Une semaine avant son concert de Nantes à Stereolux (le 4 avril 2018), Dominique A avait la gentillesse, malgré un calendrier chargé et de nombreuses sollicitations, d’accorder un long entretien à weirdsound.net. J’avais décidé de découper cet entretien en 3 parties , un temps (le plus long) consacré au nouvel album « Toute latitude« , un autre à ses influences et fréquentations musicales, un dernier à son engagement plus militant , principalement au sein de l’association « Des liens » qu’il orchestre .
L’album « Toute Latitude »…..premier volet d’un diptyque.(voir article précédent)
Après avoir renoncé au projet original d’un album par trimestre (un electro-rock, un « spoken word »/parler chanter, un acoustique et un noisy-pop) « même si cela aurait été jouable » m’assure Dominique A, jamais en panne d’inspiration, il vient donc de sortir l’album « Toute Latitude » classé electro-rock, avant un disque plus acoustique « La Fragilité », prévu en Octobre, pour les 50 ans du chanteur. Les 8 titres « Bonus » qui accompagnent le cd peuvent, comme je le pensais, s’inscrire dans la démarche du « spoken word » mais on n’a aucune chance, en revanche, de trouver des titres « noisy pop » additionnels dans l’album de l’automne me répond, en riant, Dominique A.
Une boite à rythmes pour un album pas plus électro que cela….et minimaliste?
L’album « Toute Latitude » s’articule autour de la boite à rythmes berlinoise, la Tanzbär, avec laquelle Dominique A s’est beaucoup amusé: « Je voulais surtout que le disque soit rythmique et la tonalité électro n’était pas du tout une obsession »…Le résultat est surtout le « travail de ceux qui entourent Dominique A et notamment de Dominique Brusson » (déjà derrière l’enregistrement de l’album l’Horizon en 2005)…Dominique A était surtout parti avec l’idée d’un disque « avec 2 batteries » qui ne sont pas « prédominantes » sur l’album mais que l’on va retrouver sur scène « pour que ce soit vivant »!
L’album, contrairement à ce que l’on a souvent lu ces dernières semaines, n’est pas électro plus que cela…pas plus que « La Musique » (2009) ou « La Fossette » (1992) lui disais- je: « C’est un disque électro minimal » mais pas plus que ceux que j’ai précités et moins que « Remué » (1999 et qui est sorti maintenant en vinyle) « dans lequel il y a beaucoup de samplers »..mais la différence est nette, cependant, avec les deux derniers albums « qui n’avaient pas de machines ».
Dominique A ne perçoit pas forcément l’aspect « minimaliste » qui a pu être mentionné assez souvent aussi…. L’album comportait même, au départ « beaucoup d’infos » , était « parfois étouffant » et « on a beaucoup élagué ». Dominique A , qui rappelle son besoin « d’une certaine fluidité » conçoit cependant que « ce qui est superflu est écarté » et que, depuis plusieurs albums déjà, les textes sont « moins obscurs ». Dominique A , perfectionnste, m’avoue un regret…il manque un titre moins « up tempo« , juste avant « La Clarière » ..même si 2 autres titres « up tempo » ont été écartés.
Un album peu autobiographique, sombre, et accompagné d’un bel artwork.
« A part Corps de ferme abandonné » (objet de peurs d’enfant dans le nord de la Loire Atlantique, au bord de la Vilaine, du côté de Guéméné-Penfao) et « La mort d’un oiseau », voire « Désert d’hiver », inspiré « d’une expérience », l’album n’est pas autobiographique même si « l’autobiographie peut toujours être un peu là à l’insu de l’auteur compositeur ».
« Je ne vais pas le nier » (que) la tonalité de l’album est plutôt « sombre » me répond Dominique A quand je l’interroge à ce sujet.
Je voulais aussi mentionner l’artwork de la denière pochette , que je trouve très beau, et que l’on doit à Sébastien Laudenbach…Les deux hommes se connaissaient depuis un moment, Laudenbach avait déjà réalisé, en 2010, un court métrage, film d’animation de sable sur verre, « Vasco » , inspiré par « L’Horizon » de Dominique A. Sébastien Laudenbach a réalisé les 4 films, très réussis, sur 4 titres du dernier album de Dominique A et « c’est vraiment son interprétation, sans intervention de ma part » précise Dominique A.
