Six ans de réflexions
Ma rencontre avec la musique du combo de prog metal canadien remonte à leur superbe album Volition de 2013. J’avais été subjugué par la violence, la maitrise et le déferlement de riffs de ce disque. Depuis, Arif Mirabdolbaghi, bassiste et parolier de PTH, est parti vers de nouveaux horizons. Il n’a pas été officiellement remplacé, mais le producteur du groupe, Cameron McLellan, qui jouait déjà sur certains titres de cet album, est depuis celui qui tient la quatre cordes en tournée et sur les enregistrements. Quelques mois auparavant, c’était Moe Carlson le batteur originel qui était remplacé tout d’abord par Chris Adler, le monstre rythmique derrière les fûts de Lamb Of God, puis par Mike Ieradi. Protest The Hero qui a sorti ses premiers titres et démo alors que ses membres n’étaient pas encore majeurs, avait enchainé les albums, de l’excellent et impulsif Kezia (2005), jusqu’à Pacific Myth, enregistré en 2015 et sorti officiellement en octobre 2016. Ce dernier ne peut guère être considéré comme un album de part sa nature même : sorti sur Bandcamp à raison d’un titre par semaine, et financé sous forme de souscriptions. Donc, depuis Volition sorti fin 2013, il n’y avait pas réellement eu d’album du groupe. Palimpsest peut donc être qualifié sans trop de polémique de premier album du groupe depuis six ans.
Un concept album qui prend l’histoire à revers
Je me souviens d’avoir pensé à l’écoute de Volition que trop c’était trop : la surenchère de technique me paraissait tuer la musique et l’émotion. Puis après plusieurs écoutes, j’avais fini par trouver cet assemblage explosif de growl, de chant power metal, de punk hardcore et de riffs exubérants plutôt excitant. Les thèmes abordés et les positions progressistes adoptées dans les textes avaient fini de me convaincre que j’étais face à un groupe majeur : défense de la condition humaine comme animal, violente attaque contre l’homophobie, oui les valeurs défendues me convenaient. Et c’est assez important pour moi en musique, assez pour me faire aimer ou détester un groupe. (Aparté : j’ai toujours un peu de doute et de mal avec le Black car bien souvent on y trouve des graines de fafs! Je suis toujours mitigé à ce propos avec Alcest. Que ceux que ça intéresse cherchent du côté des collaborations de Neige). Mais revenons à nos « Hero ». À cette époque, c’était alors Arif Mirabdolbaghi qui écrivait les textes. Ce dernier ayant quitté le navire, Rody Walker, avait alors la lourde tâche de reprendre le flambeau d’une écriture incisive et forte. Pour Palimpsest, il fallait également qu’il se remette de problèmes aigus de cordes vocales contractés lors de la dernière tournée. En effet, ce dernier a toujours avoué être un dilettante musical et n’avoir jamais réellement travaillé son… « organe »… Bref, il a payé ce talent très cher et du revoir toute sa technique, retrouver sa voix et, par-dessus tout, allier vie professionnelle et vie privée. Palimpsest commence à voir le jour peu après l’élection de Trump de l’autre côté de la frontière. Constatant que le « Make America Great Again » du demeuré siégeant désormais à la Maison Blanche n’avait pas grand chose à voir avec une vision, disons un peu plus objective de l’histoire (ça n’existe pas vraiment, on est d’accord), Protest The Hero décide alors de prendre l’idiot à contre-pied et d’explorer l’histoire US du XXé siècle du côté des perdants, des ignorés et des oubliés. C’est ainsi que l’auteur va mettre en valeur des « héros » et « héroïnes » ou analyser sous un autre jour des évènements peu ou mal connus du public dans les textes de ce nouvel album.
La grandeur à laquelle Trump et ses potes veulent retourner ne concerne qu’une élite de vieux mâles blancs et riches
Interview dans Loudwire, 16 juin 2020
Palimpsest est un pied de nez au clown blond
Encore une fois, sur Palimpsest, les thèmes abordés sont progressistes dans le sens américain du terme. Éberlués et dévastés par la vision étroite du monde, misogyne, raciste, et on en passe, véhiculée par Trump et son administration, les musiciens décident de mettre en exergue des figures qui leurs semblent plus méritantes où représentatives d’une vision alternative de l’histoire américaine. C’est l’image du « Dust Bowl » et de la « mère migrante » immortalisée par Dorothea lange pour le Farm Security Administration dans Migrant Mother, silhouette tout d’abord anonyme dont l’identité fut révélée bien plus tard. En élevant cette personnalité féminine devenue iconique de la misère des années 30, et donc des perdants de l’Amérique, au statut de représentante de cette époque de l’Histoire américaine, Walker nuance le discours de grandeur du président ainsi que sa vision machiste du monde.
