Molécule ! Voilà un DJ et producteur français que j’affectionne énormément, mais sur lequel j’ai finalement très peu écris ici depuis 3 ans, honte sur moi. Romain Delahaye (sa vraie identité) est un spécimen quasi unique à l’heure actuelle dans le monde de la musique électronique. Les sonorités de son avant dernier album, 60° 43’ Nord, ont été en grande partie enregistrées durant un mois passé sur un chalutier en haute mer. Le dernier album, – 22,7°C n’est pas en reste lui non plus ! Cette fois ci c’est la banquise de Groenland qui a servi de terrain de jeu et d’expérimentation à Molécule, ce dernier n’hésitant pas à risquer sa propre vie pour faire ses prises de son.
Un petit reportage vidéo sur les conditions d’enregistrement extrêmes de -22,7°C
Ces deux albums se vivent comme une expérience sensorielle entière. Sur -22,7°C il suffit de fermer les yeux et de se laisser aller pour imaginer la banquise polaire à perte de vue. Mettez la tête dans le frigo, pour une expérience encore plus intense! Au-delà du son, la musique de Molécule est une invitation au voyage et surtout, à l’écoute de la Nature.
Le morceau Sila extrait de -22,7°C, une pure merveille !
Lorsque la programmation 2019 du Printemps de Bourges nous est parvenue, j’ai fait des petits bonds dans mon bureau en criant un truc du genre : « YESSS !!! ». Molécule était annoncé pour un concert-événement le jeudi 18 avril. Pourquoi « événement » me demanderez-vous ? Pour ce set, Molécule utilise une technologie de spatialisation sonore à 360°, grâce à un système de douze enceintes réparties dans toute la pièce et reproduisant le plus fidèlement possible les sons. C’est le fabricant L-Acoustics qui est à l’origine de la création de ces petites merveilles, permettant une expérience inédite en concert, et une immersion d’autant plus forte dans la musique. La musique devient vivante, elle se déplace, sans pour autant perdre en qualité. Molécule n’est pas le seul musicien qui participe à cette révolution artistique. Arnaud Rebotini, Dj Chloé, Jacques et NSDOS sont eux aussi venus travailler sur cette technologie, mise à leur disposition à la maison de la radio à Paris.
Cerise sur le gâteau, l’organisation du festival nous a autorisé à rencontrer Romain lors d’une conférence de presse afin de lui poser quelques questions. A cette occasion, il est accompagné de Hervé Déjardin, ingénieur son au département innovation de Radio France et ami de longue date. Hervé va assister Molécule durant le concert, en se chargeant du déplacement des sons dans la salle.
En introduction, c’est justement Hervé Déjardin qui revient sur la prouesse technologique que représente cette nouvelle approche de la sonorisation des salles de concerts :
Hervé Déjardin : Ce qui me plaît c’est de proposer au public une expérience nouvelle. Cette expérience perturbe les sens, c’est quelque chose à la fois intime et très collectif, quelque chose de l’ordre la communion !
Romain (Molécule) complète la réflexion de son ami, en y apportant son opinion en tant que musicien :
Romain Delahaye : Cela influence mon jeu en concert. il y a une part d’improvisation importante et là au REX on a joué 1h40. Cela étire, ça donne vie à certains sons qui sur une stéréo sont noyés, là j’ai envie de jouer sur ce son et le triturer presque jusqu’à l’infini.
Bien entendu, il est aussi question des conditions dans lesquelles vont se dérouler le concert, à savoir dans le noir quasi intégral ! Le duo a déjà fait le coup au Grand Rex à Paris quelques jours auparavant :
H D : Le fait de plonger les gens dans le noir, cela les rend beaucoup plus en osmose avec le son. Je m’amusais à mettre tous les sons à un endroit, puis à les déplacer d’un coup, et les gens criaient, ça générait des réactions enflammées !
R D : C’est aussi une manière de prendre le contrepied des scéno actuelles des festivals, qui ont tendance à jouer sur la démesure, là la salle est entièrement plongée dans le noir !
Après ces quelques questions sur l’aspect technique de la performance, nous nous attaquons à la forme !
WS : Selon toi, la musique, et notamment la musique techno, est-elle un bon vecteur pour tenter de sensibiliser l’auditoire à la cause environnementale ? Nous avons eu la chance de te voir jouer près de Nantes, dans le cadre du collectif qui militait pour l’abandon du projet d’aéroport…
R D : Mine de rien, à Notre Dame des Landes on a gagné ! Je me souviens que j’étais programmé juste après Didier Super, je me suis demandé si j’allais monter sur la scène finalement…(rires). Pour te répondre, je ne fais pas les choses par militantisme, je ne pense pas que ça soit une bonne approche de vouloir à tous prix convaincre les autres de la justesse d’une cause en les bassinant avec des messages accusateurs ou culpabilisants.
De même, je préfère être modeste, je ne sais pas si ma musique à une influence directe sur les personnes qui l’écoute. J’espère juste contribuer à mon niveau, a l’éveil des consciences sur l’état de notre planète! J’essaie de capter les sons provenant de la Nature, car à notre époque, il est très difficile d’avoir ses moments de calme où tu peux entendre tous ces sons sans parasitage par l’activité humaine. C’est une manière de rendre hommage à la beauté de notre planète, que nous oublions trop souvent, malheureusement.
