Direction le VIP à Saint Nazaire pour retrouver Irène Drésel
Samedi 25 février fin d’après-midi, Father Ubu et moi-même traversons une partie de la Loire-Atlantique pour rejoindre le VIP, la salle de musique actuelle de Saint-Nazaire et la protagoniste principale de la soirée en la personne d’Irène Drésel. Une heure de trajet automobile nous permettant de peaufiner le rétro-planning prévisionnel de notre soirée. Nous ressentons même cette légère adrénaline précédant une interview d’une artiste très appréciée de notre rédaction suivie d’un live qui nous avait littéralement comblés en septembre dernier lors du festival Scopitone à Nantes.
Irène Drésel et son équipe nous ont fait le grand honneur d’accepter notre demande d’interview… et comme les planètes étaient en plus magnifiquement alignées, notre rencontre s’est réalisée le lendemain de sa victoire du César de la meilleure Bande Originale pour le film “À Plein Temps” d’Eric Gravel. Qui plus est, la première victoire d’une femme sur cette récompense.
Finalement, un temps de discussion voir de causerie (plus qu’un interview), pendant lequel nous avons notamment pu revenir sur Scopitone 2022, évoquer quelques aspects de la musique électronique, le projet 360 avec Radio France, bien entendu la cérémonie des César ainsi que le travail autour de la bande originale récompensée.
Retour sur Scopitone, et échanges de bons procédés Electro
John O’Cube : Merci Irène et Gilles (alias Sizo del Givry, le percussionniste d’Irène Drésel) de nous accueillir, on est enchanté avec Father Ubu de pouvoir passer ce moment avec vous.
Irène : C’est toi (Father Ubu), qui avais fait les photos qui illustraient votre report de Scopitone, c’est ça ?
Father Ubu : Oui exactement… euh… c’est le moment où je dois partir en courant ?
Irène : (rire) Non, elles étaient très belles
Un beau souvenir partagé à Scopitone 2022
Father Ubu & John O’Cube : Après pour être francs, on voulait vous complimenter tous les 2. On ne vous connaissait pas du tout avant Scopitone 2022. Et on était venu un peu en mode concert à l’aveugle, nous basant uniquement sur le descriptif “presse” et quelques écoutes la semaine précédente. Après le concert de Decius qu’on attendait beaucoup, bien que d’un autre registre car plutôt Acid, on a vraiment pris une très belle claque, c’était génial.
Gilles : Mais c’est vrai que le son, le cadre, les lumières. Tout était dantesque ! Perso, j’ai regardé les spots au plafond pendant tout le show… (rires)
Irène : Après la salle s’y prêtait bien. C’est vrai que nous sommes très attentifs aux lumières lors de nos concerts, et la qualité était au rendez-vous…
On n’avait pas décidé du “décor” pour le concert. Le Stereolux, nous avait juste indiqué “qu’il y aurait des espèces de tubes” dans le cadre d’une création numérique. Je me suis dit non “mais qu’est ce que ca va être encore ?”. On a eu par le passé quelques concerts où nos propres motifs et visuels qu’on avait travaillés spécifiquement dans l’espace prévu étaient complètement découpés du fait des installations imposées. Mais, pour en revenir à Scopitone, ça a été une très belle surprise sur l’ambiance, la salle, le son et surtout donc ces lumières qui donnaient une impression de perles qui coulaient.
John O’Cube : Sérieusement, c’était une très belle soirée et donc, pour nous, une belle découverte
Irène : Mais tu me l’avais dit après le concert. Tu m’avais dit : “J’ai un truc à te dire, je vais être franc : ton concert j’ai pas aimé ”… Du coup, je t’ai offert un vinyle (rire)
Gilles : Ah ouais, t’as pas aimé ? Prends le vinyle… T’as pas de platine ?… et bien je vais t’en envoyer une ! (rire)
John O’Cube : Non, limite vous avez un peu fait de l’ombre à Daniel Avery, pourtant une grosse pointure…
Irène : Oui, mais son concert était très sombre. On est passé d’un set lumineux à un set plus dark. T’avais adoré toi (Gilles) ?
Gilles : J’avais adoré, une techno assez droite. Mais bon… ça dépend aussi de l’état dans lequel tu arrives… il est 3h du mat, il y a un changement d’ambiance.
