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Daniel Darc, pieces of my life : les airs à vif

Daniel Darc, pieces of my life : les airs à vif

C’est un patchwork, un puzzle, des pièces… d’une vie. Courte, fulgurante, marquée par l’ennui et l’étroitesse du monde. Trop petit, trop fade, trop normal pour y être heureux. C’est un film fait de bric et de broc, mal fagoté, branlant mais touchant. Au fond, à l’image de Daniel Darc, chanteur français, punk, rocker, junkie, poète et écorché vif.

En 1990, à la sortie d’un concert au Gibus, Marc Dufaux est déterminé à rencontrer Daniel Darc pour le filmer. Vingt quatre ans plus tard, et vingt trois ans d’une amitié solide, il décide de rassembler les éléments qu’il a gravé sur pellicule, quelques témoignages et de s’atteler au montage en compagnie de Thierry Villeneuve.

Le sentiment premier est tout d’abord une absence de parti pris, une certaine gène à voir le réalisateur se mettre en scène, un peu comme si il était le sujet du film. Puis, au fur et à mesure que se déroule les bobines, on se rend compte à quel point ces images sont aussi celles de sa propre vie. Les heures passées en compagnie du chanteur sont devenues des jours et des années.  On saisit cet objet cinématographique comme une brassée de fils qui dépasseraient de sous un meuble. On tire dessus pour voir ce qui va venir, et puis finalement, on se rend compte que l’on n’en suit qu’un seul et unique.

Le regard est lourd, le corps également, chargé de substances chimiques, on est parfois gêné d’assister à sa déchéance. Déjà, les images d’archive dévoilent des moments pénibles, comme ce passage dans cette émission des années 80, le regard fuyant, les membres agités et visiblement dans un état de malaise et de nervosité du à des choses bien moins naturelles que le trac. Ou cette séquence de shoot, captée frontalement, entièrement, qu’on se prend comme ça sans prévenir dans la gueule. Dans les entretiens, filmés dans sa chambre, ou dans le studio en bas de chez sa mère, le verbe est souvent hésitant, et dans un désordre chronologique volontaire, les époques se chevauchant dans le film, on prend toute la mesure de cette descente aux enfers et de cette recherche de lumière que fut la vie de Daniel Rozoum, né un 20 mai 1959 et mort le 28 février 2013.

Le décor de cette chambre, en désordre, ou de ce studio dont la peinture des fenêtres en bois s’écaille sont à l’image du corps du musicien. Des images, sales, dégradées, tentent également de traduire cette destruction en cours, comme si le support devenait la réincarnation fidèle du corps du chanteur décédé.

Angel Face, s’en fout la mort

Ces pièces de vie nous montrent tout en subtilité les différentes facettes d’un personnage complexe, torturé, qui n’a que peu d’estime pour son propre travail, dénigre son talent et cherche constamment à se prouver qu’il est vivant, quitte à finir au purgatoire. Pourquoi mettre les doigts dans la prise le matin avant de partir à l’école quand il était petit ? Pourquoi se taillader les veines (« Viviane Vog ») sur scène et s’en moquer royalement?

Daniel Rozoum lorsqu’il intègre Taxi Girl est un loulou parisien qui traine dans les rues et aime « faire des balafres aux autres » avec son cutter, se retrouve dans des bastons. De son aveu, il ne sait pas chanter et c’est la vague punk qui va lui permettre de s’exprimer.

La came va commencer à éclaircir les rangs du groupe avec la mort du batteur Pierre Wolfsohn. Puis le départ de Laurent Sinclair au clavier laissant seul le duo Darc/Mirwais qui va finir de décimer Taxi Girl, jusqu’à ce qu’il ne reste que le chanteur, seul face à ses démons.

La mort? « Je m’en fous ». Ses idoles sont mortes jeunes, souvent, comme Rimbaud, à qui on le compare parfois, poète maudit et image romantique oblige, ou ils ont connu les affres de la drogue, de la folie Iggy Pop, John Coltrane, Artaud… Ou encore, comme Nijinski (aussi titre de son album de 1994), des « misfits »,  des personnages qui ne s’intègrent pas, que le monde rejette car trop différents.

20 ans de solitude

Le chanteur, poète maudit donc, oui,  renvoie l’image d’un être seul, qui, désespérément, continue d’appeler ceux qui lui ont tourné le dos ses « frères ». Quand le réalisateur lui demande ce qu’évoque pour lui le mot « amis », il baisse la tête et esquisse un sourire triste. Puis, regardant directement Marc Dufaux, il répond « toi! ». Il sent qu’il est devenu quelqu’un de gênant pour son entourage, dérangeant. Il le dira, à plusieurs reprises. « Mes amis font n’importe quoi mais sans moi ».