Des titres de « Toute Latitude » sur lesquels Dominique A nous éclaire …
Nous évoquons ensuite ensemble un certain nombre de titres du dernier album. Dans « Cycle« , 1er titre de l’album, Dominique A chante « à mi-chemin » et je lui demande si, à 50 ans, il pense être à mi-chemin à la manière d’un Aznavour….. « J’aimerais être « à mi-chemin » répond-il en riant mais la chanson évoque surtout 3 âges/étapes de la vie , « chanson que je n’aurai pas écrite sans la pièce de théatre de Fanny De Chaillé « Les Grands » jouée début 2017. « Toute Latitude » (un de mes 3 titres préférés) est une chanson « sur le choix des possibles » , chacun pouvant se retrouver dans ce titre où résonne tout de même la nostalgie d’une jeunesse insouciante. Dans « Les deux côtés d’une ombre« , Dominique A voyait « quelque chose d’englobant, une espèce de déambulation onirique », Dominique A se « laissant porter » autant par « une ambiance » que « par la musique ». « Les enfants de la plage » et leurs poings levés n’ont rien d’une métaphore soixante huitarde que je pouvais imaginer (« sous les pavés la plage ») et qui fait rire Dominique A: le titre part d’une observation d’enfants, sur une plage « qui peut être n’importe où dans le monde », « En Afrique, en Bretagne ou en Croatie »..mais « ce n’est pas la même histoire, selon le lieu, que l’on peut imaginer » …continue Dominique A: « Est ce que les enfants sont livrés à eux mêmes, ont-ils un chez eux »?….
Une double page du manga de Kazuo Kamimura.
« Lorsque nous vivions ensemble » est lié au manga éponyme de Kazuo Kamimura, que Dominique A « adore »: « c’est l’histoire d’un couple qui se délite pour une histoire d’enfant qui est refusé », Dominique A ayant voulu « faire une illustration sonore de ce manga » avec « des images de nature (cf » champ de lauriers ») en plein milieu de la narration », aspect « très japonisant ». « Se décentrer » est un titre suffisamment clair pour ne pas avoir besoin d’en dire plus…et c’est le seul qui a « un peu valeur de slogan », Dominique A s’autorisant « une chanson de ce type par album »!
« Le reflet » , titre plutôt déjà acoustique est, comme je le pensais, une transition avec l’album, acoustique, « La Fragilité« , prévu en Octobre: « oui, c’est volontaire », « je voulais que ce soit comme une annonce », même si le titre, au départ, ne devait pas être dans l’album « mais c’est surtout Etienne (Bonhomme, le batteur) qui l’adorait et a travaillé beaucoup dessus et « c’est un titre plus apaisé qui est une porte, effectivement, vers le prochain album ».
Le disque à venir est il un reflet de ta « Leonarcohenite » ? demandai je alors à Dominique A : « oui exactement » me rétorque Dominique A et « le titre qui va ouvrir le prochain album s’appelle « la Poésie » et a été écrit suite à la mort de Léonard Cohen » (Novembre 2016).
Les gôuts et influences musicales de Dominique A:
« Unknown pleasures » / 1er album de Joy Division ( 1979) affiche chère à Dominique A dans sa chambre d’ado à Nantes.
Dans sa chambre d’ado, reconstituée dans le cadre d’une exposition sur « 30 ans d’histoire de rock nantais » au château de Nantes, on retrouve certains des goûts musicaux de Dominique A : une affiche « Unknown pleasures » de Joy Division, un album des Cure.. « oui mais pas Psychedelic Furs, groupe que je n’ai jamais aimé « (et donc attribué par erreur!).. « L’influence new wave a toujours été là et restera là même s’il y a quelques années c’était presque infâmant d’évoquer l’esprit eighties »… « sans avoir utilisé des sons typiquement new wave », cette inflence s’intègre à la musique de Dominique A comme une certaine « noirceur » que Dominique A appréciait aussi. Joy Division est d’ailleurs mentionné dans « Nationale 137 » , un des titres additionnels du dernier album, qui relate la rivalité musicale Nantes Rennes , la nationale 137 reliant ces deux villes bretonnes : « quand je suis arrivé à Nantes (1984) les nantais étaient un peu alors considérés comme des « ploucs » me confie Dominique A (Rennes était alors le berceau musical de nombreux groupes/artistes et de manifestations avant que la scène nantaise relève le défi!). Nous évoquons aussi Manset dont Dominique A aimait sutout les 1ers albums et qui reste « sous évalué dans la chanson française ». Philippe Katerine fait partie des amitiés anciennes de Dominique A « on se connait depuis 1990 », et ils ont fait quelques titres ensemble, des duos, des concerts et surtout des fêtes!.. Ils se retrouvaient à nouveau ensemble lors de la soirée « Les rockeurs ont du coeur » en Décembre, sur la scène de Stereolux…, transition voulue pour ma dernière partie d’entretien.