John O’Cube : Le set était très tourné en mode Paula Temple ou Helena Hauff… donc assez froid et dark… Le public avait changé…
Irène : Non mais… attendez… le public avait pas juste changé, il était arraché
GIlles : Ah oui… il y avait un bel arrachage ! (rire)
Irène : Au merch, on en a vu qui était dans un de ces états… Je repense à une fille…
Les bons plans Electro de l’Ouest et d’ailleurs
Gilles : Bon, pas autant qu’à certains autres festivals… on avait fait le Panorama Festival (Morlaix)… et là… là… j’ai vu des trucs que je n’avais jamais vus avant… Une fille qui pisse debout… elle est autour de 5 / 6 potes, elle remonte sa jupe, elle pisse, ses potes continuent à causer comme si de rien n’était… et il est juste 18h, le festival dure 3 jours, le premier concert du week-end n’a même pas commencé (rires)
John O’Cube : ça me fait penser à un terminologie nantaise… le “Ride Nantais”. Je l’ai appris il n’y a pas longtemps en allant au Macadam. C’est un état d’esprit, non descriptible, ça se vit selon les “Riders”. Tu rentres donc au Macadam, et on te met 5 pastilles sur ton portable pour être sûr que tu ne prendras ni photo, ni vidéo.
Gilles : ce qui se passe au Macadam, doit rester au Macadam ! (rire)
John O’Cube : Et effectivement… l’ambiance est complètement “Riiide”. 2 fois par mois, tu as des nuits (Gloria) qui démarrent à 19h le samedi et se finissent le lundi à 4h du mat, aucune lumière, tout est cloisonné.
Irène : C’est un peu en mode Berghain?
John O’Cube : Exactement, il y a un peu de ça.
Gilles : Après l’Ouest est quand même pionnier dans le monde de l’électro.
John O’Cube : Vous aviez fait l’Astropolis ?
Gilles : Non, ni les Transmusicales (ils ont fait les Bars en Trans), ni les Nuits Sonores à Lyon
La Genèse d’Irène Drésel
John O’Cube : Car le groupe “Irène Drésel” a démarré quand ?
Irène : On a démarré en 2016, précisément le 6 avril 2016 pour notre premier concert, Le premier EP Rita en 2017 et le premier album Hyper Cristal en 2019. Pas non plus beaucoup de scènes (150 au total depuis 2016), mais ça s’est accéléré à partir de 2017, l’année où l’on a signé avec Wart (booker et manager d’Irène)
John O’Cube : Et ce sont les lives qui ont créé la dynamique du groupe et l’engouement ?
Gilles : Après il faut bien comprendre que tout l’univers visuel, ce que tu vois en concert et que tu écoutes, tout est sorti de la tête d’Irène. Dès notre premier show au Silencio (à Paris), Irène avait créé une scène spectaculaire où les fleurs étaient déjà très présentes et au centre du projet,… Bien sûr cela s’est enrichi au fil des années, mais nous avons toujours eu la même identité visuelle depuis le premier concert jusqu’à maintenant.
Father Ubu : Votre scéno à Nantes, m’avait fait penser à une terminologie entre “parnassiens” et “fêtes bacchanales”.
Irène : Les fêtes dionysiaques aussi. (rire) Après il y a l’effet des costumes et également de la lumière.
Gilles : Les lumières sont très importantes pour nous. Dans l’équipe qui nous entoure, il y a vraiment des pointures. Généralement, on essaie toujours de faire une résidence ou deux pour bien capter l’esprit du lieu, se l’approprier, et on essaie d’enchaîner sur un concert dans la salle.
Un univers créé de toutes fleurs
John O’Cube : Vous gérez la scénographie, les lumières, les fleurs, cet univers dionysiaque, mais vous créez aussi les costumes ?
Irène : Oui, ils sont créés à la main. Je les dessine en fonction de mes envies et travaille ensuite avec une créatrice Léa Huet qui les reproduit de manière totalement identique aux dessins. Elle est vraiment incroyable, on travaille main dans la main. On va même chercher les tissus ensemble, à Paris au marché Saint Pierre.
John O’Cube : On ressent vraiment dans votre approche et tout ce qu’on vient de dire que ce n’est pas juste de la musique sur laquelle vous ajoutez des briques du type “la lumière, le décor, les fleurs, les costumes”. Mais qu’il y a une réelle homogénéité dans toute la création ?
Irène : Tout à fait, pour nous c’est un spectacle. Pas juste un concert, un spectacle. Un peu comme si tu allais voir le show du Lido. Tu as la musique, les décors, les costumes, les chansons,… parfois je tire la chansonnette… et c’est bien quand même.
Perso j’adore, et j’aime bien faire rêver.
Un contre-courant vers des sets électro souvent prévisibles
Gilles : Quand on a commencé, il y avait un peu une habitude dans le monde de l’électro d’un mec ou d’une nana en t-shirt noir, plongé dans le noir, avec une table noire. Et pourtant, on en a usé des chaussures sur les Dance-Floor. On s’est rencontré d’ailleurs comme ça, en faisant la fête. On connaissait cela par cœur. Mais on a ressenti au fil du temps que le DJ était de plus en plus loin, de plus en plus dans le noir, de plus en plus derrière des trucs. L’idée de proposer un spectacle “visible” nous a semblé complètement naturelle.
