Tous les ans, le cinéma indépendant de Tours, Les Studio, organise dans toute la région centre un festival essentiellement LGBT, Désir… Désirs. Cette année, l’honneur de faire la clôture de l’évènement revenait au jeune québécois Hubert Lenoir. Sa personnalité androgyne et sa capacité à se moquer des genres le désignait comme un candidat idéal. Sans compter que son album Darlène Darling sort ces jours-ci en France et qu’il est en interview sur de nombreuses radios.
Intrigué par le personnage, j’étais curieux de voir comment sa musique, qui parait si sage sur album, pouvait se concrétiser et se transformer sur scène sous l’influence revendiquée d’une attitude inspirée du Punk. Tout en espérant justement que cette attitude et les poses du jeune garçon ne soient pas des moyens pour masquer une indigence musicale. Quoiqu’il en soit, l’album, les vidéo live et les entretiens que j’avais pu lire laissaient augurer du meilleur.
Il est 18:30, et il y a déjà pas mal de monde dans l’entrée de la salle et devant le bar de la plus petite des deux scènes du Temps Machine. Le temps de rigoler un peu avec les membres de l’asso LGBT qui tiennent le vestiaire, de boire une bière, de discuter dans le froid avec des fumeurs qui ne craignent pas la pneumonie, et les musiciens entrent en scène. Il est environ 19:45.
D’emblée, on a le sentiment que l’on va avoir droit à quelque chose de radicalement différent de ce que l’on entend sur le disque. C’est une cacophonie free-jazz—au sein de laquelle il m’a semblé entendre quelques notes de l’intro du Love Supreme de Coltrane—qui s’élève dans la salle. Au centre de la scène, la silhouette gracile, habillée de blanc d’Hubert Lenoir—Lenoir en blanc, ça en jette!—dirige les six musiciens. Tel un Peter Pan chef d’orchestre, il donne le tempo aux artistes qui se plient à ses gestes et répondent à ses ordres. Pas de doute, dès que s’enchainent les premières notes de Fille de Personne, la musique va nous emmener et on sent que le garçon sait y faire.
La présence scénique du chanteur est réelle, et son charisme opère auprès d’une salle conquise d’avance et qui a déjà entendu parler de lui. Il y a du Robert Smith dans son physique, du Iggy Pop dans sa façon de bouger et ses attitudes provocantes. Mais certainement rien de factice. Et cette sincérité joue à plein, car l’attention du public ne faiblit pas. Tous les musiciens sont pleinement investis par la musique, et au fur et à mesure des morceaux, les plages d’improvisations viennent montrer l’intérêt grandissant de l’artiste pour les expérimentations jazz et, encore une fois, le mélange des genres. Comme il nous l’a confié lors d’une passionnante interview à paraitre prochainement sur notre site, il a découvert le jazz sur le tard et prend un grand plaisir à mélanger les genres, à ré-utiliser de vieux habits, musicaux comme textiles, pour en faire des neufs.
Au cours du set, il va tour à tour embrasser à pleine bouche son guitariste et co-arrangeur, Alexandre Martel, sa choriste/guitariste, prendre la guitare, la redonner à sa choriste. Puis, comme lassé d’un public qui ne serait pas assez déchainé, il va laisser le micro et le rôle de frontman aux autres musiciens. Après une brève version d’une chanson de Céline Dion—qui ne fera pas l’unanimité—entonnée par Lou-Adrianne Cassidy, sa choriste/guitariste,une reprise de Limp Bizkit du batteur et une version foutraque d’Oasis avec une prestation honorable d’Hubert derrière les fûts, il reprend le micro et enchaine. Il fait chaud dans la salle, et une énergie quasi palpable se dégage de la scène, où on sent son désir intense de plonger plus profondément au cœur du public, de communier corporellement avec lui. Il va ainsi descendre plusieurs fois dans la foule, semblé tenté par un stage-diving, tout d’abord de la scène—pas très haute— puis du bar sur lequel il monte, saisissant un pinte de bière qu’il fait couler lentement le long de son menton. Mais, malgré l’enthousiasme des personnes présentes, ce n’est pas vraiment un public ni une salle qui se prêtent à l’exercice.
Les morceaux de l’album sont passés à la moulinette de l’improvisation, entrecoupés de clins d’œil—Nirvana—de solo de guitare, de jam… On entendra aussi de nouvelles compositions qui laissent entrevoir ce que sera la suite de Darlène. Sur Si on s’y mettait, il prend des airs de crooner soul, et prouve qu’il maitrise parfaitement sa voix, saupoudrant savamment ses effets entre douceur et rage. Le québécois ne s’économise pas et il revient pour un rappel avec une reprise survoltée de Fille de personne.
En plus d’un talent de showman, le chanteur/compositeur sait s’entourer. Que cela soit André Larue (saxophone), Lou-Adrianne Cassidy—sa choriste qui sort un album aujourd’hui—son « fuck friend » et complice à la composition et à l’arrangement, Alexandre Martel ou les autres musiciens, tous sont très bons et vivent la musique du jeune homme aussi intensément que lui. En se donnant à 150%, Hubert Lenoir s’est largement acquis le public qui lui était déjà partiellement dévoué. Moi y compris, et par-delà mes appréhensions envers tout ce qui chante en français. Et, simple, humble et disponible, il est ensuite venu discuter avec ceux qui voulaient le rencontrer, acceptant les selfies et dédicaces avec plaisir. Au final, un peu plus d’une heure de concert, sans temps mort, tout en tension, où la musique a été à l’honneur et le bonheur d’être sur scène des musiciens communicatif.
Liens :
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https://www.letempsmachine.com/
https://www.studiocine.com/accueil.html
https://www.festival-desirdesirs.com/