Le neuvième album du groupe est sorti le mois dernier. À l’écoute des titres présentés en avant première, on s’attendait à un morceau de bravoure, à quelque chose qui allait vous remuer du sol au plafond, un tremblement quasi-tellurique, à l’image des deux précédentes productions. Comme le laissait prévoir le clip de Cold Burn, un des deux titres sortis en avant première, The Long Road North se déploie sur un peu plus d’une heure et s’apparente à une épopée digne des sagas anciennes.
Toujours plus loin (Into the wild)
Les Suédois continuent leur petit bonhomme de chemin et explorent plus profondément les racines nordiques au travers d’une expérience qui allie musique et images. Dans la continuité de A Dawn To Fear et de leur E. P. The Raging River, ils embarquent leurs auditeurs dans un périple au travers des paysages glacés et hostiles des confins polaires, mais aussi intérieurs. Cette créativité débordante est le fruit d’une mutation lente et d’une maturation du processus créatif dans le groupe. L’évolution, depuis le départ de Klas Rydberg (chant), s’est faite progressivement. Si les anciens morceaux étaient construits suite à de laborieuses séances de plusieurs heures de répétitions, depuis quelques temps, les séances se sont réduites et les compositions se construisent désormais sur un mode plus relâché. Si bien que l’enregistrement de The Long Road North est, selon Johannes Persson (Guitare/Chant), l’album qui a été peut-être le moins intéressant à enregistrer. En effet, chaque membre est venu poser ses parties indépendamment des autres au Ocean Sound Studio (Giske, Norvège), une structure perdue au bout du monde, au bord de l’océan. Et pourtant, il en ressort un album d’une grande unité et d’une belle cohérence. On ne décèle guère de distance entre un A Dawn To Fear et ce dernier opus. Il se peut que cela soit également dû à une unité thématique. Car, ce sentiment d’apocalypse, de fin du monde qui habitait déjà l’œuvre du groupe à cette période, s’est trouvé renforcé lorsqu’ils ont décidé de transcrire dans leurs compositions les sensations et impressions que pouvaient évoquer chez eux ces paysages du Grand Nord sur A Dawn To Fear. Depuis lors, les éléments ont trouvé une place particulière au sein des thématiques développées par les musiciens.
Cinquante nuances de glaces
L’écoute de ce dernier Cult Of Luna ressemble à un trip au travers des contrées glacées, entre failles et crevasses, engelures et éléments déchainés. L’expérience est physique. Tout comme avec le précédent album, le groupe de sludge/post metal d’Umea cherche à faire vivre, au travers de leur musique, la beauté et la grandeur des paysages nordiques. Pour illustrer cela sur le plan visuel, ils ont fait appel à Noth Kingdom Greenhouse. En parallèle de l’album, le studio graphique, sous la houlette de Linus Johansson, développe un jeu hybride et immersif, basé sur une technologie en temps réel, qui nous fait traverser des espaces arides où apparaissent ensuite la neige et la glace, étendues dévastées d’où l’humain est totalement absent. La minéralité des décors, le noir et blanc contrasté et les éléments qui se déchainent sur le passage de la lumière qui nous sert de guide, provoquent une sensation de fin du monde qui se marie à merveille avec ce titre monstrueusement monolithique et puissant. Après une intro qui résonne comme une corne de brume, le chant guttural et hurlé vient se heurter à un mur de guitares, d’où une mélodie désespérée et lancinante finit par s’échapper vers la fin. La recette n’est pas neuve chez CoL, mais elle est encore plus efficace ici.
Peu importe le but, c’est le chemin qui compte
Avouant que les paroles du morceau qui donne son nom à l’album ont été écrites juste après la sortie de Mariner (2016), Persson admet également que ce périple qui l’a amené à revenir vivre dans sa ville d’Umea (aussi berceau du groupe metal prog Meshuggah), s’est aussi accompagné d’un voyage intérieur. Celui-ci devait le mener à une plus grande stabilité, à la fois matérielle, avec un retour aux sources, et intérieure — peut-être à travers cette lumière qui illumine la fin du clip de Cold Burn? Il est ainsi retourné littéralement sur les traces de son enfance, en visitant les lieux où son père l’emmenait lorsqu’il était jeune. Ce sont ces endroits qu’il a tenté de transcrire en mots et en musique dans cet album.
