Ce n’est pas un mystère pour le lectorat régulier du site, la rédaction de weirdsound.net est plutôt enthousiaste quand il est question des anglais de Idles. En témoigne nos live report au Printemps de Bourges ou encore à Beauregard en 2019. Outre leurs concerts, dont nous ne sommes jamais ressortis indemnes, leurs deux albums précédents Brutalism et Joy As Act Of Resistance ont marqué les esprits et détruit quelques paires d’oreilles! Idles revient donc pour un troisième album, nommé Ultra Mono disponible à l’achat et à l’écoute depuis le 25 septembre dernier.
Difficile d’échapper au raz de marée Idles depuis quelques années! Dire que le groupe est un des plus côtés du moment dans la presse musicale relève de l’euphémisme. Les suivant et appréciant leur musique depuis leurs débuts, je me suis naturellement penché sur ce troisième album, je remercie au passage leur label, Partisan Records, de nous l’avoir mis à disposition avec quelques jours d’avance.
Idles : Dix ans de travail acharné avant la célébrité
Comme déjà écrit plus haut, impossible aujourd’hui d’ignorer le phénomène Idles. Pourtant, le groupe punk rock originaire de Bristol en Angleterre a mis près d’une décennie à se faire connaitre. Au cours de leurs dernières années de lycée à Exeter, Joe Talbot (chanteur) et Adam Devonshire (bassiste) se lient d’amitié. En 2009, ils partent faire leurs études supérieures à Bristol. Tous les deux passionnés de musique, ils se lancent dans la composition de morceaux.
Le duo commence à se produire dans les clubs et bars de la ville, et affine son style musical pour tenter de proposer quelque chose de plus original que le groupe d’indie rock standard…Le guitariste Mark Bowen (originaire de Belfast) arrive à Bristol en 2012, il y rencontre Talbot et Devonshire; tous les trois décident alors de monter un groupe nommé Idles. La même année sort le premier EP de la formation, nommé Welcome. Pour l’occasion ils sont accompagnés de Jon Beavis (batterie) et d’un second guitariste, Lee Kiernan.
La parution de cet EP sur le label Fear Of Fiction restera au stade de succès d’estime, le disque ayant un retentissement limité dans le milieu musical local de Bristol. Le groupe lui même n’apprécie pas ce premier EP, musicalement trop proche d’autres groupes de punk rock anglais et musicalement sans surprises. Joe Talbot en parlera d’ailleurs en 2017 à Clash Music :
Il nous a fallu beaucoup de temps pour être productifs, nous ne savions pas du tout ce que nous faisions! Nous étions franchement mauvais à l’époque!
En 2014, avec le même line-up, Idles sort un second EP nommé Meat (sur Balley Records). Ce second opus marque une véritable progression comparé à Welcome. Techniquement bien meilleur, le disque révèle surtout un style musical original qui deviendra la marque de fabrique de Idles pour les deux premiers albums du groupe. Après une tournée où le groupe expérimente ses titres en live, ils décident de réenregistrer Meat pour lui apporter quelques améliorations. Cette seconde version se nomme Meta (une édition limitée regroupant le contenu de Meat et Meta a été pressée à l’occasion du Record Store Day en 2019).
Un premier album, mélange de catharsis intime et de révolte
Suite logique, un premier véritable album arrivera en mars 2017. Durant la période de préparation de l’album, la mère de Joe Talbot décède des suites d’une longue maladie. Fortement marqué par cet évènement, le chanteur et parolier va inclure plusieurs titres dédiés aux femmes et à la place qu’elles occupent ou ont occupé dans sa vie.
Cet album a avoir avec les rôles des femmes dans ma vie. Notamment celui qu’a joué ma mère avant et après son décès. Le chagrin qui est lié à son départ, mais aussi la reconstruction qui doit suivre…
C’est d’ailleurs une photographie de sa mère qui est présente sur la pochette de ce premier album. Anecdote plus curieuse, un tirage très limité de l’album (100 exemplaires) contenait les cendres de la mère de Joe Talbot pressées dans le vinyl…cette version se trouve à un prix indécent sur les sites spécialisés.
Outre ces inspirations tirées de la vie de Talbot, on retrouve aussi sur le disque des thématiques quasi régaliennes quand on parle de punk rock anglais : une critique au vitriol du système de santé anglais (NHS) sur le morceau Divide and Conquer, une bonne claque dans la gueule des machos avec Mother, un classique revival de la lutte des classes sur Well Done…L’album a été intégralement enregistré dans les conditions du live, avec trois prises maximum par morceau. Il en résulte 13 titres, oscillant entre catharsis et appel à mettre le feu : l’auditeur n’en sort pas indemne.
Brutalism est quasi unanimement salué par la critique musicale qui le classera régulièrement parmi les meilleures sorties de 2017. Outre cet aspect, c’est surtout la réception du public qui est impressionnante. Durant le printemps et l’été 2017, le groupe tourne et remplit les salles et les festivals partout en Europe.