Tu confirmes ?
Irène : mmh… J’avoue que l’idée est aussi née d’une frustration. J’étais allé voir un DJ que j’adorais, j’étais vraiment fan de lui. Et même pas un regard, à aucun moment, il faisait son set en se roulant des clopes, assez prétentieux. On était vraiment tristes avec mes potes, d’avoir payé genre 35€… J’avais vraiment pas trop aimé et me suis surtout dit que si un jour, je me lançais dans un projet musical, je ne souhaiterais vraiment pas avoir cette attitude là vis-à-vis de mon public.
Father Ubu : Assez en phase avec toi, l’idée de venir voir un concert est souvent de rentrer dans une interaction avec l’artiste. Il doit y avoir une rencontre, des sourires, des échanges.
Irène : Bien sûr, on vient pour ça quand même.
GIlles : Si c’est jouer sans lever la tête, ne jamais regarder ce qui se passe devant toi, jamais pendant 1h.
Irène : Mais là… il n’a jamais levé la tête pendant 2 heures
Gilles : Ce DJ m’avait fait le même coup. J’étais au 2e rang, comme un dingue… il n’avait même pas regardé la foule une seule fois pour voir si ça prenait. Bon il était talentueux, le public était quand même en transe. Il vient faire son set, il ne se pose pas de questions.
Irène : Mais c’est une attitude… c’est une posture… Perso, j’ai été vraiment déçue… je le voyais un peu comme un “demi-dieu”.
Gilles : Ce qu’il faisait était monstrueux, il était ultra doué. Ses lives restaient mortels. Depuis, je n’ai pas retrouvé beaucoup d’autres “gros chocs”.
Irène : Après on sort quand même moins, je pense qu’il y en a d’autres, mais on ne les connaît pas…
Gilles : Biennn Sûuur… (rire)
John O’Cube : Irène Drésel, c’est pas mal… vous connaissez ? (rire)
Après, je serais mal à l’aise de critiquer les DJ qui ne font que mixer, je suis le premier à réussir à me faire emporter dans la nuit, sans trop être vigilant à la scène et en me concentrant que sur la musique. Par contre, pour rebondir sur votre idée d’un spectacle et pas juste d’un concert, je ne sais pas si vous connaissez le groupe The Field sous Kompakt ?
Gilles : si, on connaît, excellent groupe, mais jamais eu l’occasion de les voir en live.
John O’Cube : Leur performance est magique, c’est une véritable bouffée d’air car ils allient le son très électro tout en ayant l’effet groupe avec le batteur, le bassiste, les claviers,… on se fait transporter, on adhère. Encore une fois, je ne crache pas sur les DJ loin de là, mais le gap est non négligeable et cela crée une synergie avec le public plus importante.
Gilles : Forcément…
Le projet 360° au Petit Palais avec Radio France
Father Ubu : Il y a également le concert de Molécule en 360°. Il se positionnait au milieu des gens, à leur hauteur.
Gilles : Vous l’aviez vu où ?
Father Ubu : Au Printemps de Bourges en 2019, puis 2 fois à Scopitone… Ouais… 3 fois cette année-là.
Gilles : Et à chaque fois en 360 ?
Father Ubu : Oui tout à fait. Sa techno ambiante était juste incroyable, toujours en petit comité. A Bourges, c’était fabuleux… le concert s’était déroulé dans une petite chapelle dans un noir complet, sans aucune séparation entre lui et nous.
L’expertise sonore d’Hervé Déjardin
Irène : Et c’était un projet réalisé avec Hervé Déjardin ?
Father Ubu : Oui
John O’Cube : Mais d’ailleurs, vous n’avez pas travaillé avec lui il n’y a pas très longtemps ?
Irène : Si, le concert s’est déroulé le 24 novembre au Petit Palais, il y a 3 mois pile-poil. Vraiment cool, Le concert est sorti sur Culture Box.
John O’Cube : Hervé était avec vous sur scène ou il intervenait juste dans le cadre de la préparation ?
Irène : ah non, il était avec nous, en costume, tout en gérant le logiciel L-ISA (le logiciel qui permet de “spatialiser” par un système de bulle qui positionne le son dans un espace et le fait se déplacer).
John O’Cube : Et vous allez reconduire cette expérience ou c’était un one-shot ?
Irène : Dans le deal initial, on doit le reconduire. Mais en toute sincérité, ça demande beaucoup de moyens. Autant Molécule, n’avait pas vidéo, ni trop de lumière, en ce qui nous concerne, on ajoute les projections, la vidéo, les lumières ce qui devient un peu plus complexe.
