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La lenteur du post-hardcore de Milanku ou l’effacement du monde

La lenteur du post-hardcore de Milanku ou l’effacement du monde

C’est un personnage du roman La Lenteur, de Milan Kundera (Milanku-ndera), qui a inspiré au groupe ce nom dont les deux premières syllabes, si douces, ne préviennent guère de l’explosion de la troisième. À l’image de leur musique. Et à l’écoute de leurs longs et hypnotisants morceaux, on comprend cet intérêt pour la lenteur. On prend alors toute la mesure de l’adéquation de ce nom. À la fois cérébrales et physiques, leurs compositions les places dans ce que Kerrang nomme le Blackgaze, un mélange entre Post-rock, Shoegaze et Black Metal. En France, on pourrait les associer avec Alcest avec qui ils ont déjà tourné. C’est entre Mogwaï et Deafheaven que l’on trouverait peut-être à placer les québécois de Milanku.

Dans La Lenteur, Kundera se fait le chantre de l’anti-futurisme, et propose que l’homme moderne, happé par la technologie et la vitesse,  « délaisse les vertus de la lenteur » (dixit wikipédia). C’est exactement le credo de la musique du groupe qui prend tout son temps pour développer des thèmes qui évoluent lentement autour de mélodies mélancoliques, pour ensuite exploser dans un déluge de saturation et de cris primals. On est à l’opposé de la vitesse des images de nos télés et du défilement incessant de posts de nos réseaux sociaux, des morceaux formatés pour la radio, des poses et attitudes savamment étudiées pour correspondre à la représentation que l’on se fait d’une musique. Chez François Lemieux (guitare, arrangements, visuel), Carl Ruest (guitare, arrangements), Guillaume Boudreau-Monty (batterie) Guillaume Chamberland (basse et voix) et Jean-François Bourbonnais (guitare), si la musique constitue un exutoire au quotidien, elle est aussi un acte intellectuel, une façon de penser le monde qui doit traduire un regard critique sur celui-ci.

Extrait de l’album Pris à la gorge de 2012, nommé dans la catégorie « album métal de l’année » au GAMIQ 2013 (récompenses de la musique indé au Québec).

Le groupe Montréalais voit le jour en 2006 et, en douze ans, ce sont quatre albums qui sont produits, tous caractérisés par une musique sombre et intense où la place minimale du chant—en français!— permet à l’instrumentalité de développer toute sa puissance sur de longues plages à la fois « nostalgiques et brutales ». En 2017, ils s’adjoignent la collaboration d’un troisième guitariste, Jean-François Bourdonnais, qui vient enrichir et épaissir le son.

La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger s’est menti à lui même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant.

Guy Debord, La société du spectacle/Milanku, Monument du non-vivant

Les références littéraires qui émaillent chaque album du groupe portent en elles la thématique du projet musical. Après l’écriture belle et épurée de l’écrivain philosophe—et cinéaste—Albert Camus pour De Fragments, les musiciens s’attaquent dans leur cinquième album, Monument du non​-​être & Mouvement du non​-​vivant, à la notion même d’existence. En juxtaposant la notion de non-être qui, selon Gorgias (-475;-380), est inaccessible et inexprimable pour l’Homme, avec celle de non-vivant conceptualisée par le situationniste Guy Debord dans son classique La société du spectacle (1967), ils expriment la vacuité et l’effacement même du monde vers lequel l’Homme contemporain, virtualisé, glisse inéluctablement. Ils interrogent notre monde d’images et de vitesse au travers de la notion de représentation.

Dans le second titre, ils font appel au philosophe Clément Rosset qui a bâti une philosophie autour de la notion de réalité. Il est le tenant d’une pensée où l’être trouve la joie dans l’acceptation du réel dans ce qu’il a de plus trivial grâce à une mise à distance de celui-ci. Sans pour autant préférer un double illusoire, comme le propose la re-présentation (Régis Debray) des images dont nous sommes quotidiennement bombardées, et qui érige une barrière entre l’Homme et la réalité.

Premier extrait de l’album qui sort ce 1er décembre. Un beau cadeau de Noël à mettre dans de (grandes) chaussettes sur la cheminée.

Le réel immédiat n’est admis et compris que pour autant qu’il peut être considéré comme l’expression d’un autre réel.

Le réel et son double : Essai sur l’illusion, Clément Rosset

C’est ce à quoi s’emploient les cinq du groupe : exprimer une autre réalité afin de mieux appréhender le réel immédiat. La musique de Milanku peut-être désignée comme « intègre » et entière, production indépendante, constructions autour de thèmes « jammés », elle est l’anti-variété par excellence. Sans compromission, elle a alors toute latitude pour aller titiller nos émotions les plus profondes.Et nous reconnecter à l’Être.

La dernière porte sur De Fragments avec un extrait de la pièce de Camus, Les justes (1949)

Si la musique de Milanku était une œuvre picturale, ça serait sans aucun doute un tableau de Jackson Pollock.  Quelque chose d’à la fois physique, projection d’une impulsion sur un support, improvisation et intégration des éléments au fur et à mesure, par couche. leur album qui sort ce 1er décembre, Monument du non​-​être & Mouvement du non​-​vivant est sans nul doute le plus accompli. Il se place dans le peloton de tête de mes albums 2018.

Peu connu dans l’Hexagone, le groupe tourne pourtant beaucoup au Japon et en Europe de l’Est où il est très demandé. Il est donc largement temps que les amateurs français de cette musique découvre tout le talent de nos cousins de la Belle-Province. Les questionnements qui traversent leurs morceaux sont au cœur des transformations que connaissent nos sociétés. La musique de Milanku est profondément ancrée dans le réel. Elle est d’une densité plus que tangible : elle redonne chair aux émotions les plus humaines et nous permet d’affronter le réel et le quotidien sans flancher. En cela, elle est indispensable.

MILANKU - By Thierry Lacasse

Liens :

facebook.com/milankuband

milanku.bandcamp.com

http://loeildutigre.storenvy.com/search?q=milanku

https://momentofcollapserecords.bandcamp.com/album/monument-du-non-tre-mouvement-du-non-vivant

Épitaphe en marge du disque. : « Cet album est dédié à la mémoire de Marius. »

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