et amantes. L’ensemble de l’album distille, il est vrai, une ambiance quelque peu crépusculaire. Non pas triste, mais un peu mélancolique. Comme si ce coucher de soleil évoquait le soir de la vie, le moment où l’on fait le bilan. On Sunset.
Le défi du songwriter Paul Weller
Les fantômes du passé sont également réapparus avec la signature chez Polydor qui fut le label du succès avec The Jam. Paul Weller parle de son dernier album comme d’un disque ensoleillé. Il se considère privilégié et surtout libre de toute contrainte. Il est vrai qu’à 62 ans, avec la carrière qu’on lui connait, il ne lui reste rien à prouver. Il peut parfaitement s’affranchir du poids du jugement d’autrui. En se tournant vers son héritage musical comme sur son passé plus personnel, l’artiste a aussi voulu se mesurer aux grands songwriter qui l’ont accompagné et influencé.
Mais peut-on vraiment se mesurer au géant qu’est Sir Ray Davis ? À défaut de prétendre l’égaler, c’est au moins un hommage ou un clin d’œil à celui qui l’a grandement influencé dans sa jeunesse auquel se livre Paul Weller. Avec Equanimity, le chanteur guitariste pioche dans le folk rock teinté de britishness des kinks période Muswell Hillbilly ou Village Green. On y retrouve cette atmosphère qui dans l’esprit des Britanniques doit représenter l’Angleterre rêvée, un peu bucolique, chaleureuse et nostalgique d’un passé rural fantasmé. Pour appuyer encore cette impression, il s’est adjoint les services d’un autre musicien anglais de cette époque au violon en la personne Jim Lea qui œuvra à la basse, à la guitare, au violon et aux claviers chez Slade. On retrouve aussi ce sentiment dans la genèse du titre Village. Weller explique qu’il a voulu faire une réponse à ceux qui « nous racontent que l’on doit aller explorer l’Amazonie, escalader l’Everest pour s’accomplir. Et il y a ce gars qui dit: « mais merde, j’ai un paradis autour de moi! » (Rolling Stone)
Paul Weller n’a jamais eu en France le succès et la reconnaissance qu’il a outre manche. Il faut dire que les apparitions des Jam dans l’hexagone ne furent pas pléthore. Le Style Council eut son petit succès au début des années 80 grâce aux premières chaines et émissions de clips. Mais la reconnaissance du talent de songwriter du musicien est toujours restée l’apanage d’une minorité. Dommage.
Quoiqu’il en soit, le musicien peut sans rougir s’aligner auprès des Lennon, Mc Cartney, Davis, et autre Wilson. Le pari qu’il s’est fait est largement réussi. Et il va sans dire que les fans, tels que moi, le savent depuis le premier single des Jam, In The City.
On Sunset, le début d’une nouvelle ère?
En admettant qu’il commence à regarder le passé comme une personne qui prend de l’âge, Paul Weller se libère certainement des derniers carcans qui pouvaient brider sa créativité. Sans nostalgie, mais avec lucidité, il entre dans une nouvelle ère musicale, renouvelant sans cesse sa déclaration d’amour à la musique, à la vie, à la nature… Il avoue avoir apprécié le confinement, se rapprochant et profitant encore plus de sa famille, mettant ce temps libre (« c’est la première fois que je suis au chômage depuis 40 ans! ») à profit pour écrire de nouveaux titres et espérant ainsi enchainer un nouvel album dès l’année prochaine.
On Sunset a été enregistré au Black Barn Studios dans le Surrey, produit par Jan “Stan” Kybert et Paul, avec l’aide de Charles Rees. Les cordes ont été arrangées par Hannah Peel. Jan Kybert était absent sur les deux derniers albums, mais avait déjà posé sa patte de producteur sur Saturns Pattern, Sonic Kicks et bien d’autres albums de l’artiste depuis le début de sa carrière solo.
On Sunset est sorti le 3 juillet chez Polydor. il est disponible en streaming, vinyle et cassette. La version deluxe offre un enregistrement symphonique de On Sunset (le morceau) et un instrumental de Baptiste.