Un jour d’avril 2010, You Say Party n’a plus eu envie de dire We Say Die! Injustement ignoré dans nos contrées, le groupe canadien a pourtant sorti quatre albums entre 2005 et 2016 et connu une évolution ponctuée par des drames et des remises en causes qui auraient pu avoir raison de la cohésion des musiciens.
À bicyclette!
Il était une fois. L’histoire commence à Vancouver, durant l’hiver 2003 où le froid est trop fort pour monter sur un vélo. Les membres du groupe de cyclistes urbains The Smoking Spokes décident de jammer dans leur garage plutôt que de chevaucher leur destrier d’acier et d’aluminium. Il n’est, pour l’instant, pas question de former un vrai groupe. C’est lorsque Stephen O’Shea (basse, bass synthé et backing vocal) entend Becky Ninkovic (chant, tambourin) pousser la chansonnette dans la pizzeria où ils travaillaient qu’ils décident de jouer ensemble et éventuellement de faire des concerts. La chanteuse, alors manageuse de la pizzeria, embauche aussi un autre salarié, Jason Nicholas, qui prendra la six cordes. Ils sont très vite rejoints par Bruce Dyck de Fun 100 (batterie). Quand avec Krista Loewen et Carissa Ropponen (claviers et backing vocal) ils montent sur scène pour la première fois, partageant l’affiche avec Fun 100, ils arborent encore des t-shirt « The Smoking Spokes ». Dès le départ, leur attitude est anti-conformiste : punks à vélo qui brandissent leur moyen de transport comme un étendard anti-bagnole dans un pays où celle-ci est définitivement l’objet de consommation le plus important et détermine encore aujourd’hui toutes les politiques d’aménagement, musiciens qui refusent de choisir un nom pour leur groupe… Juste l’envie de s’éclater alors que l’hiver canadien pousse tout un chacun à la réclusion, faire de la musique histoire de s’occuper. Voilà l’origine du groupe. Et puis ils donnent un concert, au printemps 2004 sous un nom quelconque. Le public apprécie. Ils en donnent un autre, et puis un autre, et, un jour, ils décident de garder ce nom. Pourquoi pas celui-là? C’est la mode des groupes aux noms improbables, ils ne le savent pas, mais ils vont profiter de l’engouement des programmateurs pour cela (est-ce que Clap Your hands Say Yeah n’est pas un nom stupide, hein?). Leurs influences? Plutôt le punk 77, un peu de New wave et de musique des années 80, de l’électro…
C’est d’abord l’enregistrement d’un premier E.P., puis, après avoir attiré l’attention d’un petit label, Reluctant Records, ils sortent leur premier album, Hit The Floor!. Leur énergie, leur envie de jouer n’importe où, n’importe quand et leur musique, sorte de dance-punk aux sonorités très B-52’s, font vite le buzz et le groupe commence à tourner un peu en dehors des frontières canadiennes : Royaume Uni, Allemagne… mais certainement pas les U.S.A. : Stephen y est interdit de territoire pendant cinq ans (raisons?). Très vite, l’intensité des shows et des tournées poussent Jason Nicholas à se consacrer exclusivement à Fun 100, et Carissa Ropponen et Bruce Dyck à se recentrer sur leur vie personnelle. Becky Ninkovic appelle alors deux amis de lycée, Derek Adam (guitare) et Devon Clifford (batterie).
Beyond the charge of their songs, there was real joy emanating from the stage when You Say Party! We Say Die! brought their introspective, infectious songs to life.
Au-delà de la charge scénique, il y avait une vrai joie qui émanait de la scène lorsque YSP! WSD! performait leurs morceaux introspectifs et contagieux.
Exclaim.ca
Première époque : de bruit et de fureur
Les membres du groupe ne sont pas des virtuoses. Aucun cours de guitare avec Satriani, pas de solfège au conservatoire. Leur musique est alors brut de décoffrage : le chant souvent à la limite de la justesse, les beats accélèrent, ralentissent et les accords de guitare sont là pour faire un max de bruit. Le clavier aux sonorités de Casio © et les suites d’accords et rythmiques peu recherchées marquent les limites de ce premier album qui sent l’urgence, la fraicheur, la rage et le j’menfoutisme. Les voix de Becky et de Krista qui chantent encore ensemble ne sont pas toujours dans le tempo ou ni tout à fait justes. Qu’importe. À l’écoute de Hit The Floor, en dépit du manque de maîtrise, on sent pourtant déjà le potentiel vocal de Becky ainsi qu’une facilité d’écriture certaine. Il y perce des mélodies accrocheuses, prémice des titres plus travaillés des albums qui suivront, et l’évidence de celles-ci est plutôt à classer dans les atouts du groupe que dans ses limites.