Le Petit Palais : une expérience inoubliable
John O’Cube : Je n’ai pas encore vu la vidéo, mais vous projetiez sur les murs lors de concert ?
Gilles : Exactement, les images projetées épousaient les formes et les murs du Petit Palais. Et cela donnait une impression que les murs tournaient, les fleurs poussaient des murs et des plafonds. C’était juste fou. La vidéo est magnifique.
Irène : la captation du concert est somptueuse, franchement c’est magnifique et très onirique.
Father Ubu : Le teasing est bon, vous l’avez bien vendu (rire)
(Arrivée de Cyrille Floquet, le régisseur d’Irène Drésel)
La cérémonie des César
John O’Cube : pour en revenir à l’actualité chaude… hier soir les César… Irène, ça va ? Beaucoup d’émotions ?
Irène : Enormément, c’était génial.
John O’Cube : Question un peu con, est ce que l’Académie des César t’a incitée fortement à venir, ou t’a-t-on avertie un peu avant que tu serais récompensée ? (du César de la Meilleure Musique Originale pour le film “À Plein Temps” d’Eric Gravel)
Irène : Tu l’apprends au moment de l’ouverture de l’enveloppe. C’est vraiment chic. Ce n’est pas le cas de toutes les cérémonies de récompenses car effectivement j’ai été nominée quelques temps avant pour un autre prix… on a compris très vite quand on est arrivé que les récompensés étaient déjà au courant…
Aux César, tu le sais vraiment au dernier moment. Et perso, j’étais dans une position un peu inconfortable. On avait rendez-vous dans un café une heure avant la cérémonie avec l’équipe du film. Le réal et la boite de Prod nous disent “on a vu les pronostics sur internet, c’est mort, le film n’aura rien. A priori, c’est très mal parti”.
Du coup, je me suis dit “allez Ok, c’est mort”. En plus à l’Olympia, j’étais placée super bizarrement, sur le côté, donnant sur le couloir,…
Gilles : Non mais on avait les photographes limite dans la tronche… (rires)
Irène : En fait, c’est assez compliqué. Normalement, quand tu as un invité, l’équipe est ensemble, l’invité est tout seul. Je voulais être avec Gilles pendant la cérémonie, ça faisait un chiffre impair de siège avec Eric (Gravel), Laure (Calamy) et Mathilde (Van de Moortel), césarisée également pour le meilleur montage). Du coup, j’ai été placée sur le côté.
Et sincèrement, avec tous ces éléments qui se sont ajoutés… dès le début, je me suis dit : “voilà, l’histoire s’arrête là, Irène, il faut être bête pour ne pas comprendre que c’est pas pour moi”.
Gilles : Je t’avais dit… si t’es dans un siège qui donne sur le couloir, ça veut dire que tu vas sortir pour l’avoir ! (rire)
Irène : non mais arrête… Du coup, j’étais là mais à la fois pas du tout. Quand ils ont dit mon nom, j’ai limite donné un coup de boule à Gilles (rire).
C’était fou, j’étais en train d’anticiper un autre nom. Et la… oh mon dieu… en plus le César était annoncé et reçu des mains de Charlotte Gainsbourg (et du rappeur Dinos)
On m’avait dit que “Les César, ça ne fuite pas” et vraiment les votes se font jusqu’au jour J, 1h ou 2h avant la cérémonie.
Les César, une organisation millimétrée
John O’Cube : Tu nous excuseras pour ces questions extrêmement bateaux… mais bon on n’a pas l’occasion tous les jours de rencontrer une césarisée et surtout le lendemain de la cérémonie.
Irène : Ah non mais n’hésite pas, je suis complètement novice dans ce système.
John O’Cube : Du coup, tu avais dû préparer un discours ?
Irène : Non mais attention, l’organisation des César est extrêmement bien rodée, tu dois recevoir une dizaine de mails d’eux du genre avant la soirée :
“attention… le discours ne doit pas dépasser 1 minute”
“attention la personne avec qui vous venez, ne sera pas forcément à côté de vous”
“préparez votre discours, s’il vous plaît, pensez à l’imprimer car vous ne réalisez pas à quel point la pression est énorme”
“C’est une soirée de gala, habillez vous en conséquence”
“imprimez votre pass, …” etc etc…
Il y avait une pression très importante par rapport au discours, “1 minute, pas une seconde de plus”. La fille de la boite de Prod m’a tout simplement dit “Irène ton discours, tu dois le connaître par coeur”.
Je sais que je suis émotive, mais en même temps, je ne voulais pas arriver avec un papier dans la main. Dès que j’ai su que j’étais nominée, le lendemain ou le surlendemain j’étais déjà en train d’écrire le texte pour bien l’assimiler, le connaître et le maîtriser.
