En parallèle de notre couverture de la première édition de l’Ocean Fest à Biarritz, nous avons eu l’opportunité de passer un moment en compagnie du DJ et producteur Worakls et du journaliste Hugo Clément. Amis dans la vie (Worakls a notamment composé la B.O du documentaire Sur le front des animaux menacés), le duo a décidé de créer un évènement festif et positif, alliant musique et protection de l’environnement : L’Ocean Fest était né!
Les deux partagent une éthique, des convictions, et un engagement réel pour la protection de l’environnement : Je suis ravi de pouvoir proposer à vous, lecteurs et lectrices, un article prenant un peu de recul sur le monde de l’évènementiel et de la musique. J’espère que vous prendrez autant de plaisir à lire cette interview, que j’en ai eu moi même à la réaliser. Bonne lecture!
WS : Comment vous est venue l’idée du festival ?
Worakls : On a eu l’idée lors de l’un mes passages sur la région à Seignosse, Hugo était venu m’écouter et en discutant ensemble, l’idée du festival est née, ça c’est fait naturellement. Hugo est le spécialiste et celui qui va parler de l’environnement. Pour ma part, concernant l’organisation de l’évènement, j’ai bossé sur la programmation ainsi que sur les autres aspects qui relèvent du monde du spectacle ou de l’évènementiel, c’est là où j’ai de la valeur ajoutée.
WS : Comment s’est fait le choix de l’association financée pour cette première édition, à savoir Sea Sheperd ?
Hugo Clément : je voulais une association liée à l’Océan puisque c’est le concept du festival, lever des fonds pour la protection des océans, et le choix de Sea Sheperd s’est imposé assez naturellement. J’ai beaucoup travaillé avec eux pour des tournages, et en ce moment ils sont sur tous les fronts notamment pour la protection des dauphins et sur le sujet de la surpêche. Par ailleurs ils sont sur des actions concrètes pour filmer et informer les gens concernant certaines pratiques destructrices et qu’on ne montre jamais en temps normal. Pour faire cela ils ont nécessairement besoin de fonds.
L’idée c’est bien entendu de sélectionner d’autres associations pour les prochaines dates !
WS : Pour le grand public, Sea Sheperd ça se résume parfois à des mecs en zodiac et en tenues noires qui partent en mer pour dérouiller les criminels qui pêchent des espèces protégées…
Hugo : Il faut bien préciser que Sea Sheperd c’est de l’action non violente ! Ils sont dans une logique d’action directe mais non violente. Ils ont une image de guerriers, et c’est très bien, car se sont vraiment des guerriers de l’océan, mais c’est toujours non violent. Il n’y a jamais d’agression, il leur arrive de s’opposer, par exemple en se mettant en travers de la route d’un bateau de pêche pour protéger une baleine. C’est une ligne de conduite de l’association, pas d’action violente.
WS : Ce soir, il y a une super programmation, tous les artistes ont accepté d’emblée de participer ?
Hugo : Oui, ils ont accepté tout de suite, alors que c’est bénévole ! C’est top et ça prouve qu’il y a plein d’artistes qui sont prêts à s’engager, pas forcément en prenant la parole, car peut s’avérer compliqué et tout le monde n’aime pas ça. Mais ils sont prêts à y consacrer de leur énergie, de leur temps et de leur talent…C’est aussi une manière de s’engager ! On est super flattés d’avoir des artistes aussi importants ce soir.
WS : Après cette soirée, Qu’est-ce qui vous ferait dire que cette première édition est réussie ?
Hugo : Mission accomplie si déjà les gens ont passés un bon moment, dans cette période un peu tristoune on en a bien besoin, ensuite si on a réussi a récolter des fonds pour l’association, et enfin si tout c’est bien passé du point de vue de l’organisation : la sécurité etc. Enfin évidemment, que les artistes passent un bon moment!
WS : Ça a l’air bien parti pour en tout cas !
Hugo : On est au tout début, ça fait que deux heures qu’on a ouvert les portes, faut pas trop s’avancer (rires) En tout cas j’espère qu’on va tous passer un bon moment et qu’on va réussir à financer l’association !
WS : Ce soir vous affichez complet avec près de 4500 personnes présentes, pour la suite vous imaginez des éditions avec des jauges plus importantes ?
Hugo : Oui ce soir nous sommes en jauge max, toutes les places sont parties en 48H, il y a eu un super engouement. Dans les faits on pouvait surement faire plus grand, mais nous souhaitions que ça reste à taille humaine sans oublier que c’est une première fois ! Je n’ai jamais organisé ce genre d’évènement auparavant !