Joy as an Act of Resistance : un second album et la fusée Idles décolle!
Si Brutalism a été un véritable succès critique, Idles a vraiment percé avec leur second album, Joy As an Act of Resistance (sur le label Partisan Records), sorti un an seulement après le premier.Le groupe rentre en studio fin 2017, soit quelques mois après la sortie de leur premier disque. La filiation avec Brutalism est évidente, à travers des morceaux s’en prenant une nouvelle fois à la masculinité toxique, mais aussi évoquant des sujets politiques comme le Brexit, l’immigration, la classe ouvrière…Joe Talbot ira sur un registre très personnel, pour le très beau morceau June, qui évoque sa fille décédée à la naissance. Enfin, on retrouve aussi une reprise de Cry To Me, une chanson de Solomon Burke. Joe Talbot donnera une définition parfaite de ce disque en 2018 au journaliste anglais Bob Boilen :
Les histoires sur Joy As An Act Of Resistance sont tirées de la vie réelle: un regard humain sur l’immigration à travers l’histoire de mon ami Danny Nedelko; l’importance du droit des parents en deuil à s’appeler mères et pères. (…) Joy As An Act Of Resistance est une tentative réfléchie de s’aimer soi-même tout en comprenant l’importance de la communauté et de la confiance
Une excellente analyse de l’album est consultable sur le web, où Joe Talbot revient sur chacun des morceaux pour en expliquer la signification ou la motivation. Suite à la sortie de Joy as an Act of Resistance, Idles part pour une tournée mondiale, qui passera par l’Amérique du Nord, L’Europe et la Japon. Les photos apparaissant dans cet article ont d’ailleurs été prises durant cette tournée.
Pour les avoir vu trois fois en un an sur cette tournée, je ne peux que rendre compte de l’engouement du public à leur égard, la notoriété du groupe étant clairement établie! Ayant eu la chance de les voir en salle mais aussi en festival, j’ai pu réaliser à quel point le groupe est devenu une bête de scène : setlist parfaitement rodée avec des titres repris en choeur par les premiers rangs, un Joe Talbot à l’aise et n’ayant pas peur d’interpeller l’auditoire, Mark va régulièrement faire un tour dans la fosse…C’est l’évidence même, les garçons maitrisent leur sujet. Un excellent enregistrement live existe d’ailleurs, enregistré au Bataclan à Paris il compte parmi les meilleurs lives qu’il m’ait été donné d’écouter ces derniers mois. L’objet en question, nommé A Beautiful Thing, est facilement trouvable sur le Bandcamp du groupe.
Bien entendu, la vie serait moins drôle sans détracteurs! Une partie de la scène punk/post punk anglaise s’est détachée de Idles : En 2019 Sleaford Mods s’en prenait avec virulence au groupe, les accusant de tenter de récupérer l’expression de la classe ouvrière. Récemment c’est Fat White Family, à travers la plume de l’inimitable Lias Saoudi, qui s’en est pris à eux : Idles serait une escroquerie intellectuelle, donneuse de leçon et à la solde d’un discours convenu, prenant le parti d’une petite bourgeoisie métropolitaine et cosmopolite, en méprisant totalement l’Angleterre profonde. Les échanges sont virulents par médias interposés, je vous laisserai faire quelques recherches sur le sujet pour vous en rendre compte par vous mêmes…
Ultra Mono, un troisième album synonyme de maturité et de solidité
Dès janvier 2019, le groupe annonce travailler sur un troisième album : Pourquoi s’arrêter en si bon chemin à la vue du succès croissant des deux premiers disques. Toujours sur le label Partisan Records, Idles choisit de prendre comme producteurs Adam Greenspan et Nick Launay, les deux ayant déjà collaboré avec le groupe pour le disque précédent. L’enregistrement en lui-même a donné lieu à une large couverture sur les réseaux sociaux, on y retrouve de nombreuses photos et vidéos capturées pendant l’enregistrement de l’album, qui s’est déroulé au sein du studio de La Frette en France. La sortie de l’album s’est faite le 25 septembre dernier, après la traditionnelle période de teasing où quelques clips avaient été dévoilés!
L’album débute sur le morceau War, le ton est donné, Idles a clairement envie d’en découdre. Si vous vous intéressez aux paroles, tout est dans le texte : « This means war! Anti-war! (…) We’re gunning for the stone-faced liars (…) And we’re all going straight to hell. » La machine Idles est lancée, sur un registre qu’ils maitrisent bien : lutte des classes et révolte populaire. Rien de nouveau sous le soleil, pour un morceau qui reste excellent…ce sera sans doute le reproche principal qu’on pourra faire à ce titre et plus globalement à cet album. Les anti-Idles crieront au manque d’originalité, les fans y trouveront plutôt une forme de continuité qui leur plaira sans doute.