John O’Cube : Et tu n’as pas eu un moment Uppercut, les jambes qui flagellent quand ton nom a été prononcé.
Irène : Non, du tout. Pendant le show, à un moment je m’étais retournée pour avoir un visuel de l’Olympia depuis la scène, voir ce que cela faisait dans l’autre sens afin d’éviter la découverte en montant sur scène qui pourrait être déstabilisante… du genre “whoo, ils sont nombreux”. J’avais donc anticipé cela, j’avais bien checké le “parcours” jusqu’à la scène, le discours était prêt.
J’avais parlé à d’autres gens au dîner et un gars m’avait dit “mais moi j’ai rien préparé”. Chacun fait comme il veut.
Father Ubu : J’ai du mal à croire les personnes qui disent ça.
John O’Cube : C’est clair, même si tu l’as pas écrit, tu l’as pensé et réfléchi en ayant au moins les grandes lignes.
Un discours des César à la seconde près
GIlles : Être debout, devant un public, c’est notre boulot, notre “quasi” quotidien avec Irène, on a l’habitude.
Irène : Oui carrément. Perso, j’adore prendre la parole en public.
John O’Cube : Ca doit effectivement servir dans ce genre de moment, d’avoir cette habitude.
Irène : Bien sûr, et puis tu as juste une minute. C’est une minute peut-être que tu ne revivras pas. Quand Raphaëlle m’a dit, et c’est la boss de la boite de prod, “tu dois le connaître par coeur”. Franchement, ça m’a mis la pression mais à la fois, je voulais leur faire honneur, et surtout n’oublier aucun partenaire. Toute l’équipe m’a aidée, Cyrille (le régisseur d’Irène), Gilles… sauf mon manager (Boris Vercher)
Cyrille : En même temps, il ne sait pas lire (rire)
Irène : (rire) Non, je ne voulais pas que Boris sache que j’allais le remercier et idem pour mes parents.
Father Ubu : Ça donne aussi un petit côté surprise agréable.
Irène : Après ce discours… j’ai dû m’entraîner, beaucoup m’entraîner… je m’entraînais sur le chien.
Gilles : Oh le chien… le pauvre chien (rire)
Irène : (elle mime son discours en regardant son chien) “Eric, je partage avec toi ce César…”
Gilles : et le chien qui se dit : “non mais je comprends pas…, moi c’est Lutka” (rire)
John O’Cube : Mais tu avais également prévu le “je voulais finir par une chose, ne mettez pas la musique maintenant” ?
Gilles : Oui c’était prévu.
Irène : Oui. Je savais que mon discours durait 1 minute 10. Je ne savais pas comment faire, et c’est Gillou qui m’a dit de faire ça.
Gilles : En fait, les César, ils ont un procédé très précis : Ils envoient la musique, et ils t’envoient un mec en même temps sur la gauche… pour te pousser. Donc, toi t’es en train de parler, tu vois le mec qui arrive sur la gauche d’un pas décidé pour te tej… (rire)
Irène : Ah mais je ne l’ai pas vu.
Gilles : Non mais t’as fait un signe avec ton bras dans sa direction, tout en disant, ne coupez pas la musique. Le mec, ça lui a fait un stop ! (rire)
Irène : Ah ouais ?
John O’Cube : Et je crois qu’ils n’ont pas lancé la musique.
Irène : Ah si. Ils l’ont juste sous-mixée à la télé. Mais nous sur scène, c’était hyper fort. Genre 20 minutes avant, il y a une fille, quand la musique s’est lancée, elle n’a pas forcément haussé le ton. Du coup, on n’a rien entendu à ce qu’elle a dit sur la fin de son discours. Bon après, on a tellement l’habitude de parler “au-dessus de la musique” en concert, et que sachant ça, quand j’entends la musique… je me suis dit “oh merde, c’est pas possible”… j’ai monté la voix, monté monté. jusqu’à finir par quasiment crier… je gueulais, gueulais gueulais.
Après je me suis dit que “si ça se trouve à la télé c’est juste horrible… ils vont me prendre pour une tarée”. (rire)
Cyrille : Non mais justement, ça rendait trop bien! En même temps, ils sont obligés de limiter les interventions. L’émission est déjà très longue… Bon après, j’avoue… je n’ai écouté que quand tu es passée, le reste… euh… (rire)
L’organisation académique des César
Irène : Mais sincèrement, un moment très émouvant. Une super belle cérémonie. C’est très plaisant d’avoir des instants assez purs comme celui-là dans l’industrie alors que tout le monde pense l’inverse. Il y a des surprises.
