Cette rencontre avec Squid, la nouvelle sensation et pour moi, révélation musicale 2019, je l’attendais avec impatience, adorant le nouvel (et 2ème E.P),Town Centre, qui sort ce vendredi 15 Novembre en version physique après être sorti en version digitale il y a deux mois. Ehyobro et moi même descendons au sous sol du Lieu Unique (L.U), sans doute le bâtiment industriel le plus emblématique de Nantes, où se trouvent les loges des artistes. Un long couloir gris et sinistre au plafond duquel courent des tubulures mène à celles ci, cachées derrière des portes rouges et réparties de part et d’autre du couloir. On a presque l’impression d’être dans un couloir du sous sol de la STASI (l’ex police politique de l’ex RDA) mais ici, heureusement pour les artistes, point d’interrogatoires musclés! Les cellules-pardons, les loges-sont souvent spartiates (concept et atmosphère indus oblige!) et parfois exigües: C’est Louis Bortase (basse et guitare) et Laurie Nankivell ( Basse, trompette et guitare) qui nous accueillent .
Les débuts du groupe:
Weirdsound : Tout le monde va vous poser la question. (On s’en excuse mais il semble que, pour le moment, il n’existe pas d’autre interview du groupe en français). Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Laurie: Au lycée et à l’Université. Mais en tant que groupe, nous nous sommes tous rencontrés en jouant dans différentes formations.
Louis : Je pense qu’il y a eu différentes étapes avant que Squid ne soit ce que c’est devenu. Les choses ont commencé à prendre forme quand Laurie est revenu de Copenhague au Danemark. Avant on faisait de la musique électronique ensemble dans nos chambres. Ça a duré quelques années. Quand Laurie est revenu et que l’on s’est retrouvé pour la première fois à cinq, on s’est senti plus comme un groupe. On a pu commencer à jouer en dehors de cette salle de Jazz dans laquelle on avait l’habitude de jouer. Le retour de Laurie a changé beaucoup de choses !
Laurie : Jouer debout et non plus assis a complètement changé la dynamique du son que l’on produisait !
Les débuts du groupe s’effectuent en effet dans un cadre et une salle de Jazz alors que chacun jouait , auparavant, une musique plutôt marquée par l’électronique et que l’on pourrait qualifier « d’ambient ». Leur 1er concert date de 2015. Le groupe change de style musical, plus « punk » avec, en 2017, leur 1er E.P, Lino, aujourd’hui introuvable. Squid sort ensuite le single « Dial » en 2018 et leurs passages au festival The Great Escape à Brighton (leur bastion d’origine) et au SXSW à Austin leur ouvrent déjà la porte d’une reconnaissance certaine. Squid sort ensuite le single « Houseplants » qui confirme leur talent et leur potentiel. Leur 2ème E.P, Town Centre, sort sur le label Speedy Wunderground, le producteur Dan Carey ayant déjà fait signer aussi Black Midi).
SQUID,une musique inclassable?
Weirdsound : Vous sortez votre second E.P. « Town Centre« . Il est excellent, car original, et en même temps inclassable, car vous utilisez beaucoup d’instruments de musique. Comment définiriez-vous votre musique?
Louis : Parfois, on se surprend nous-mêmes, quand on écrit une nouvelle chanson, ou que l’on a une nouvelle idée qui ne ressemble en rien à ce que nous avons pu faire jusqu’à présent. L’auto-confusion décrirait bien notre musique je pense ?!
Laurie : Je pense que nous sommes un groupe avec sur un plan individuel beaucoup d’influences musicales différentes. Donc traditionnellement, on ne s’inscrit pas vraiment dans un style particulier. Notre truc, c’est d’expérimenter et de nous amuser, mais aussi parfois créer quelque chose d’intéressant, musicalement ou en paroles, et qui corresponde à cet esprit d’expérimentation.
Les quelques critiques musicales que l’on trouve sur Squid, rangent le groupe dans une catégorie large Krautrock …Post Punk….minimaliste, se basant aussi sur les influences du groupe! Je serai même tenté d’ajouter une touche jazzy et funky pour certains titres!
