Si le blues devait avoir un nom ce serait certainement le sien.
Robert Johnson demeure incontournable en matière de blues et n’aura de cesse d’influencer de nombreux artistes tels Muddy Waters ou bien encore John Lee Hooker. Il se dit même que son ombre plane encore au- dessus du Mississipi, lieu où il est né.
C’est en effet en 1911 qu’il voit le jour, durant une période où règne la ségrégation raciale. Cette certaine animosité envers la population noire vivant aux Etats Unis aura certainement marqué son esprit de jeune homme et fera naitre en lui un sentiment d’isolement, le thème de l’errance se retrouve d’ailleurs dans nombre de ses chansons telles que Sweet Home Chicago.
« But i’m crying Baby, honney don’t you wanna go
Back to the land of California
To my sweet home Chicago’’
Robert Johnson.
Les titres que l’artiste a enregistré sont au nombre de 35 pour les uns, 30 pour d’autres mais dont une, Mister downchild aurait été gardée par le Malin et découvert longtemps après sa mort, elle sera reprise par d’autres artistes blues comme Sonny Boy Williamson. Tous, en revanche, s’accordent à dire que ces titres auraient été enregistrés lors de deux uniques sessions en 1936 et en 1937. C’est d’ailleurs à l’âge de 25 ans qu’il inscrit à jamais dans l’histoire de la musique des titres tels que Believe I’ll dust my broom, come in my kitchen, Terraplane Blues et bien d’autres.
Certains penseront peut être qu’il ne s’agit pas d’une œuvre prolifique, et pourtant les quelques minutes qu’ils contiennent suffisent à le rendre immortel.
Ils sont regroupés au sein de l’album King Of The Delta Blues Singers sorti en 1961 pour le premier volume puis en 1970 pour le second, sur Columbia Records, période où l’œuvre de Johnson est remise au goût du jour notamment à cause de l’effervescence musicale qui a lieu à ce moment là.
L’album commence par la chanson Crossroad Blues.
“Standing at the crossroad, risin’ sun goin’ down
» I believe to my soul now,po’ Bob is sinkin’down’’
Cette dernière fait probablement référence à l’histoire qui alimente la légende de l’artiste. Il a souvent été raconté par Robert Johnson lui-même qu’il avait vendu son âme au diable un soir de pleine lune, alors qu’il se tenait à un carrefour.
Il aura probablement été inspiré des expériences de son mentor, Ike Zimmerman lui-même guitariste, qui assurait devoir la maitrise de son instrument à la fréquentation assidue de cimetières…
Une question se pose toutefois : cette rencontre ne serait-elle pas une allusion à celle que l’artiste fait avec son double qui lui fait alors prendre conscience de son talent?
Quoi qu’il en soit, si nous tenons ses dires pour vrai, nous pouvons nous interroger sur ce qui anime sa musique : chacun de ses titres laissent surgir à chaque écoute une énergie telle donnant l’impression qu’une force transcendantale s’empare de nous.
Une chose est certaine : le diable, Robert Johnson l’avait aussi au corps comme en témoigne l’amour inconditionnel qu’il portera aux femmes. Ces dernières n’auront d’ailleurs de cesse de l’inspirer : la chanson Love in Vain , reprise trente années plus tard par les Rolling Stones au sein de leur album Let It Bleed, mettra en scène une attente infinie dans l’espoir d’un amour qui arrivera à panser l’âme tourmentée du bluesman.
«When the train it left the station with two lights on behind
Well the blue light was my blues and the red light was my mind ».
Robert Johnson.
Nous avons ici la confrontation directe de l’essence des compositions de l’artiste : le blues et l’âme dont la couleur rouge qui lui est attribuée pourrait être considérée comme une allusion à la gente féminine.
La femme serait-elle la figure démoniaque qui le hante ?
Cela pourrait toutefois signifier que les deux choses qui le consument sont le temps et la passion. Cependant, Robert Johnson sera plus fidèle à sa guitare qu’à toutes ses petites amies.
Loin d’adoucir les mœurs, la musique parviendra toutefois à donner sens aux siennes. Le blues qu’il traînera sa vie durant et avec lequel il jouera continuellement prendra forme sous ses doigts aux sons des notes de guitare identifiables entre toutes et bercées par une voix puissante, comme pour dissimuler une sensibilité exacerbée.
Robert Johnson est un mythe, un prophète du blues, une légende populaire que chacun peut appréhender en fonction de ses affects. Il est celui qui a ouvert la voie et qu’on suit sans pour autant parvenir à mettre un visage sur un nom, que l’on prononce comme une parole sacrée. Il est aussi l’Artiste prêt à tout pour atteindre la perfection, afin de faire taire certaines des plus virulentes critiques comme celle de Son House, qui l’avait ridiculisé lors d’un concert en lui assurant qu’il ne savait pas jouer de la guitare et faisait fuir les personnes présentes à l’événement.
Son décès, à l’âge de 27 ans est survenu suite à un empoisonnement dû à la jalousie d’un homme dont la femme s’était entichée de Johnson. Ce triste événement fera de lui le premier du club des 27. La malédiction frappera au fil des années, le diable étant trop désireux de profiter de la virtuosité de tous les artistes dont l’âme aura été fragmentée.
Finalement, seul l’épitaphe qui se trouve sur une de ces trois pierres tombales parvient à dresser le portrait de cet artiste visionnaire :« ci-git Robert Johnson, roi des chanteurs du Delta Blues. Sa musique fit vibrer un accord qui continue de résonner. Ses blues s’adressaient à des générations qu’il ne connaîtrait jamais, et transformaient en poésie ses visions et ses peurs ».