Gilles : Les César c’est vraiment au vote, pas de copinage,…
Irène : Ce qui change un peu par rapport à d’autres récompenses, c’est que ce n’est pas un jury. L’Académie des César regroupe environ 5.000 personnes. Pour être à l’Académie des César, soit tu as déjà été lauréat, soit une grande actrice, réalisateur,… soit tu es un technicien, un monteur, un chef op, un intermittent, avec quelques critères du genre 15 ans d’ancienneté, 3 longs métrages,… Tu peux alors candidater avec lettre de motiv et CV pour faire partie de l’Académie des César. L’avantage est que tous les corps de métier entrant dans la création cinématographique peuvent être intégrés.
Bon après, certains ne prennent surement pas le temps de regarder les films, il y a toujours des abstentionnistes, certains votent juste pour ceux qu’ils connaissent… mais j’avoue j’aurais bien aimé savoir le suffrage, je leur ai demandé, mais ils ne filent pas l’info.
On savait qu’Irène Drésel remporterait le César parce que…
Gilles : Il y a eu un petit indice à un moment. Quand ils annoncent les nominés, le public réagit à chaque film annoncé. Et à l’annonce du nom d’Irène, il y a eu des “wooohooo” dans la salle… (l’applaudimètre était effectivement moins important pour les autres).. et on s’est dit… pourquoi pas ?
John O’Cube : J’ai vu un autre indice de mon côté, un tout petit peu avant. Tout juste après la chanson de Charlotte Gainsbourg, et le petit discours avec Dinos, le premier plan du public a été sur toi… et je me suis dit… “ah… c’est bon signe”.
Cyrille : Idem, j’étais avec le reste de l’équipe, on a eu la même réaction. Quand il y a eu ce plan on s’est dit.. « oh putain, ça sent bon ! » (rire)
Irène : Franchement, je ne sais pas du tout. Il y a un chef sur le plateau, qui indique aux caméramen, les 5 prochains nommés sont “siège 18, siège 56,…etc…” Les 5 caméras se bloquent alors sur chaque personne. Bon déjà, imagine le truc avec une énorme caméra à 50 cm de ton visage. (rire)
À ce moment-là, le nom est bien entendu connu, déjà dans une enveloppe. Peut-être que eux, 4 minutes avant, on leur dit : “le César sera pour Irène Drésel”, et peut-être que ça expliquerait la captation… ou alors, j’étais la seule nana, ou alors je prenais bien la lumière ou encore le mec qui gère la mise en scène s’est dit “ah elle est souriante”… y’en a peut être d’autres qui faisaient la gueule, je sais pas…
Gilles : … alors là pour le coup, c’est clair qu’il y en a qui faisaient bien la gueule (rire)
Irène : Honnêtement, je n’en sais pas plus. Il faudrait fouiller auprès d’une personne qui bosse pour Canal.
Un travail à temps-plein sur le film “À Plein Temps”:
John O’Cube : Ton travail autour du film, cela a représenté combien de temps de boulot ?
Irène : 2 mois, de mi-mars 2021 à mi-mai 2021.
Gilles : Par contre… 2 mois à bloc, vraiment non stop. Il y avait des journées où tu enchaînais non-stop dans le studio, tu mangeais en 3 minutes et tu repartais. 25 coups de fil par jour d’Eric.
Irène : En fait, Eric sait clairement ce qu’il veut, c’est son film. Il est très rigoureux et me guidait pour que la moindre séquence, le moindre son correspondent à son attente en termes de ressenti, de visuel, d’accompagnement.
Gilles : Non vraiment Eric est super fort, vraiment super fort.
Irène : Oui complètement, et regarde où il a porté le film. C’est énorme. J’ajouterais que l’une de ses qualités premières c’est qu’il était très respectueux. Par exemple, je lui envoyais une séquence musicale à 8h, il était dans son train, il ne pouvait pas l’ouvrir car il partait en étalonnage. Il m’écrivait dans les 3 minutes : “j’ai bien reçu ton fichier, je ne peux pas l’ouvrir maintenant, je ne pourrai l’écouter qu’en fin de journée”.
C’est bête, mais je ne restais pas dans l’attente pendant 5h, en me disant, merde il n’a pas aimé, tu deviens littéralement parano, et tu ne veux pas relancer pour ne pas paraître relou.
Le fait d’accuser réception, c’est vraiment respectueux du travail, et c’est une qualité que tu ne trouves pas si souvent en situation professionnelle. Ca donnait un effet “ping-pong” et cela m’a permis de travailler sereinement sur le film. Il m’indiquait directement ce qui était OK et à modifier, pas le temps de se poser de question… mais le rythme fut vraiment intense dimanche inclus.
