Les australiens de Amyl And The Sniffers reviennent pour un deuxième album, nommé Comfort To Me. En quelques années le groupe s’est taillé une sacrée réputation, étroitement liée à leurs performances explosives sur scènes. En à peine cinq ans ils sont devenus la figure emblématique de la scène punk australienne, aux cotés de Tropical Fuck Storm, The Chats et Hexdebt. Nous attendions donc avec impatience ce nouveau disque…En espérant ne pas être déçu, comme se fut mon cas avec le second album de Shame sorti en début d’année.
Amyl Taylor et ses sbires – le guitariste Dec Martens, le bassiste Gus Romer et le batteur Bryce Wilson – ont écrit Comfort To Me pendant la pandémie, en se mettant en quarantaine ensemble dans la même maison. Une retraite forcée, qui a sans doute permis de prendre plus de temps pour affiner les chansons, en tout cas plus qu’ils ne l’avaient fait pour leur premier album. « Le nihilisme, vivre dans l’instant, la positivité…ces émotions étaient toujours là, mais c’était mieux contrôlé« , dit Taylor au sujet de cette période de composition. Il en résulte ce second disque, sans doute plus travaillé mais aussi plus sombre que celui de leurs débuts.
Comfort To Me est sorti le dix septembre dernier sur les labels Rough Trade Records et ATO Records. Les quelques photos présentes dans cet article sont l’oeuvre de votre dévoué serviteur, elles ont été prises lors du passage du groupe au Printemps de Bourges en 2019.
Amyl et la recette du cheescake au vitriol
Une chose est sûre : Depuis leurs deux premiers EP et le premier album (2019), l’intérêt que suscite Amyl And The Sniffers dans notre contrée augmente de manière exponentielle. Chez weirdsound, on adore Shame, Idles et consorts, mais il faudrait pas croire que le courant punk ne prospère qu’aux environs de Londres! L’Australie est pleine de surprises de ce côté là, et pas mal de groupes commencent à bien s’exporter.
Le premier disque de Amyl And The Sniffers était vraiment jouissif, la voix de chat sauvage énervé de Amyl Taylor emmenait la joyeuse bande sur des rythmes proches de la tachycardie le tout en respectant toutes les règles du genre punk rock. Efficace et rigolo mais pas forcément très original. Annoncés au Printemps de Bourges édition 2019, le même jour que Lady Bird et Idles, je me suis empressé d’aller à leur rencontre. Quelle claque les ami(e)s! Ils ont bien failli voler la vedette à Idles, pourtant tête d’affiche ce soir là. J’ai amèrement regretté de ne pas avoir eu l’occasion de réaliser une interview avec eux!
Une chose est évidente, la force du groupe repose sur sa leader, Amyl Taylor. une parolière douée et une voix singulière que l’on reconnait dès les premiers instants. On rajoutera un charisme inné porté par une sensibilité à fleur de peau couplée à l’énergie primaire d’un volcan. En synthèse, un sacré personnage!
Vous l’aurez compris, qui dit force dit aussi faiblesse. Musicalement, le groupe a toujours revendiqué une approche simple et basique où la spontanéité et le plaisir sont maitres à bord. Les mélomanes avertis (et il y en a chez weirdsound) seront sans doute déçus. Amyl and The Sniffers c’est juste du bon vieux punk rock, avec trois accords et une batterie. Moi, la recette me convient, couplet/refrain avec des paroles marrantes + rythmes qui déboitent, je n’en demande pas plus. Plutôt qu’un long discours, une illustration ci dessous :
Confort To Me, un deuxième disque mieux maitrisé et plus introspectif
Courant 2020, alors que nous étions enfermés chez nous, le groupe annonce travailler sur un second album, pour mon plus grand plaisir. Dans une récente interview pour un journal australien, Amyl revient sur le processus de création de ce nouveau disque :
Le temps et la réflexion que j’ai consacrés aux paroles de cet album sont complètement différents de nos premiers EP et de l’album de nos débuts. La moitié des paroles ont été écrites pendant la saison des feux de brousses en Australie, alors que nous portions déjà des masques pour se protéger de la fumée dans l’air. Et puis quand la pandémie a frappé, nos options étaient les mêmes que tout les musiciens du pays : aller chercher un travail pour payer les factures, ou s’asseoir à la maison et se noyer dans l’introspection. J’ai fait ce second choix. J’avais toute cette énergie à l’intérieur de moi et nulle part où la mettre, parce que je ne pouvais pas jouer, et cela a eu un effet motivant sur mon cerveau. j’ai évolué et ma façon de penser le monde a complètement changé.