Weirdsound : « Savage » ( le premier titre de l’E.P) est même un peu psyché non ?
Louis : Oui ! On la voulait dans cet E.P… Quand nous sommes arrivés au studio de Dan Carey dans le sud de Londres pour enregistrer, on avait quelques chansons que l’on avait écrites. Il a des machines incroyables, personne ne sait ce que c’est, dont une qui ressemble à une table de snooker ! Il y a dans cet endroit tous ces « jouets/instruments » bizarres, et c’est là que nous avons travaillé sur « Savage ». C’était complètement nouveau pour nous, de partir d’une boucle de guitare…
Laurie : Anton (Pearson, guitare) et Arthur (Leadbetter, claviers) avaient enregistré un son à la guitare, et ils ont accidentellement laisser la boucle se jouer. Elle s’est répétée une trentaine de fois, c’est devenu un sample, et une base de travail pour la création d’un morceau. Le reste est une totale improvisation!
Les influences musicales majeures restent le Krautrock allemand: le groupe cite Neu! mais aussi Amon Düül II et Can (groupes que j’ai moi même vus et aimés dans les 70’s). Les goûts des membres sont cependant éclectiques :Ollie Judge (chanteur et batteur) cite Beak, le groupe de Geoff Barrow, l’ancien batteur de Portishead, qui l’a influencé aussi dans sa façon de jouer avec « des rythmes motoriques », ce qui lui facilite le chant! Louis m’évoque Hawkwind qu’il apprécie beaucoup et avec Laurie, tous deux parlent de Talk Talk: « Mark Hollis est décédé juste avant que nous ne commencions l’enregistrement de « Savage ». « Nous avons ressenti comme une présence dans le studio… Talk Talk est un point de référence dans cet E.P, je crois ». Je ne peux que souscrire à leur point de vue, Mark Hollis étant resté un génie méconnu, la faute(?) à quelques tubes de Talk Talk qui ont éclipsé le reste de leur œuvre. Arthur, quant à lui est un fan absolu de Steve Reich. On comprend ainsi mieux les composantes de l’originalité et complexité musicale de Squid.
Composition et écriture: l’importance du collectif!
Weirdsound : Qui compose et écrit ?
Laurie : Nous composons tous… la musique, c’est un travail collectif.
Louis : Il y a une part quasiment égale de nous tous dans notre musique et sa composition. ( Ce collectif se ressent d’ailleurs dans la complicité qui apparait sur scène et contribue à la bonne humeur du groupe).
Laurie: Généralement ça part de deux personnes avec une idée. Idée autour de laquelle nous improvisons, et voyons ce qu’il en ressort. Il y a toujours ces petites questions d’ego (Rires) autour du son que tu voudrais trouver. Parfois cela ne fonctionne tout simplement pas. (Rires de nouveau liés à probablement de très amusants souvenirs…)
Louis : Nous sommes tous d’accord qu’il ne faut pas être trop attaché à l’idée musicale. Si une compo n’est pas passionnante ou amusante, il vaut mieux l’abandonner, en se disant que c’était sympa de creuser l’idée malgré tout ». Par exemple, Louis et Laurie moi avaient » fait un Jam lors de balances à un festival à Hambourg. Nous l’avons enregistré sur smartphone et en studio, on a repris l’idée. Anton est arrivé et a dit qu’il détestait. » (Rires)… »En fait, c’est bon de ne pas être d’accord parfois, de se dire « Mince, moi je l’aimais bien celle-là ! » Il faut faire des compromis, comme… pour le Brexit manifestement »!
L’inspiration des textes: The Cleaner, Houseplants, Match Bet...
