Lors d’une des trois belles journées du Festival Beauregard, j’ai eu le plaisir d’interroger l’artiste en vue du paysage musical français. Celui qui semble créer l’unanimité parmi la presse et le public, avec des chansons tour à tour engagées puis simples et universelles. Beaucoup se réjouissent de l’avènement d’une scène française qui écrit, chante et rappe dans la langue de Molière, et je me risque à affirmer que le Kid de Créteil en est le fer de lance.
Je vous invite à passer derrière le rideau d’une conférence de presse où différents médias ont pu poser leurs questions (toutes retranscrites ici) à un jeune interprète, qui malgré un succès fulgurant et soudain, semble garder plus que jamais les pieds sur terre et l’envie de créer.
Philippe, le maître de cérémonie, introduit la conférence en saluant l’artiste et en présentant son parcours. Puis il ouvre le feu avec plusieurs questions très intéressantes.
Philippe : Est-ce que ça vous a surpris tout le succès qui vous arrive en ce moment ?
Eddy de Pretto : (il réfléchit quelques instants) depuis tout petit moi je rêve de scène, j’avais envie de chanter, de dire les choses, qu’on m’entende, qu’on m’écoute, qu’on me voit. Je pense que j’avais cette envie-là. Après que ce soit aussi rapide sur un premier essai, oui, c’est une surprise oui ! Je pensais que ça me prendrait beaucoup plus de temps.
Philippe : Est-ce que ça change obligatoirement des choses dans votre vie ?
EdP : Oui !
Philippe : Dans l’écriture ?
EdP : Non, je n’espère pas en tout cas, j’écris toujours. C’est quelque chose que je vis en ce moment, donc ça influe sur ce dont je vais parler. Mes influences, mes questionnements, ça travaille.
Philippe : Aujourd’hui quand on interroge beaucoup de jeunes festivaliers, on apprend qu’ils viennent pour Orelsan, Nekfeu, vous, ou les trois. Autant d’artistes qu’ils justifient aimer pour la qualité de l’écriture. Qualifiée parfois de poétique. Cette connexion avec les jeunes est-ce que vous la ressentez ?
EdP : C’est la grande surprise de cet été pour moi, car je suis arrivé sur la scène par des médias plus matures comme Télérama. Donc je pensais avoir dans les salles un public plus âgé. Mais en fait sur les festivals il y a énormément de jeunes. Des très jeunes, des plus âgés. Et je suis très étonné de cette ferveur globale, cette envie d’être présent, d’écouter, de partager ces moments-là.
Philippe : Que retiendrez-vous de ce concert au festival Beauregard ?
EdP : (il rit) c’était fou ! Hier je jouais aux Fnac Live, et je n’ai pas ressenti cette magie que je recherche tout le temps. C’est vraiment un partage, comme quand on va boire un café : « Est-ce que ça va passer, est-ce que ça ne va pas passer ?! ». Hier ce n’est pas passé et ce soir ça a été le coup de foudre, je suis arrivé et ça a été hyper facile.
« On va rester le plus percutant et minimaliste possible. J’aime bien cette idée qu’avec peu de choses on reçoit énormément ! »
Philippe : La scène pour vous est-ce que c’est une bonne cure ? (Ndlr : Le titre de son album)
EdP : Totalement oui ! J’apprends, j’apprends, à gérer ces grandes émotions, comme ça, soudaines, pendant une heure et après retomber, la redescente. C’est une chose pour laquelle on n’a pas été formé, on n’a pas appris à gérer ces montagnes russes d’émotions.
Philippe : S’il n’y a pas dans votre musique de message politique, est-ce qu’il n’y a pas quand même une lutte contre le conformisme qui ressort ?
EdP : J’espère, j’espère que ça ressort. En tout cas, à la base, moi je voulais raconter le plus précisément et le plus justement mes histoires. Mettre sur le papier mes tripes. Si ça fait bouger les lignes, tant mieux. Que l’on puisse débattre, mettre des sujets sur la table et en discuter tous ensemble. Si je permets ça tant mieux.
C’est maintenant le tour des médias présents pour poser leurs questions, je commence.
W : Tu disais que tu tournes volontairement avec une batterie et les prods sur ton Ipod pour être minimaliste. Te verrais-tu tourner avec un line-up plus classique genre guitare, basse, synthé, etc.
EdP : Pour l’instant non, on va rester le plus percutant et minimaliste possible. J’aime bien cette idée qu’avec peu de choses on reçoit énormément. Ça me vient du théâtre de Beckett et Pommerat, contemporain, où il avait juste un mur, deux lumières et l’histoire se fait là-dessus. Ça m’a énormément touché quand j’allais voir des pièces de théâtre. C’est une scénographie très épurée, très minimaliste. Mais on ressentait énormément de choses.