La prochaine édition sera surement sur deux jours, peut etre dans une salle ou un endroit un peu plus grand, ça reste à caler. Mais on restera sur une taille raisonnable.
WS : Et monter un évènement énorme serait peut être une contradiction avec la finalité écologique du festival…
Hugo : Oui exactement, déjà réunir 5000 personnes à Biarritz en hiver, c’est super bien. Dans l’ADN de l’évènement on souhaite avoir le moins d’impact possible, c’est un festival zéro plastique, tout est végétarien, on a mis un système de navettes en bus avec une grosse fréquence pour les festivaliers pour les inciter à ne pas venir en voiture. Les artistes sont majoritairement venus en train. Nous ne sommes pas zéro impact, c’est impossible pour un évènement de cette taille, mais tout est question de mise en balance entre ce qui est positif et le reste ! On vise le moins d’impact possible et on continuera de s’améliorer autant que possible.
WS : Ça pourrait donner des idées à d’autres festivals existants et qui peinent parfois à s’améliorer sur le sujet environnemental!
Hugo : Je n’ai vraiment pas cette prétention ! Ça serait très « petit con » d’avoir cette posture ! (rires) Nous on tente de faire du mieux possible pour notre truc, sans donner de leçon aux autres qui sont là depuis des années. Je suis persuadé que la plupart tentent déjà de faire au mieux, chacun avance à son rythme.
WS : Dans quelques éditions, est ce que vous envisagez d’engager une démarche de mesure de l’empreinte carbone de l’évènement, dans une logique d’amélioration continue ?
Worakls : Oui ça serait un peu l’idée, maintenant il nous faudra un peu de temps et des personnes spécialisées sur la mesure carbone que nous n’avons pas encore aujourd’hui. Déjà pour cette première édition, nous sommes contents de voir que la majorité des festivaliers viennent de la région !
Pour aller plus loin sur le sujet : https://piochemag.fr/avec-le-projet-declic-les-salles-de-concert-et-les-festivals-veulent-decarboner-le-live/
WS : Alors moi je suis venu en avion depuis Dubaï et je repars demain matin dans l’autre sens…(rires). Changeons de sujet : A titre personnel et en tant qu’artiste, Worakls, quelles ont été tes motivations pour lancer le projet du festival ?
Worakls : je suis évidemment sensible à l’écologie, c’est un sujet qui m’intéresse et pour lequel je souhaite agir. Hugo à sa manière est surement plus spécialiste que moi, mais que ce soit lui, ou d’autres amis que j’ai, j’essaie de les aider à travers ce que je sais faire moi à savoir de la musique ! J’essaie de rester à ma place à ce niveau-là, je ne souhaite pas de venir une sorte de gourou écolo (rires)
Je préfère les écouter parler, par exemple avec Hugo J’apprends plein de choses, et je suis absolument fan de ce qu’il fait. Là ce qui m’a plu, c’est que c’est une manière différente de faire de l’écologie : L’écologie c’est assez souvent barbant, parce qu’on apporte que des mauvaises nouvelles, c’est un peu morose et un peu anxiogène…Alors que ça ne devrait pas l’être en fait ! On devrait aussi pouvoir le faire dans la bonne humeur et essayer de véhiculer ça à travers des bonnes émotions ! Nous avons donc eu l’idée d’un évènement pour récolter de l’argent pour une association qui elle va se charger de faire de l’écologie sur le terrain.
WS : comme le disait Hugo, c’est aussi un moyen de permettre à des artistes de s’engager pour la cause écologique.
Worakls : Exact, Il y a un effet double : participer activement en finançant une asso, et engager tous les partenaires de l’évènement sur le sujet : que ça soit les artistes qui jouent gratuitement ou toutes les autres personnes qui s’investissent sur le festival et qui donnent de leur temps bénévolement.
Concernant les artistes, quand on veut opérer un virage écologique, c’est un choix qu’il faut être prêt a assumer parce que l’on va cliver notre public : Il y a des gens climato sceptiques, d’autres qui sont pro extraction de pétrole…Et ça depuis que j’ai fait ce virage je le constate, dès que je fais quelque chose en faveur de l’écologie je reçois des messages pas forcément agréables mais je l’accepte, ça fait partie du jeu.
WS : tu reçois beaucoup de messages de ce type-là ?
Worakls : Oui ça arrive régulièrement, des personnes qui m’écrivent sur les hydrocarbures pour me dire que nous sommes bien obligés d’en extraire, d’autres qui remettent en cause le réchauffement planétaire…
WS : Ah oui quand même, ça va loin !