Weirdsound : « The Cleaner » est une critique du monde du travail. Vous chantez » I’m the cleaner, but you don’t even know my name ». Vous voulez défendre le working class hero ? (Rires de Louis et Laurie)
Louis : Cette partie de la chanson est plus due à une observation de Ollie (Judge)tandis qu’il travaillait dans un magasin de disques. Il croisait souvent la personne chargée du ménage quand il quittait le travail tard le soir ou quand il arrivait le matin. Je ne pense pas que dans notre musique les paroles soient un message politique explicite que nous tenterions de répandre. Cela dit, je pense que la ligne entre l’observation et la conscience politique est assez difficile à définir. En l’occurrence, on ne défend pas là le working class heroe. L’idée était plutôt de dire ; nous travaillons tellement, tout en essayant d’économiser de l’argent que nous n’avons de toute façon pas le temps de dépenser puisque nous travaillons tant. Cette chanson traite en réalité plus de l’équilibre du temps dans nos vies, et de la dichotomie entre le travail et le jeu/loisir.
Weirdsound : Vous avez fait un radio édit…de « The Cleaner »
Louis : Oui…
Weirdsound : C’est dommage ! Vous coupez une partie importante de la chanson… Pourquoi acceptez-vous ce genre de chose ?
Laurie : Je ne sais pas… J’imagine qu’on a voulu en faire un single, et les choses devaient tout simplement se passer ainsi. Dans un sens oui, ça fait mal, on a carrément coupé le morceau en 2…
Louis : Carrément en plein dans le milieu!…
Weirdsound : Pourtant la seconde partie est hyper intéressante !
Louis : C’est l’un des côtés piégeux de la musique. On se bat vraiment pour les radio edit… Il faut trouver l’équilibre dans la question suivante : es-tu prêt à faire un sacrifice « musical » pour que des gens connaissent ta musique ? Si en écoutant ce radio edit, cela donne envie à des gens d’écouter l’E.P. dans son ensemble et la version entière de la chanson, alors c’est bon.
Laurie: Certains de nos amis, en nous voyant en concert nous ont dit : « Oh ! Vous jouez une version extended ? » (Rires) Eh non… C’est juste l’originale ! (Le soir, à Nantes, nous aurons, heureusement, une superbe version longue du titre!)
Weirdsound : Certaines de vos paroles parlent de l’ennui de la jeunesse anglaise. Mais elles donnent aussi envie, avec votre musique, de vivre, de combattre, de se réveiller ?
Laurie : Nous l’espérons ! Si avec toutes les tensions que notre époque vit, notre musique peut apporter une sorte de soulagement, que ce soit lorsque les gens viennent nous voir en concert, ou bien écoutent notre musique chez eux, alors c’est une très bonne chose. Je ne pense pas que notre musique soit explicitement conçue pour faire ressortir la colère des gens ou apporter une inclinaison politique. Après, si cela arrive par phénomène de catharsis ; très bien…
Louis : Notre approche des paroles est assez fragmentée. S’il y a une chanson dans laquelle Ollie et moi chantons, on ne discute pas à l’avance de la répartition des vers. Il peut sembler y avoir un peu de confusion, mais il semble également y avoir ces non-dits qui rendent le tout cohérent. Je pense que le public est à même de capter ces éléments un peu surréels, et si cela peut les dérouter mais les faire se sentir libres à la fois, alors c’est une excellente chose.
Weirdsound : « Houseplants » évoque un certain désenchantement,…..et aussi vis à vis du Brexit!?. Vous vous sentez européens,…. mais déçus par vos hommes politiques ?
Louis : « Houseplants » est plus une observation du chemin de vie des gens de notre âge. S’acheter un appartement, aller dans les magasins de fringues tous les week-end, et acheter des plantes d’intérieur, ça se situe plus là qu’au niveau politique. Nous nous considérons complètement Européens, et le Brexit est un problème avec lequel nous nous battons chaque jour. Non seulement il domine l’actualité, et met à l’écart beaucoup de problèmes graves comme la pauvreté en Angleterre, mais c’est en plus quelque chose que l’on ne veut pas voir se concrétiser… Le referendum lancé par Cameron n’aurait simplement jamais du arriver ! On se sent assez préoccupé et frustré…
Laurie : Oui, nous sommes clairement en colère. Boris Johnson est un sacré trou du cul. Il y a bien un espoir de changer les choses, mais ce n’est pas par des paroles explicites que nous pensons le faire. Encore une fois, si la musique peut faire ressortir quelque chose chez les gens, alors le job a été bien fait.