WS : Ta musique est une forme d’appel à la contemplation, fortement liée à tes méthodes d’enregistrements en pleine nature. Ce n’est pas un peu paradoxal à une époque où une majorité de l’humanité vit en en milieu urbain, entourée de bruits artificiels ? De même, dès que l’on sort de chez nous, on a tendance à passer le plus clair de notre temps un casque vissé sur les oreilles…
R D : C’est complètement ça ! Nous vivons de plus en plus éloignés de la Nature en fin de compte. A travers ma musique, je tente de faire redécouvrir ces sonorités…dans un cas comme le Groenland, ce qui est assez tragique quand tu y penses, c’est que les sons enregistrés (cf : le bruit de la glace et des iceberg) pourraient venir à totalement disparaître à cause du réchauffement de la planète.
WS : et pourquoi partir aussi loin ? Sans compter les risques encourus !
R D : concernant les risques, il y a eu effectivement des moments où on s’est fait bien peur (rires) ! Le voyage est une sorte de nécessité pour couper les ponts avec le monde moderne, et je tente d’aller dans des endroits qui représentent une forme de défis pour moi, autant artistique que personnel.
WS : A ce sujet, puisque tu pars dans des régions désertes et sauvages pour réaliser tes prises de son, et ce pendant plusieurs semaines, le retour à la civilisation n’est pas trop dur ?
R D : Physiquement, ça l’est forcément. Je me souviens, quand je suis rentré du Groenland, quelques jours après je jouais à Mexico devant 8000 personnes…ça a été très compliqué, j’ai pris une différence de température de plus de 25 degrés d’un coup, j’étais super malade !
Après, je ne suis pas un sauvage qui pars se réfugier dans des endroits reculés. J’apprécie le quotidien ici, de plus quand tu pars au milieu de nulle part pendant longtemps, il y a un moment où tu es aussi super content de rentrer pour voir tes proches… tu savoures beaucoup plus le moment des retrouvailles en fait : le retour est plus intense !
WS : Tu as une idée de ta prochaine destination d’enregistrement justement ?
J’ai effectivement des projets en tête, mais pour l’instant je ne peux pas en dire plus…
WS : Un pays chaud peut être pour une fois ?
R D : oui c’est une hypothèse à creuser ! (rires)
Il faut malheureusement terminer notre discussion, vingt minutes, c’est court finalement…
Musique venue du froid pour ambiance volcanique!
A 21H, nous nous rendons donc à la salle du Duc Jean, en plein centre historique de Bourges. L’occasion pour nous de découvrir un peu mieux cette jolie ville et de sympathiser avec les tenanciers de bars. Le set de Molécule a été décalé de deux heures, ce qui nous oblige à faire un choix douloureux en renonçant à aller au Nadir pour écouter Namdose et nos amis du Villejuif Underground ! Petite appréhension quand nous arrivons devant la salle, il y a une longue file d’attente, heureusement, nous sommes bien inscrits sur la liste des convives.
Nous rentrons. La Salle du Duc Jean est splendide, il s’agit d’une ancienne salle de réception du palais du Duc Jean de Berry (1340 – 1416) construite dans un style gothique typique de cette époque. D’emblée nous remarquons la vapeur/fumée qui a été volontairement diffusée dans la pièce, un seul éclairage est suspendu en hauteur sous la voute de la salle, cela contribue à donner une ambiance très particulière à l’endroit. Les personnes présentent se distinguent à peine à deux mètres alentours, les autres ne sont que des formes diffuses. Difficile de dire combien nous sommes : une centaine peut être ?
Molécule a installé ses machines au milieu de la salle, laissant le public s’installer tout autour de lui. En attendant le début du set, nous en profitons pour aller voir de plus près les fameuses enceintes installées un peu partout dans la pièce. La lumière s’éteint, dans une salle seulement éclairée par ses consoles et machines, Molécule prend place accompagné de Hervé Déjardin. Dès les premiers instants, nous comprenons que nous allons vivre quelque chose d’incroyable !
Les sons semblent réellement faire le tour de la pièce, l’auditeur est littéralement dans la musique. Le simple fait de se déplacer de quelques mètres entraine une variation de la manière dont nous percevons la musique. L’expérience est déroutante pendant quelques minutes ! C’est Aria, présent sur l’album -22,7°C qui ouvre le bal, la musique nous encercle, une seule solution, se terrer dans un coin en pleurant, ou bien se laisser aller : nous choisissons la seconde solution !
Plongés dans l’obscurité, éclairés par intermittence par quelques jeux de lumières très discrets, une forme de transe chamanique s’empare de la petite assemblée, tout le monde danse. Je reconnais des morceaux de 60° 43’ Nord notamment Abysses, toujours aussi sublime.
Progressivement, dans une ambiance de célébration primitive, toute la salle n’est plus qu’ombres et mouvements, je me promène, d’un coin à l’autre, le son évolue au gré de mon déplacement, sans jamais perdre de son intensité. Oui, in-ten-se, c’est le mot qui convient ! C’est rare qu’une performance live me fasse autant d’effet, nous atteignons un niveau de transcendance (certains se moqueront, mais j’ose le terme) rarement égalée. Dans un moment de lucidité, tout en me dandinant, je me dis que je vis pour ces moments-là : ça sonne comme la musique devrait toujours sonner !
Climax émotionnel : Sila! Les premiers instants sont magnifiques, les voix prenant vie et résonnant sous la voute de la vénérable salle du Duc Jean. Le temps reprend ses droits bien de trop rapidement à mon goût ! Une heure s’est écoulée en l’espace d’un battement de cil. Après une dernière envolée, la musique s’arrête, et la lumière revient, sous les acclamations du public, visiblement plus que enchanté par le moment qu’il vient de passer. Toujours dans cette ambiance de secte de Fin du Monde, nous quittons les vapeurs et la fumée pour rejoindre la nuit et le calme des rues de Bourges. Difficile de revenir à la réalité après avoir vécu une chose pareille…merci Romain !