Worakls : Il faut accepter que certaines personnes, même dans mon public, n’aient pas forcément le même niveau d’informations que toi et moi concernant le climat. Je prends ça avec du recul et je fais preuve d’un maximum de pédagogie, en essayant d’informer et en choisissant de répondre ou non.
WS : Pour reprendre et résumer ton propos, s’engager en faveur de l’environnement et faire ce choix en tant qu’artiste est donc clivant et peut être un frein à l’action ?
Worakls : Tout a fait, et tous les artistes ne sont pas prêts à faire ce choix je pense. Tu sais que tu vas nécessairement diviser ton auditoire, alors que ton but en tant qu’artiste c’est de propager un maximum ton art auprès du plus grand nombre : Dans cette logique, tu es donc perdant. Par contre, grâce à un évènement comme l’Ocean Fest, ils peuvent venir jouer et donner de leur temps pour l’écologie sans pour autant y aller de manière trop radicale.
WS : J’aime beaucoup des artistes comme Molecule ou Thylacine, qui ont une forme d’engagement pour l’environnement qui est innée. C’est au cœur même de leurs créations…
Worakls : Thylacine on se connait bien, c’est effectivement un écolo convaincu !
WS : Là je te cite des cas pour qui ça tombe sous sens.. Sinon comment peux-tu amener un message ou une conscience écologique à travers ton art si tu es désireux de le faire ? Toi par exemple, à travers tes compositions comment tu introduis ça ?
Worakls : J’ai la chance d’avoir des amis comme Hugo, Camille Etienne ou Bon Pote (NDL : Thomas Wagner)
WS : Bon Pote je le connais à titre professionnel, c’est extraordinaire ce qu’il fait, il envoie de lourd !
Worakls : C’est net ! Thomas par exemple, typiquement c’est une sommité dans son domaine, il connait son truc parfaitement, moi j’écoute et je bois ses paroles (rires)
De mon côté je ne vais pas me prétendre expert en climat, encore moins en parler sur scène ! Dans mon cercle privé, j’en parle parce que je peux me permettre de le faire, en public non. Je préfère me positionner sur ce que je sais faire, de la musique. C’est ma manière d’aider du mieux que je peux Hugo ou Camille (Etienne) en faisant les BO de leurs documentaires ou reportages.
WS : Oui, tu prends ta part du combat à travers tes compositions pour eux…
Worakls : Non seulement je prends ma part, mais en plus je prends du temps pour le faire, je m’investis complètement là-dedans pour les aider à passer le message. Peut-être que si je ne le faisais pas, ils utiliseraient des morceaux qui seraient moins adaptés, et si ça se trouve le message passerait peut etre 1% moins bien ! SI je contribue à ce niveau-là , ça vaut déjà le coup ! Je n’ai pas à prendre la parole, je concentre mon énergie en essayant de me mettre au maximum à la disposition de ceux et celles qui sont des spécialistes, mais je reste dans mon domaine.
WS : Le monde de la musique et plus largement de la culture a débuté un début de transition écologique, Les évènement tendent à devenir éco responsables, mais est-ce possible pour les mastodontes du genre (Tommorow Land, Dour..) de se réinventer sur un modèle plus vertueux? Faut-il faire des choix allant vers des jauges plu petites et des shows moins dans la démesure sur scène ?
Worakls : La problématique sur ces grands évènements c’est la logistique et le transport, plus que l’évènement en lui-même. C’est surtout le transport des festivaliers qui pose question, tu as ça dans une étude sur…
WS : Bon Pote il me semble ? Je l’ai lu aussi (rires)
Worakls : Oui exactement. Les artistes ne représentent qu’une toute petite partie de l’empreinte carbone sur ce genre de festival, à l’exception de quelques-uns qui ont une logistique de malade comme Rammstein…
WS : Ah là pour le coup ils sont sponsorisés par Total, vu le nombre de camions sur les routes et la pyrotechnie sur scène (rires)
Worakls : Le vrai point noir c’est le transport en avion pour venir au festival, notamment pour ces gros festivals qui attirent beaucoup de monde du fait de leur réputation et de leur programmation. Sur un Coachella, je pense que la première source d’émission c’est les festivaliers. L’évènement à une aura mondiale, les participants viennent des quatre coins du monde en prenant l’avion.
WS : trier les gobelets et ramasser les cartons ce n’est peut-être pas suffisant en fin de compte ? La question est ironique…
Hugo : Bien évidemment, il ne faut pas dénigrer les petites actions, il faut faire tout ce qui va dans le bon sens, mais ce n’est pas ça qui va nous sauver ! Les meilleures solutions c’est sans doute de réduire les jauges pour faire des évènements à taille humaine et éviter d’engranger des vols en avion.