Grounds et Mr Motivator poursuivent le travail, les deux titres sont bons et sont sortis en format clip quelques semaines avant la parution du disque, cependant je préfère nettement le titre suivant, Anxiety, beaucoup plus viscéral et direct avec un paroxysme final superbe; attention, le refrain reste en tête : « I’ve got anxiety, It has got the best of me, Satisfaction guaranteed, Anxiety…« . Je passe rapidement sur Kill Them With Kindness, morceau sympa mais sur lequel j’accroche moins! A ce stade de l’écoute de l’album, je serai forcé de reconnaitre deux choses : C’est de la bonne camelote, Idles me sert exactement ce que je voulais entendre, un disque énervé, en phase avec un monde qui part complètement en couille. Cependant, je n’ai pas encore trouvé LE morceau qui restera dans les annales quand on parlera de Ultra Mono…Vous me voyez venir?
Le voilà le morceau qu’il vous faudra obligatoirement écouter : Model Village est sans conteste mon morceau favori, et je pense, en toute modestie, qu’il restera comme le meilleur de l’album Ultra Mono. Le titre fait ouvertement référence au virage sécuritaire et xénophobe que connait l’Angleterre en ce moment, le tout avec une pointe d’ironie typique de Joe Talbot. Là encore, pas de surprise, Idles est en terrain connu :
There’s a tabloid frenzy in the village
He’s « not a racist but » in the village
Gotta drive half-cut in the village
Model low crime rate in the village
Model race, model hate, model village
Sur Ne Touche Pas Moi on retrouve le thème du machisme cher à Idles, en phase avec les débats qui animent nos sociétés en ce moment. On s’achemine vers la dernière partie de l’album, qui nous réserve quelques belles surprises! Carcinogenic nous offre une jolie critique du monde du travail : « Working people down to the bone on their knees, 9 to 5 every day of the week is Carcinogenic« , mais c’est surtout la suite qui nous intéressera, avec un autre moment fort de l’album, j’ai nommé Reigns!
Voilà un morceau juste excellent! Bien inspiré au niveau des paroles, minimales mais envoyées comme des missiles de croisière en plein dans la face de la classe dirigeante anglaise : How does it feel to have blue blood coursing through your veins? (…) How does it feel to have shanked the working classes into dust? (…) How does it feel to have won the war that nobody wants? On perd ici le ton un peu cabot de Modern Village, Idles adopte une approche sérieuse et premier degré et c’est splendide.
Changement de registre avec The Lovers, un morceau plutôt drôle qui commence (trop) tranquillement pour du Idles, avant de nous expédier par surprise des riffs bien énervés, où le groupe règle (sans doute) en partie ses comptes avec ses détracteurs : « I want to cater for the haters : eat shit ! / Eat shit ! / Don’t it taste good? ». Je vous laisserai traduire en français, ça donne quelque chose d’assez fleuri. Autre moment fort de l’album, le morceau A Hymn. Le titre est plus lent qu’à l’accoutumée chez Idles, il règne une certaine mélancolie sur ce morceau, mis en image d’une manière très réussie dans le clip ci dessous.
On constatera que The Lovers et A Hymn tranchent avec le style habituel de la formation, Idles fait un pas de côté par rapport aux autres morceaux présents sur l’album. Joe Talbot avait prévenu, il y aurait une place pour l’expérimentation et pour le changement sur ce troisième disque. C’est chose faite, mais à la marge!
Ultra Mono se termine sur le titre Danke (merci en allemand pour ceux qui ne maitrisent pas la langue de Goethe), il conclut d’une belle manière cet album qui s’écoute d’une traite. Idles est à ce jour clairement devenu un groupe incontournable pour qui s’intéresse à la musique rock. Après une décennie d’efforts, une recherche constante de progression artistique comme musicale, des centaines de concerts et trois albums, les voilà en train de gravir le petit Olympe des groupes anglais de la scène post punk. Peu appréciés par les puristes de ce style musical, dénigrer par les tauliers du genre, les gars de Bristol font fi des critiques et continuent leur chemin.
A la vue du succès populaire et médiatique qu’ils rencontrent, peut on leur donner tort? Idles est sans doute devenu un produit un peu commercial, avec du marketing (ils ont leur marque de bière outre Manche) et des couvertures en papier glacé, mais, et alors? Leurs messages sont sincères tout comme leur envie de tout péter dans un monde qui déconne complètement. C’est sans doute cela qui touche le coeur de leurs fans et je ne leur en ferai pas le reproche, bien au contraire! Pour ma part j’ai hâte de les revoir sur scène (ils ont commencé à annoncer des dates à compter de fin mai 2021) pour valider tous ces bons titres que l’on trouve sur Ultra Mono, un album indispensable en 2020 et sans doute le meilleur du groupe!
Quatre titres à écouter en priorité :
- Model Village
- Anxiety
- A Hymn
- Reigns