The first [album] was definitely a dance party and definitely out there to make you shake your ass,…
Le premier [album] était plus une dance party et fait pour vous remuer le cul…
Stephen O’Shea
Lose all Time : le début de la maturité et de la reconnaissance
Le titre du deuxième album, Lose All Time, fait référence à la sensation d’être sans cesse entre deux états lors des tournées intensives. Sorte de Lost in translation. Le succès de YSP! WSD! attire des labels et ils signent finalement chez Paper Bag Records de Toronto. La voix de Becky a acquis plus d’assurance, il y a parfois comme un air de Björk sur certains titres. La musique reste brute, mais on sent qu’il y a eu un effort dans l’écriture. Five Year Plan qui ouvre l’album, commence avec le sample de la voix de la chanteuse qui semble sortir tout droit de The Gap., comme s’ils reprennaient là où ils s’étaient arrêtés. Les voix des chanteuses sont plus précises et ne se chevauchent plus.
After playing so many shows we had a clear vision of how we wanted to progress musically and with our songwriting.
Après tant de concerts, nous avions une vision assez claire de la façon dont nous voulions progresser musicalement et dans notre écriture.
Becky Ninkovic
aestheticamagazine.com
S’il en est ainsi, c’est aussi parce que cette fois le groupe s’est préparé à entrer en studio et a pensé la production en amont. Un plus gros budget, plus de temps passé pour l’enregistrement, et une maturité qui n’était pas là sur Hit The Floor! En quelques mois, la chanteuse a apprivoisé sa voix et appris à maitriser une audience. Le dernier titre, Dancefloor Destroyer laisse entrevoir les évolutions futures. Mais la tension des tournées entame à la fois la santé et l’amitié du groupe. L’alcool et les substances énergisantes aidant, des psychodrames éclatent et menacent la cohésion des membres. Lors d’un show en Allemagne, il s’en faut de peu pour que tout éclate.
XXXX : YSP! WSD! 2.0
I finally feel like a singer, rather than a dancer who loves being in a band.
Je me sens enfin comme une chanteuse et non une danseuse qui aime être dans un groupe.
Becky Ninkovic
Mais heureusement, pour une fois, l’amitié est plus forte, et, passés les moments de crise, le groupe entre de nouveau en studio. La pochette de l’album avec son cœur au centre, le premier titre There’s XXXX (Within My heart), ne laissent aucun doute, ces quatre X ne sont pas une référence à un porno géant, mais bien là pour les quatre lettres de LOVE. Cette fois, les musiciens ont réellement dépassé leurs antagonismes, mais également leur côté punk. Ils se sont assagis, et, si les shows sont toujours aussi péchus, la musique, plus calme, se teinte parfois de mélancolie. La tessiture de la chanteuse se fait plus précise et maitrisée. Il y a cette fois un je ne sais quoi de P. J. Harvey (She’s Spoken For) dans les vocalises de la canadienne. Les arrangements sont plus recherchés et les compositions plus variées. On découvre sur cet album, un groupe aux sonorités qui se rapprochent de plus en plus des débuts de la dance des années 80, New Order, Blondie, ou de la pop—on pense à Pale Saints en écoutant Heart Of Gold—ainsi que des ambiances plus calmes, ou angoissantes, sur XXXX loyalty, par exemple. Leur musique est plus réfléchie, moins spontanée, plus commerciale peut-être, mais elle laisse filtrer plus d’émotions sans perdre en énergie. Un bijou de pop des années 2010.
Jeux olympiques, éthique et soudain…
L’année 2009 sera marquée par la préparation des jeux olympiques d’hiver organisés à Vancouver et le succès du groupe avec leur troisième album, XXXX. Durant les pauses, entre concerts, tournées, enregistrements, Devon Clifford se consacre aux déshérités. C’est qu’en prévision des jeux olympiques de 2010, le conseil de la ville de Vancouver prépare les sites en expulsant les gens des quartiers pauvres, en reconstruisant des infrastructures neuves et épurant le centre ville des populations les plus fragiles. Ça fait sale pour les touristes. La crise de 2008 a très durement frappé cette société peu résiliente par manque de solidarité institutionnelle. Le groupe se voit alors offrir l’opportunité de jouer deux morceaux pour l’ouverture des jeux qui doivent se dérouler du 12 au 28 février 2010. Les musiciens, impliqués dans des programmes sociaux et conscients des dégâts de la crise économique sur les plus démunis, hésitent. Doivent-ils profiter de cette occasion pour élargir leur audience, ou au contraire ne pas cautionner la politique violente de gentrification, conséquence des décisions politiques prises pour accueillir cet évènement?
Devon works on the Upper East Side (of Vancouver) and he sees the effects of the Olympics the most right now. There was a big talk in the van and we were going to decide whether we were going to do it or not. It was a good amount of money, and it seemed like a good opportunity, yet we were all feeling this hesitancy inside, as well. We know how it is effecting the homeless community.