A peine l’écoute du disque commencée, vous vous rendrez compte du bond qualitatif fait par la production. Plus de moyens et d’attention ont été apporté à l’enregistrement de Comfort to Me, notamment du fait de l’intervention du producteur Nick Launay ( qui a, entres autres, travaillé avec Nick Cave, Anna Calvi et Idles). L’album ouvre sur Guide By Angels (ci dessous), une ode à la créativité et à l’énergie qui habitent Amyl! Son phrasé est toujours envoyé avec le débit d’une MG-42, et elle fait mouche.
Après ce bon démarrage, on enchaine avec Freaks to The Front, un morceau intéressant mais clairement pas le meilleur de l’album. D’une manière générale Comfort To Me présente deux aspects, complémentaires, à diviser entre punk revendicatif et l’histoire personnelle de Amyl Taylor. Dans la première catégorie on pourra ranger les morceaux Capital (brulot contre la classe politique australienne), Don’t Fence Me In (sur le droit des femmes). Ces titres sont assez convenus, dans le sens où on s’attendait à trouver ce type de chansons sur un album de Amyl And The Sniffers. C’est mordant et ça met des gifles aux maggots (autre titre du disque), comme prévu au programme! J’ai été cependant beaucoup plus attiré et séduit par les morceaux plus introspectifs de Taylor.
Dans la même interview que citée précédemment, elle revient sur la période de confinement total qu’a connu l’Australie et les effets sur sa psyché :
Etre enfermée à la maison en 2020 m’a fait réaliser mon manque de pouvoir sur les évènements. Ca m’a fait me sentir à la fois plus autodestructrice et paradoxalement plus autodisciplinée, plus nihiliste, plus déprimée et plus rancunière. Le mélange de tous ces sentiments a finalement alimenté une sorte de motivation implacable.
Je suis temporairement devenu un monstre et ne faisais plus la fête, mais par contre beaucoup plus d’exercice physique. Je lisais des livres et mangeais des légumes. J’étais comme un œuf entrant dans l’eau bouillante quand cela a commencé, gluant et faible mais avec une surface dure. Je suis sortie de tout ça encore plus forte. Je suis toujours douce à l’intérieur, mais d’une manière différente.
Ainsi le titre Snakes est une évocation de sa jeunesse, dans une maison du bush littéralement cernée par les serpents. Une image de mues consécutives, que la chanteuse rapproche de son cheminement personnel. Sur l’étrange (et lent) morceau Knifey, Taylor laisse entrevoir une sensibilité et une vulnérabilité qu’on ne lui connaissait pas jusqu’à alors. Le titre raconte une promenade nocturne dans un parc et l’impossibilité de pouvoir regarder sereinement les étoiles, sans avoir à se méfier d’éventuels prédateurs masculins…
Sur le même thème, Don’t Need A Cunt (Like You To Love Me) est sans doute un peu plus léger. Les filles ne peuvent pas aller s’amuser dans les bars sans se faire aborder par des gros lourds : Visiblement c’est aussi la règle en Australie! L’album déroule ses treize titres sans que l’auditeur se lasse, dans la plus pure tradition punk certains morceaux ne dépassent pas les deux minutes. C’est globalement excellent, malgré les quelques ralentissements liés à des titres un peu moins forts ou du moins un plus prévisibles.
L’album Comfort To Me est sorti le 10 septembre dernier et est disponible dans toutes les bonnes crèmeries! Ce second disque est proche d’être excellent, il représente un réel gap qualitatif (lié en grande partie au travail de production) tout en conservant la spontanéité et la virulence propre à Amyl And The Sniffers. Allant sur des sujets beaucoup plus personnels, on découvre une autre facette de Taylor qui écrit ici ses meilleurs titres à ce jour. Punk jusque au bout des ongles, Amyl et les garçons nous mettent une sacré raclée et on en redemande. Voilà un incontournable de cette rentrée 2021, on vous aura prévenu!