W : Si j’ai bien compris, tu as commencé par le théâtre et le cinéma (il acquiesce), comme un autre artiste français d’une autre génération, Renaud, qui disait que c’était son feu sacré (le cinéma) et il est devenu l’artiste qu’on connaît. As-tu envie de refaire des choses dans ce domaine ou y as-tu des projets ?
EdP : J’ai eu beaucoup de demandes pour le cinéma, donc pourquoi pas, même si pour le moment j’ai envie de me focus à 100% sur la musique. Aussi parce que j’ai envie de me prouver que ce n’était pas qu’un coup de chance, qu’un tour de passe-passe. J’ai envie de confirmer un peu l’essai. Mais parallèlement, ça peut se faire.
W : Tu as dit en interview à propos de ta première interprétation vocale de R-Kelly, que tu n’étais pas du tout dans le rap au départ. Quand et comment y es-tu venu ?
EdP : Quelque-part, je baignais dans le rap, là ou je vivais il y en avait un maximum. J’ai grandi à Créteil, la MJC où j’ai appris le chant et le théâtre c’était dans mon quartier. La musique prédominante c’était le rap. Donc même si je ne l’écoutais pas je l’entendais constamment. Mais comme la chanson française de l’autre côté.
C’est vrai que quand j’ai chanté R-Kelly ça a détonné. Mais tout de même, ces rythmes (Ndlr : Ceux du rap) sont plus naturels pour moi et c’est eux qui sortent quand je me mets à écrire ou composer.
Je passe le micro à un confrère.
Média : Tu parlais tout à l’heure du théâtre de Joël Pommerat. Il y a la musique, les textes, mais pour le coup il y a aussi la mise en scène. Comment te débrouilles-tu sur scène vis-à-vis de cet aspect-là ?
EdP : J’essaie de me créer des rendez-vous (rire) avec des gestes qui sont importants pour moi, prédominants, que je ne dois pas rater. Et autour je me laisse aller à l’impro. Je me laisse aller à la conquête du public. Il y a toujours cette envie d’aller chercher les gens. Toujours en avant, beaucoup de tension et de corps…voilà comment j’y vais.
Média : Mon confrère citait R-Kelly. Dans la presse on parle aussi beaucoup de Brel, Brassens, Barbara pour les influences de tes textes ? Y a-t-il des artistes actuels qui te touchent autant que ceux-là ?
EdP : (il réfléchit longuement) oui, mais je n’ai pas de nom.
Média : Quand tu vois sur le festival des artistes comme Nekfeu ou Orelsan, tu sens une connexion avec eux ?
EdP : Oui, oui, c’est des gars qui envoient qui écrivent, c’est très bien. Une connexion je ne sais pas. J’ai toujours travaillé de manière un peu solo du coup…je n’ai jamais fait de collaboration avec des artistes.
Média : Il y a une sorte d’unanimité à ton propos, autant de la presse que du public. Comment on se débrouille avec ça ?
EdP : Je crois que ça va, on se débrouille, j’essaie de mettre de la distance du mieux que je peux. Pour garder ça comme : « c’est génial ce qui m’arrive, mais ça pourrait retomber demain. Et il y a tout à trouver tout le temps ».
À mon tour à nouveau.
W : Il semblerait que tu sois le fer de lance d’une scène française qui est la porte-parole d’une génération, que penses-tu de ça ?
EdP : Je n’y pense pas trop à vrai dire. Et je ne peux pas me dire que je suis le moteur de cette scène.
Une jeune directrice de rubrique du magazine « Beware » rencontrée plus tôt me demande le micro.
Beware : La presse dit que la banlieue fait de plus en plus la mode ces temps-ci. Qu’en penses-tu ?
EdP : C’est vrai que la banlieue a été pas mal récupérée ces cinq dernières années dans la musique entre autres. Mais à nouveau, moi j’ai grandi dans ce milieu donc je n’utilise pas ça. Je raconte juste mes histoires qui s’avèrent impliquer la banlieue.
Mais tant mieux qu’on parle de la banlieue, car à une époque (je me souviens quand j’étais petit) ce n’était pas très cool d’en venir.
Petite dernière pour moi.
W : Tu évoques pas mal de sujets de société comme l’éducation, la liberté vis-à-vis de la sexualité, les réseaux sociaux. Quels sont les sujets ces jours-ci qui te donnent le plus envie d’écrire ?
EdP : La désillusion, le désenchantement, l’anonymat, l’amour, toujours l’amour. Non, plein de choses ! J’espère avoir énormément de choses à questionner encore. L’idée de célébrité aussi c’est quelque chose qui m’excite beaucoup. D’en parler en tout cas. Voilà. Plein de sujets.
LIENS :
http://eddydepretto.com/