Pour aller plus loin sur le sujet : https://piochemag.fr/festivals-en-mouvement-50-festivals-sengagent-pour-les-mobilites-durables/
WS : En tant qu’artiste tu es parfois aussi sous le feu de la critique, je me souviens d’une photo publiée par le label Ed Bangers, où des DJ du label posaient devant le jet privé qui les emmenaient aux USA. Ils se sont fait lynchés sur les réseaux sociaux ! Quand tu es DJ avec des sollicitations partout sur la planète, ça doit être compliqué de dire non à des propositions de festivals côtés ou de super salle de concert ?
Worakls : Personnellement je le fais régulièrement, je refuse de participer à des évènements et ce depuis longtemps.
WS : pour le coup, c’est un choix super engageant !
Worakls : Encore une fois, je ne suis pas à faire la morale aux autres, mais en ce qui me concerne je ne prendrai jamais l’avion pour une seule date. Pour moi c’est un état d’esprit, chaque décision implique une question écolo, à titre perso ou pro. Par exemple, Quand j’achète à manger, si les fruits viennent du Pérou ou d’un autre pays à des milliers de kilomètres, je n’en prends pas : J’applique la même logique quand il est question de mes déplacements.
J’étais révolté contre les jets privés, bien avant les débats de l’année dernière, hormis des cas ultra spécifiques il n’y aucune raison d’avoir recours à ce genre de vol. J’ai toujours rêvé d’aller jouer au Brésil, ça fait 15 ans que je fais de la musique électronique et je n’ai jamais eu l’occasion, parce qu’à chaque fois que j’ai eu l’opportunité de le faire, on me proposait qu’une date : écologiquement ça n’a pas de sens ! Là je vais y aller pour la première fois, dans le cadre d’une tournée en Amérique du Sud, mais tu vois j’ai attendu que ça puisse se faire sur un déplacement de plus d’un mois.
Je pense sincèrement que la musique est faite pour être diffusé au plus grand nombre, comme toutes les autres formes d’arts, et les artistes doivent continuer de se déplacer, mais il faut juste faire preuve de bon sens : Tu peux prendre le train, ou d’autres moyens de transport.
Je ne veux pas d’un monde sans art et je souhaite autant que possible être au contact du public, hors de question de rester chez moi, mais il faut juste milieu.
Pour aller plus loin sur le sujet : https://bonpote.com/peut-on-separer-le-bilan-carbone-de-lartiste/
WS : Oui, une chaine Youtube aura du mal à compenser l’émotion et l’interaction que provoque le live !
Worakls : Oui exactement ! Charité bien organisée commence par soi-même, je me remets en question régulièrement, mais on peut avoir un comportement responsable compatible avec les enjeux écologiques, même quand on est artiste ou journaliste.
WS : Oui dans le cadre de reportage tu es bien obligé de te déplacer et de faire des aller/retours sur des délais courts…
Hugo : Il faut se dire qu’avec reportage pertinent sur le terrain, tu peux toucher des dizaines de milliers de personnes, ça vaut la peine de te déplacer pour ça !
Worakls : Attention à la course à la « pureté » aussi ! Personne n’est irréprochable.
WS : On est dans une époque où on tombe très vite dans le name and shame, parfois à tort…Tu vas te faire afficher sur les réseaux sociaux avec un retour de bâton hyper violent.
Worakls : Oui, un peu de bienveillance ça fait pas mal de temps en temps, personne n’est parfait (rires)
WS : Il va être temps de conclure, Hugo, tu es engagé à 200% pour la protection de l’environnement et des espèces animales et ce depuis des années, as-tu l’impression que les choses changent et vont dans le bon sens ? Je voudrai bien une bonne dose d’optimisme pour finir mon article (rires)
Hugo : Les gens sont de plus en plus conscients des problèmes, et beaucoup s’engagent, après le changement est lent et difficile, il faut l’adhésion d’une majorité, notamment des politiques pour que les choses évoluent. C’est un combat de tous les instants, ça va prendre du temps, ce n’est pas gagné mais ce n’est pas perdu non plus ! C’est donc maintenant que ça se joue et il faut mettre toutes nos forces dans la bataille !
Le temps est passé très vite et nous avons gentiment explosé les compteurs du créneau d’interview qui nous était imparti. La discussion se conclue sur la future édition 2024 et sur des noms d’artistes qui pourraient en être, on va d’ailleurs tenter quelques mises en relation !