Devon travaille dans les quartiers est [de la ville de Vancouver] et il voit les effets des jeux olympiques. Il y a eu une grande discussion dans le van et nous devions décider de la suite à donner à cette proposition. C’était une grosse somme d’argent, et cela semblait être une bonne opportunité, mais nous avions également tous cette indécision. Nous sommes conscients dont [la préparation des jeux] affecte la communauté des sans abris.
La solution sera de donner la moitié du cachet à une association caritative qui s’occupe des sans abris et laissés pour compte de la très libérale ville de Vancouver. Pendant ce temps, les avocats du groupe ont réussi à arracher au gouvernement américain l’autorisation de franchir la frontière pour Stephen O’Shea et ils entament une épuisante tournée aux U.S.A. qui doit se clôturer au printemps 2010. Le 6 avril, un peu avant leur dernier concert aux U. S. A., le journaliste de The Sheaf.com demande à un Stephen O’Shea qui tient à coup de Red Bull(shit) :
Should the crowd be worried about an on-stage collapse?
Le public doit-il s’attendre à un évanouissement sur scène?
De retour chez eux, ils donnent quelques concerts dans les salles de la ville. Le 16 avril, au Rickshaw Theatre, salle historique de Vancouver, Clifford s’écroule en plein milieu d’un morceau. Le groupe presse les spectateurs d’appeler le 911 (urgences nord américaine). Le batteur reprendra quelque peu conscience avant de sombrer dans le coma et de décéder le 18, suite à une hémorragie cérébrale. Il avait tout juste trente ans…
On ne dit plus You say Die! Non.
Le choc est énorme pour le groupe qui suspend sa tournée. Trop éprouvée, Krista jette l’éponge et se tourne vers des études d’infirmière. Ils feront encore quelques shows accompagnés d’amis musiciens qui venaient régulièrement en renfort lors des précédents concerts, tout d’abord avec Bobby Siadat, puis ensuite Al Boyle qui jouait avec Devon dans Hard Feelings et Robert Andow. Par respect pour leur batteur, ils décident de ne garder que la première partie de leur nom. Puis, un an plus tard, en 2011, ils annoncent un hiatus indéfini. Les concerts, trop chargés émotionnellement, deviennent des épreuves insurmontables, et la dépression guette la chanteuse. Le cœur n’y est plus. Le temps est venu de se préserver et de soigner les blessures.
Le temps du deuil…
Un album de remixes intitulés Remixxxx sortira fin 2010, accompagné d’un clip pour le twin peaksien Laura Palmer’s Prom.
En décembre 2010, une chute d’eau célèbre de la région d’origine du groupe, Abbotsford, est baptisée Devon’s Fall en l’honneur du batteur. La politique a, plus particulièrement au début, toujours fait partie de l’ADN du groupe, très engagé à gauche. Aussi n’est-il pas étonnant de voir en 2013 Stephen O’Shea se présenter sous les couleurs du Green Party dans leur province.
En 2012, ils remontent sur scène avec Krista de retour derrière les claviers. N’ayant pas le cœur à remplacer Devon, ils utilisent désormais une boite à rythme.
…et de la renaissance
En hommage à leur ami, ils sortent le titre Friends en 2013, morceau qui préfigure le virage que prendra l’album à venir. Le style a évolué, résolument plus noir, plus mélancolique, un son très électro, avec des synthés plus riches, des mélodies moins faciles, mais toujours autant d’émotion.
Les huit chansons de You Say Party sorti en 2016 n’ont plus cette fraicheur et cette énergie des débuts. Certainement gommées par les épreuves de la vie ainsi que les évolutions personnelles, elles ont été remplacées par une musique plus introspective, moins dansante, où les instrument électroniques se mêlent aux cordes électriques. Un très bel album électro-pop oscillant entre noirceur et luminosité. Les textes, très personnels et moins politiques depuis XXXX, évoquent des sensations, des émotions, comme ce Sleepyhead dont le clip a été réalisé par la chanteuse. Elle veut évoquer ce moment bien particulier de l’enfance lorsqu’on bascule du temps éveillé au temps du rêve.
En aout dernier, Becky Ninkovic a sorti son premier album solo, toujours fidèle à Paper Bag records, avec pour titre Woe. L’écriture est expérimentale, le chant parfois monocorde, les arrangements dépouillés. La fille qui se sentait plus danseuse et pas trop chanteuse au début du groupe ne fait plus dans la musique dansante, mais propose une musique composée par une femme mature et devenue chanteuse. Et inversement.
Modifications du 18/12/2019 : Encore merci à Becky Ninkovic qui m’a fait confiance et corrigé quelques imprécisions dans l’histoire et grâce à qui cet article est bien meilleur!
https://vancouversun.com/entertainment/music/5-things-to-know-about-woe-by-becky-ninkovic