Celui-ci est un peu comme ces paysages, fait de contrastes et de lieux divers, mais il garde une grande unité de couleur, avec une palette sonore cohérente et harmonieuse. On s’immerge directement dans cet univers inhospitalier et grandiose avec Cold Burn qui ouvre l’album d’une façon magistrale. The Silver Arc fait magnifiquement la transition avec la belle et sombre ballade interprétée par Mariam Valentin (Wildbirds And Peacedrums), Beyond I. Les sonorités froides des nappes de synthé de An Offering To The Wild, sur lesquelles viennent se poser les arpèges de guitare, s’enchainent parfaitement après ce bref interlude. C’est, cette fois-ci, le saxophoniste basse Colin Stetson (Arcade Fire, Bon Iver)—qu’on retrouve sur Beyond II en clôture du disque—qui apporte sa contribution au titre. Les collaborations, sur cet album, font appel à des musiciens plutôt orientés vers le jazz. Le morceau prend de l’ampleur, au fur et à mesure que se déroule le tapis des instruments. La batterie se fait plus épileptique, les guitares rugueuses se superposent progressivement, pour finir par rivaliser avec le chant de Personn, se fracassant sur les rocs de descentes abruptes, pour mieux reprendre pied dans des vallées d’arpèges apaisés et glisser sur une pente quasi-stoner sur la fin. An Offering To The Wild est une épopée à lui seul, ainsi qu’une métonymie de l’album dans son ensemble. À la suite, Into The Night, second extrait du L.P., sonne comme la B.O. d’un film d’angoisse, avec un soupçon de Nick Cave dans la manière dont Persson murmure—et oui!—son texte. Car ici, aucun chant growlé, mais une superbe mélodie vénéneuse pour cette ballade aux ambiances sombres, qui n’est pas sans rappeler certains passages du Bloodmoon I de Converge/Chelsea Wolfe.
Avec ses trois minutes, le tranquille instrumental Full Moon, qui est en quelque sorte une continuation du titre précédent, fait figure d’interlude avant le morceau de bravoure que constitue The Long Road North. L’ambiance angoissante et sombre prend toute son ampleur sur ce voyage initiatique de plus de dix minutes, au cours duquel l’auditeur est plongé au cœur de la tourmente. Si, parfois, on semble pénétrer dans l’œil du cyclone, c’est tout simplement pour mieux se faire emporter par la tempête sonore qui déferle dans nos esgourdes. Les sons sifflent à nos tympans, l’accalmie finale est chargée—grâce à un mellotron aux accents très dark—d’un sentiment d’attente angoissée, que vient combler l’intro guitare plus classique de Blood Upon Stone.
Un voyage sans fin
Une fois de plus, le groupe a su montrer à quel point il comptait parmi les maîtres du genre et savait dépasser les clichés, pour s’adjoindre la collaboration d’artistes venus d’autres horizons (on se souviendra avec émotion de la voix de Mark Lanegan sur le très beau Inside Of a Dream sur The raging River) et enrichir son univers. Les arrangements de Stetson pour An Offering… et Beyond II — morceau digne de figurer sur les épisodes les plus stressants de la saga Alien—sont à ce titre assez exemplaires. Fidèle à leur philosophie, les musiciens ont envoyé les titres, sans aucune indication, faisant entièrement confiance à la sensibilité de l’artiste auquel ils s’adressaient. Il faut souligner à quel point leur univers, très personnel et fort, est un appui conséquent pour ces derniers, et permet les hybridations les plus affriolantes. Leur capacité à étirer un titre pour créer la tension nécessaire à l’explosion qui suit les moments de calme, cette propension à remuer les tripes et à créer des univers sonores riches et complexes, trouve son apogée dans ce formidable album qui est, sans aucun doute, un des plus marquants de ce premier trimestre 2022.