Un regard nostalgique sur un groupe qui aurait pu être grand par notre collaborateur occasionnel, Ludwig!
C’était avant…
Nous étions jeunes, il y a vingt ans, le neo metal et le punk à roulettes régnaient sur ce monde, et des choses tout à fait oubliables sont sorties et se sont vendues par palettes entières. Quelques noms écument toujours les salles de concerts et les festivals. Mais bien peu, à vrai dire, ont survécu. Les Lagwagon, Millencollin, The Starting Line, P.O.D. et tant d’autres ont eu leur heure de gloire, mais ont vite sombré ensuite, l’effet de mode étant passé. Parmi des centaines de noms de groupe qui ont rempli le Warped Tour 2002 et 2003 (la référence), il en est un qui a eu son petit succès, une pépite un peu laissée dans l’ombre depuis, peut-être plus qualitatif que les autres, mais qui a malheureusement fini lui aussi par disparaître : Rufio.
Un Live de 2003 (Warped Tour)
Si vous êtes au moins quadra, vous connaissez Rufio, le héros du légendaire film Hook, avec le regretté Robin Williams. Là, nous sommes dans l’ère Napster, eMule, Kazaa, et la France, pays de variétoche ne jetait qu’une oreille distraite et un œil parfois dédaigneux au rock, au vrai, celui des montagnes d’amplis, de la rage et des décibels. Pour nous, alors adolescents, découvrir cette musique demeurait une gageure au temps des cassettes et des lecteurs mp3 de 32Mo. On avait quelques magazines, quelques revues, dont certaines existent encore, mais nous n’étions pas aidés par des circuits de distribution classiques (Fnac, Virgin etc.) qui ignoraient purement et simplement ce qui se faisait outre-Manche, et encore plus outre-Atlantique.
Alors, grâce aux débuts du Peer2Peer, je suis tombé sur eux, Rufio. Une intro qui reprend le film déjà cité, une montée en volume et un riff. Et quel riff! Puissant, rapide, mélodique, propre… Une production bien léchée pour un si jeune groupe, une basse qui vrombit, et une batterie bien énervée. Je venais de me mettre Above me dans les oreilles, premier titre de leur album Perhaps…I suppose (2001) J’en ai tout de suite voulu plus, bien plus.
Bien plus que du punk à roulettes!
Dire que Rufio démarre sur les chapeaux de roues est un euphémisme, ce premier brûlot est déjà un coup de maître. Riffs puissants, harmonies de guitare, batterie frénétique, basse inventive, servie par la voix fluette de Scott Sellers. Le groupe se permet tout, une balade avec One Slowdance ou Tears qui est étourdissante avec sa belle ligne de basse bien mise en avant, une reprise de Like a Prayer de Madonna. Les morceaux sont rapides, intelligents, les mélodies imparables. Les quatre membres, qui se sont rencontrés au lycée, déroulent une musique qui est bien plus que du punk à roulettes. Ils ont bien digéré leur heavy metal tant il imprègne les chansons. Les chœurs sont présents, les textes plus matures que ce à quoi nous ont habitué leurs contemporains.
2003 : ils quittent leur premier label pour Nitro Records, une plus grosse structure (celle de Dexter Holland de The Offspring quand même) pour sortir MCMLXXXV, leur second album, produit par Nick Raskulinecz (Foo Fighters, Deftones…), excusez du peu. Le rythme est un peu plus lent, les compos plus posées comme White Lights, Goodbye, Over it ou Science Fiction mais le groupe n’en oublie pas ses racines avec les excellents Set it Off, Control. C’est là encore très mature, très intelligent, et les musiciens tournent intensément, en première partie de The Ataris, MxPx, Senses Fail, Autopilot Off ou Relient K. Le succès d’estime est là, les ventes sont honorables, mais pas assez pour leur assurer une tournée en tête d’affiche.
Le début de la fin… partir et revenir
2005, le combo de Rancho Cucamonga (Californie, comme par hasard) remet le couvert avec l’album de la maturité, qui vient compléter une triplette de perles, The Comfort of Home. L’album est là encore réussi, avec des mélodies toujours aussi inspirées, des chansons finement taillées pour des guitares en grande forme. Les touches punk-rock sont également présentes, et servent parfaitement leur musique qui sort clairement du lot. Out Of Control, le premier single est loin, très loin de la concurrence. La basse de Jon Berry y est impériale, les guitares de Domae et Sellers plus créatives que jamais, la batterie de Mike Jimenez est plus subtile et plus inventive.
Citons les quelques interludes qui ponctuent l’album entre de superbes titres comme Questions&Answers, Never Learn ou le très beau A View To Save. La sauce prend, sauf auprès du public qui est passé à autre chose. La qualité globale est excellente, la musique est un vrai régal, mais la mode a changé. Trop différent de ce qui se faisait alors, Rufio qui vire vers du classic-rock peine à émerger. C’est ce qui cause le départ de Jimenez et Berry en 2006 pour les éternelles « divergences musicales ». Les deux survivants tentent bien de subsister avec d’autres musiciens, mais le mal est fait, Rufio n’existe plus.
En 2010, ils remettent pourtant le couvert pour un chant du cygne, avec une nouvelle section rythmique, Terry Stirling Jr derrière les fûts et Taylor Albaugh à la quatre cordes. L’album est bien reçu, Anybody Out There, constant dans sa qualité et dans son approche libérée de toute contrainte mercantile. Rufio joue la musique qu’il aime, point. Là encore, c’est très rock, les mélodies sont très belles, plus posées, toujours plus travaillées. Tout l’album est recommandable, de Drunk In Love au morceau titre, de Gold and Silver à This I swear. Tout coule avec facilité, la musique est belle, dégage encore et malgré tout une certaine pureté.
Epilogue: séparation mais pas d’oubli pour les fans!
Cela ne suffira pas. Le groupe se sépare en 2012. Ils se reverront sur scène en 2015 pour un dernier concert qui ne donnera rien de plus.
L’histoire de Rufio, comme tant d’autres, est celle d’un super groupe, avec d’excellents musiciens dont le tort a été de ne pas faire la même musique que les autres. Si leur premier album pouvait servir de bande son à des jeux vidéo de skate ou à des clips MTV, leur musique allait bien au-delà de ça. Plus riche, plus profonde, elle méritait bien plus que ça. Signe d’une époque révolue, tous les groupes pour lesquels ils ont ouvert ont disparu eux aussi. Piètre consolation.