Dominique A, un artiste « engagé »…
Dans une ITV aux « Inrocks » , 2 semaines auparavant, Dominique A déclarait « Pour moi, la notion d’engagement se modifie, c’est moins clivant et caricatural qu’avant, on peut s’engager un peu comme on le ressent…ma vie d’homme a changé« …je voulais en savoir un peu plus, d’autant que, cette dernière année, je l’avais vu dans 2 occasions « solidaires », un concert de l’association « Des liens » puis les « Rockeurs ont du coeur ».
Dominique A/ concert « Des liens » au Stereolux-Nantes en avril 2017 Photo Benoît-weirdsound
Un « engagement lié surtout à des rencontres » me précise Dominique A, qui voulait aussi s’impliquer localement: « Quand je suis revenu à Nantes (en 2015), j’ai rencontré des gens qui s’occupaient d’une asso (les sorties solidaires) puis des gens du resto social ». Dominique A , depuis quelques années déjà, s’interrogeait aussi sur « le fait de jouer en excluant un certain public » et sur ce qu’il pouvait faire pour y remédier, sans recourir à un engagement trop médiatisé, même si une ceraine médiatisation est indispensable pour créer l’émulation!Lorsque l’asso « les sorties solidaires » a du s’arrêter, Dominique A reprit le flambeau, en créant l’association « Des liens » au niveau national, à Nantes bien sûr et dans plusieurs autres villes françaises… Comme le rappelle l’asso, un peu sous forme de slogan « la culture n’est pas un luxe mais une nécessité », « des Liens » est un collectif d’artistes musiciens , acteurs culturels et dessinateurs « pour que les salles de spectacle s’ouvrent davantage aux personnes en précarité ». « Cela fait partie maintenant de mon métier, c’est intégré et non à part » ajoute encore Dominique A qui regrette parfois « l’absence de répondant de certaines personnes » à qui il s’adresse. « Un spectacle ne doit pas être un lieu fermé et il faut aussi que les artistes fonctionnent aussi differemment » et s’engagent: c’est heureusement le cas de certains déjà qui ont rejoint l’asso et Dominique A: le groupe Lazar et le contrebassiste de jazz Sébastien Boisseau à Nantes, La Maison Tellier à Rouen, La Grande Sophie à Paris, Romain Humeau à Bordeaux pour en citer quelques uns….. et Dominique A relance par mail des artistes (comme Cali récemment pour « donner » des places de concert).. Les salles de Stereolux Nantes se sont inscrites aussi dans cette démarche, attribuant 15/20 places pour chaque concert à des personnes en précarité.
https://des-liens.com/
Merci à Dominique A pour cet entretien et bon courage pour la belle tournée qui vient de débuter! (à lire prochain article sur l’after show du concert nantais!)
Dominique A: « ma vie d’homme a changé »…. père et solidaire… entre Loire et Océan … Photo de Vincent Delerm avec l’aimable autorisation d’Auguri productions.
Sur la scène du Stereolux, en arrière plan, les dessins de Philippe Dupuy. Il a lancé il y a quelques années « les concerts dessinés » au théâtre d’Angoulême dans le cadre du festical. Le principe est d’improviser des dessins en direct sur un banc titre pendant la performance scénique d’un artiste. Il a aussi collaboré à une piece mise en scène à partir d’un album de Moriarty où les chansons du groupe venaient ponctuer des projections de dessins en direct et les scènes de la pièce elle même. Est ce qu’il était présent sur scène avec Dominique A, ou est ce que c’etait juste une projection de dessins faits pour l’artiste?
Enfin, vu comme ça, on dirait du Philippe Dupuy…