Louis : J’espère que la musique peut constituer une légère libération vis-à-vis de la morosité de la politique en Angleterre, sans que nous n’ayons à expliciter précisément ce que nous pensons et ressentons. C’est peut être simplement une distraction sympa et plaisante…
Weirdsound : Parmi vos amis, il y a beaucoup de déçus également ?
Louis : Oh que oui, tout le monde ! Je ne connais personne qui aurait voté pour le Brexit ! Nous sommes une petite bulle dont je suis content de faire partie, et dans laquelle personne n’a voté pour le Brexit…
Weirdsound : Dans « Match Bet« , la chanson est racontée du point de vue d’un fan de Sonic Youth. Vous pouvez en dire plus ?
Louis : Ça, c’est une question parfaite pour Ollie ! C’est encore une observation de la vie, vue depuis le magasin de disque dans lequel il travaillait. Un gars qui revenait du travail un jour, était passé au magasin de Ollie. Il avait ce petit bulletin de match avec tout un tas de conneries insensées dessus. J’ai demandé à Ollie où il avait eu ça ? Il m’a expliqué que bizarrement, il était obsédé par ce type complètement barje passé dans la boutique plus tôt. Il lui avait donné ce bulletin de match en lui demandant de le garder. « Match Bet » est donc une observation de ce type complètement instable. Crier dans le refrain de la chanson en est une très bonne représentation…
Weirdsound : Vous avez été marqués par Sonic Youth. Ce soir, vous jouez juste avant Thurston Moore. Quelle est votre impression ? L’avez-vous rencontré ?
Louis : Non nous ne l’avons pas rencontré. Eh bien c’est complètement surréel ! Je n’arrête pas de me souvenir et d’oublier que nous jouons au même festival que Thurston Moore ce soir… C’est très étrange ! Parfois, lorsque tu partage la même scène qu’un artiste, ça devient flippant, tu dois faire un pas en arrière et te dire : Putain c’est quoi ce bordel ? Qu’est-ce qu’on fout là ?
Laurie: Ce Festival Soy a l’air d’être un super endroit, et nous sommes vraiment très heureux et impatients de jouer !
Un Renouveau du Rock Anglais?
Weirdsound : Depuis deux-trois ans, j’ai vu Slaves, Hotel Lux, Shame, Queen Zee, Black Midi. Pensez vous qu’il y a un renouveau du Rock Anglais ? De quel groupe vous sentez-vous le plus proche ?
Laurie : C’est intéressant car tous les groupes que tu as cités ne se regroupent pas nécessairement sous une même étiquette. Black Midi et Shame ne font pas la même musique à mon sens. L’expression d’une colère à travers la musique a probablement quelque chose à voir avec le climat politique en Angleterre. Nous sommes clairement influencés par pas mal de groupes, comme Black Midi.
Louis : C’est un concept sympa de mélanger la musique pas forcément électronique, mais expérimentale, avec la musique des groupes un peu plus traditionnels. Black Midi, qui repousse les limites stylistiques, en est un très bon exemple. Nous voulons continuer à faire la musique qui nous intéresse, et nous l’espérons intéresse le public également.
Weirdsound : De quel groupe vous sentez-vous le plus proche musicalement ?
Louis : Des gens ont dit que Squid est comme Talking Heads. (Laurie éclate de rire) Je ne sais pas si et combien c’est vrai… C’est très difficile de dire de quoi ou de qui nous sommes le plus proches…
Weirdsound : Votre premier L.P., c’est pour quand ?
Laurie : L’année prochaine !
Weirdsound : Début, milieu, fin d’année ? (Rires)
Laurie : On a du boulot de compo à faire !
Louis : On a beaucoup d’idées… De quoi faire un long double album… Est-ce que ce sera un double album est une autre question!
Squid , à la fin de l’année 2019, aura donné plus de 100 concerts. Après cette débauche d’énergie sur scène, le groupe va souffler un peu pour se consacrer à cet album.
Squid, quelques heures plus tard jouait sur la scène du Lieu Unique à Nantes. Retrouvez le report ici!
Le nouvel E.P « Town Centre » doit être disponible, en version physique-vinyle- dès ce vendredi 15 novembre.