Cet isolement social et musical est traité en filigrane, comme une rambarde qui guiderait le fil du récit, les images choisies au montage montrent rarement le chanteur en compagnie d’autres personnes. ll y eut bien des tentatives de désintox, mais la sobriété bridait les fulgurances d’inspiration qui pouvaient surgir. Alors, à quoi bon. Lors de ces rares moments, c’est un personnage riant, joyeux « bienveillant » dit Marc Dufaux qui se cachait derrière le junkie qui se révèle.

Il faudra la rencontre avec Frédéric Lo et la production des trois derniers albums du chanteur pour redonner un coup de boost à sa carrière, lui faire lâcher un peu son addiction. Mais le corps, si présent et si abimé sur ces images n’a pas eu l’endurance suffisante pour aller plus loin.

Il aurait voulu, comme le chantait Dylan,faire sa masterpiece, son chef d’œuvre, mais est-ce que sa vie elle même, sa figure de légende du rock français n’est pas , justement, son ultime chef d’œuvre? En vivant ainsi, toujours sur le fil du rasoir, sans jamais faire de compromission sur ses sentiments et émotions, punk depuis la naissance (dixit Daniel Darc lui-même), il a forgé une image de romantique maudit qui dépasse ou qui donne un certain relief à sa musique et ses paroles.

Quelques extraits musicaux, filmés à brut, à vif, un blues des rues, où il chante, seul, puis ponctue ses couplets de riffs d’harmonica, ou les répétitions de Crèvecœur avec Frédéric Lo, sont des pépites d’instants musicaux magiques, gavés d’émotion.

Et Dieu dans tout ça?

« Seul Dieu pouvait le sauver » a due écrire Virginie Despentes. Fils d’un juif et d’une catholique, il finit par trouver la lumière qu’il a tant cherchée dans la foi. Sans pudeur, mais sans s’épancher non plus, il explique son amour pour le Christ, la lumière que lui procure la lecture de la bible, sa conversion au protestantisme. Lors de son concert aux Vieilles Charrues, il déclame Psaume 23, titre qui clôture Crèvecœur, avec tant de sincérité que l’on peut que s’incliner devant cette illumination, cet amour inexplicable pour une entité imaginaire. Son album suivant reprendra d’ailleurs en français le titre du disque légendaire de Coltrane, Love Supreme, qui évoque cet amour inexplicable, au-dessus de tout, pour Dieu et les Hommes. Si le sujet de la foi est central dans les dernières années de sa vie, il est ici, comme beaucoup d’éléments, laissé en arrière plan, comme un des innombrables fils à dérouler plus profondément pour découvrir le personnage.

…la difficulté majuscule de vivre et d’avoir envie de vivre, [est] complètement contradictoire, elle, avec la foi en Dieu.

Daniel Darc

I’m a legend

Frédéric Lo lorsqu’il se lance dans l’aventure Crèvecœur se pose comme but de rendre à Darc la place qui lui revient, celle d’une figure majeure du rock français, d’une légende. Chose faite après la couverture des Inrocks et la victoire de la musique dans la catégorie… »révélation de l’année ». Quelle ironie! Mais elle résume à elle seule le destin tragique du musicien.

On aurait pu s’attendre à un film débordant d’un trop plein d’émotions, hommage d’un admirateur, surtout d’un ami, mais la présence de Thierry Villeneuve à qui on doit le montage a sans doute permis de prendre un certain recul et une mise à distance que n’aurait pas eu Marc Dufaux, trop proche du chanteur et impliqué dans le tournage de ces images.

Qu’est-ce que la musique de Daniel Darc? Des mélodies que l’on croit déjà connaitre, et qui restent, des mots qui coulent comme des évidences, tellement simples qu’ils en sont immédiatement familiers, cette voix, parfois murmurée, qui semble comme soufflée à l’oreille de l’auditeur, fragile et comme éternellement adolescente… Le talent de l’homme est finalement dans sa simplicité directe qu’il traduit par des mots et un style de vie qui lui ressemblent et qui lui valurent le temps d’une vie, une saison en enfer.

« Daniel Darc, Pieces of my life », de Marc Dufaux et Thierry Villeneuve au cinéma depuis le 24 juillet

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