Synopsis de la musique originale de “À Plein Temps”
Gilles : Ce film, c’est finalement, juste une femme qui veut aller au boulot. Il n’y a pas de bagnole qui se retourne, y a pas d’explosion, y a rien. Mais pourtant pendant tout le film, t’es juste en stress, et sous tension non-stop. Le travail d’Eric (sur le plan musical) était de guider Irène de manière ultra précise voir quasi obsessionnelle dans toutes les séquences. Il fallait musicalement justifier que, quand Julie (interprétée par Laure Calamy) court, tu es en retard avec elle, quand elle va à son entretien, tu te dis mais putain, elle va pas l’avoir… et cette sensation, elle ne tient à rien. Ça tient à tellement peu de choses de donner du poids à ces scènes… cela demande de l’implication et de la précision.
Si tu tournes mal, si tu montes mal, et si ta musique ne tient pas la route… le film c’est juste une nana qui va au boulot et clairement y a rien, il n’y a pas de film.
Personnellement, la musique dans “A Plein Temps”, je l’adore.
John O’Cube : J’ai vu le film la semaine dernière. J’ai vraiment beaucoup aimé ce film, et pour décrire un peu mes sensations. Franchement, ces deux premiers jours, le lundi et le mardi, j’ai été étouffé par la musique…(rire) et étouffé également par les courses effrénées de Laure.
Irène : Ah mais c’est exactement çà. Tu regardes et tu es déjà épuisé.
John O’Cube : Après une semaine de boulot intense à titre perso, et en regardant ça, je me suis dit avec ma copine… non mais on va jamais tenir la semaine (du film) à ce rythme. Et la suite de la semaine, la musique semblait “fusionner” totalement avec le film, à l’en oublier presque. On ressentait juste les moments de silence et les moments de musique…
Irène : D’ailleurs les moments de silence sont ultra forts… un quasi soulagement.
Gilles : Oui ça fait des vacances! (rire)
Irène : Cette ambiance, cette intensité, c’est un parti pris d’Eric. Pour lui, on aime ou on déteste, on adhère ou on ne supporte pas. Je suis complètement en phase avec cette philosophie. Le consensuel très peu pour moi.
Gilles : Y a un mec Du Masque et la Plume (Michel Ciment) qui a dit que “la musique est insupportable, la musique électronique je trouve cela casse-pied quasiment pendant tout le film” et une autre chroniqueuse (Sophie Avon) répond juste derrière : “au contraire, cette musique techno je la trouve formidable, car elle donne ce rythme “sourd” qui porte ce film« .
Ca prouve que même dans les critiques même dans la même émission, les gens sont vraiment noirs ou blancs.
Father Ubu : dans tous les cas, ce film a provoqué des réactions.
Irène : Tout à fait.
Quid de la création musicale sur une bande originale
John O’Cube : Après dans l’idée une bonne BO, c’est intégrer une musique au film et non pas positionner 2 / 3 morceaux qui se superposent au film et qui tapent un peu pour venir créer de l’émotion avec quelques violons.
Gilles : Le travail sonore sur « À Plein Temps » était sur chaque temps, chaque mouvement, chaque action, image par image.
John O’Cube : Mais comment as-tu travaillé la musique? C’était avant, pendant et/ou après le film ?
Irène : Pour répondre à ta question, le film était presque fini, déjà quasiment intégralement monté, il restait quelques corrections de montage à faire mais sur des scènes ou soit je n’avais pas encore bossé, soit dans le cas d’une réadaptation du montage. Notamment le moment où les filles plient les draps (dans l’hôtel), mon arpeggio a été décalé : j’ai donc dû le revoir. Réellement, c’était de la musique à l’image.
Pas de la synchronisation et c’est vraiment cool pour hier, car normalement le César de Musique Originale doit récompenser une musique originale, dédiée au film, pour le film, pas de la synchro, avec un morceau qu’on trouve sur un album qu’on vient coller au film… sinon c’est trop facile.
Il y a bien entendu eu des prix dans le passé obtenus dans ces conditions, mais une musique originale, c’est une musique originale.
John O’Cube : Et en tant que partenaire du film, vous avez dû voir, voir, et revoir le film. Vous allez réussir à le revoir dans le futur ?
Irène : Ah oui, complètement. Vraiment j’adore ce film. Alors forcément, en travaillant dessus je l’ai bien vu une centaine de fois. Mais toi Gilles, tu l’as vu aussi plusieurs fois ?
Gilles : Je l’ai vu 4 fois en salle. Et à chaque fois, j’ai vu de nouveaux aspects, j’ai systématiquement ressenti cette tension. Mais le son de la salle de ciné joue énormément.
John O’Cube : En dehors de cette période dense, la démarche de création a-t-elle été plaisante ? En effet, un album, un EP tu es peut être sur de la création pure, en partant d’une page blanche versus la bande son d’un film qui a peut être plus un effet “bon de commande”, le terme n’étant à ne surtout pas dévaloriser ?
Irène : Justement, ce fut de la création pure. Le réal m’a confirmé qu’il était content parce qu’il estimait que je n’étais pas formatée. Il voulait quelqu’un de la scène, pour que ce ne soit pas de la musique à l’image comme un compositeur de musique de film. Ça diffère de ce que je crée d’habitude, mais la démarche créative est tout aussi forte. C’est une couleur, une thématique pendant tout le film, avec un travail comme on le disait tout à l’heure, pas à pas, par action, par image. Je considère vraiment que c’était de la pure création, mais avec des intentions qui n’étaient pas les miennes. Je composais en fonction des images, de l’écran, de mon piano, etc…
John O’Cube : Et le téléphone a beaucoup sonné depuis hier soir ?
Irène : Surtout les copains, mes parents… c’est là que tu te dis, les gens ont regardé les César.
Gilles : ouais… bon… pas mal de gens le regardent sans le dire (rire)
Irène : Bref c’était un moment fabuleux, j’ai pas d’autres mots.
Autres projets en cours d’Irène Drésel
John O’Cube : D’autres projets ciné ?
Irène : J’en ai un autre, le réalisateur a posé une option. Mais pas pour tout de suite, par contre ce n’est pas encore acté, donc je ne peux pas trop dévoiler plus d’infos pour le moment.
Father Ubu : Je ne sais pas si tu avais pu voir ce que Rone avait pu faire avec la Horde (ballet national de Marseille). Ce type de projet pourrait vous plaire, d’avoir cet accompagnement sur scène ? Avec danseurs ?
Irène : En toute sincérité, j’ai un peu de mal avec la danse contemporaine. Par contre, la Horde, je suis dégoutée, car on l’a loupé avec Gilles. Et la dernière date de la tournée était à Bruxelles… et idem… nous n’avons pas pu y aller… absolument dégoûtée.
Father Ubu : C’était magique, ça se mariait tellement bien.
Irène : Vraiment… Grosse déception de l’avoir loupé…
Ce qu’à fait Rone était très moderne. Mais à titre personnel, je ne me projette pas sur la danse contemporaine et sur un projet musical potentiel coordonné. Mais dans tous les cas Rone, l’a fait très bien. Et je ne me permettrais jamais de faire comme lui, ce ne serait pas respectueux d’une création qu’il a gérée très bien et jusqu’au bout.
Pole dance, peinture acrylique et parapente
Par contre, j’aimerais bien trouver une idée originale. Pourquoi pas de la danse classique qui me parle plus, où je ressens une forte émotion ? ou peut-être d’autres choses, le Pole Dance par exemple, tu te souviens Gilles, la fille ?
Gilles : Oui Lula Manoir, on l’avait rencontrée dans le sud.
Irène : Ca pourrait être très cool avec des barres entourées de plein de fleurs, des filles qui oscillent et dansent, un peu sexe et sexy…
John O’Cube : Tu n’as pas fait que de la musique. J’ai cru voir que tu avais fait de la photo, de l’art contemporain? Tu as des projets autres que musicaux en tête ?
Irène : J’adorerais reprendre la peinture… mais c’est beaucoup de temps, que je n’ai pas actuellement. Difficile actuellement de trouver une minute pour moi, encore plus difficile de me relancer dans la peinture. Je pense aussi avoir perdu, trop longtemps que je n’ai pas peint.
Gilles : C’est comme le vélo et le parapente… ça ne se perd pas (rire)
Irène : Ces dernières années sont assez intenses, peut être plus tard.
Un concert qui détonne… bis repetita
Quelques échanges complémentaires se poursuivent, nous en profitons pour remercier chaleureusement Irène & Gilles pour cette heure complète accordée pour cette interview.
Nous profitons pour manger un morceau, siroter une petite bière… et nous préparer à la 2ème étape émotionnelle de la soirée. L’excellent show d’Irène Drésel.
Floral, dansant et transcendant, que dis-je transe-dansant, Irène Drésel nous a emporté à nouveau dans son spectacle tel dans une belle histoire. On a frémi, gesticulé, sourit, levé les bras… on a joué des bras et des épaules pour se maintenir près de la scène (c’est pas le Hellfest, non plus rassurez vous), et nous en sommes ressortis conquis, heureux et impatients déjà d’assister à un futur live.
Voici un petit aspect du live d’Irène au VIP de Saint Nazaire.
Bref vous l’avez compris… on a pas aimé du tout ! 🙂
Encore merci Irène et Gilles, pour votre disponibilité, ce temps de partage, et ce somptueux live !