C’est une autre figure féminine qui émerge de The Canary en la personne de l’aviatrice Amelia Earhart, la première femme à traverser l’Atlantique en solitaire. Son avion, le Canary, disparut en mer en juillet 37 au large de la Nouvelle-Guinée. On retrouva sur une ile déserte, en 1940, des ossements qui furent plus tard attribués à l’aviatrice. Gardenias évoque le suicide de l’actrice britannique Peg Entwistle qui n’apparut que dans un seul et unique film hollywoodien posthume. Symboliquement, elle mit fin à ses jours en sautant du haut du « H » de « Hollywood ».
Continuant avec les réprouvés, les minorités, les sans voix, c’est la violence de la profanation et de l’humiliation dont furent victimes les indiens Lakota (aussi appelés Sioux) lorsque le président Calvin Coolidge accepta de confier au sculpteur Gutzon Borglum la tache d’ériger un monument à la gloire des présidents des U. S. A. sur la montagne des « 6 grands-pères » qui sont évoqués dans Little Snake. Le Mont Rushmore est depuis devenu un haut lieu du tourisme blanc américain sur des terres sacrées spoliées aux natifs de cette région. Trump ne s’y est pas trompé lorsqu’il s’est fait photographier, comme nombre de présidents, devant la montagne et prétendu être digne d’y figurer : tout comme le père de l’actuel résident de la Maison Blanche, Borglum était membre du K. K. K. (alors que Coolidge passe plutôt pour un progressiste à l’époque en termes de droits civiques…)
Palimpsest est une grande réflexion sur ce qui constitue le récit construisant l’identité d’une nation à laquelle tous les imbéciles qui sont nés quelque part vont se référer pour prétendre être au-dessus des autres. le groupe appuie là où ça fait mal et met en lumière les personnalités oubliés, les incidents dramatiques occultant la réalité des faits. C’est From the Sky qui relate la catastrophe de l’Hindenburg, et dont la photo et le choc causé par le drame ont fait passer au second plan le symbole de la propagande Nazi qu’était le zeppelin ainsi que l’accommodation de l’administration US de l’époque avec le régime Allemand. C’est également une réflexion sur la façon dont les images façonnent notre mémoire et notre vision de l’histoire. Soliloquy évoque l’iniquité du système carcéral, The Fireside, les discussions au « coin du feu » de Roosevelt au sortir de la Grande Dépression ; mais aussi les expulsions et saisies, conséquences des crises économiques et de l’endettement particulier au système capitaliste US.
And when they came for the crib
They came for the table and the drapes on the walls
They came for the clothes on the backs on my kids
My god, they came for it all
Le titre évoque ensuite la mise en place du complexe militaro-industriel qui a suivi l’entrée en guerre des USA et fini de relever l’économie au prix d’une dépendance accrue aux grands groupes. C’est aussi Reverie qui met à mal le rêve américain et aborde la façon dont le pays a traité ses anciens combattants après le Vietnam notamment. Rivet reprend le thème de la grandeur pour lui tordre le cou tout en reprenant le slogan du clown orange « Make America Great Again », délivrant au passage un message d’optimisme :
No country’s history is free from bullshit/But everyone just seems so fucking proud
Aucun pays n’a une histoire exempt de foutaises, mais tout le monde en semble pourtant sacrément fier
Rivet
Une musique brillante
Ce nouvel album montre à quel point le groupe a atteint des sommets. Si au fur et à mesure des productions les musiciens gagnaient en assurance et les morceaux en qualité et efficacité, le bond est cette fois phénoménal. Après une longue rééducation et un entrainement intensif, la voix du chanteur a encore gagné en puissance et en clarté. On peut même se demander si cette épreuve ne l’a pas vu sortir encore grandi techniquement. Alors que certaines notes plus aiguës pouvaient accrocher, racler auparavant, sur Palimpsest, les vocalisent sont claires, précises, proches parfois d’un Michael Kiske (Helloween) ou d’un Cedric Bixler-Zavala (At The Drive In/Mars Volta), fleurtant avec le power-metal. Instrumentalement, si Luke Hoskin (guitare) prétend ne pas rechercher la virtuosité, on est obligé de s’incliner devant la déferlante de riffs furieux, de descentes de gammes d’une rare précision, les enchainements de thèmes et les rythmes effrénés, héritage des débuts punk, sur lesquelles ils sont joués. Les deux guitaristes se confrontent en une sorte battle au sein de laquelle Tim MacMillar et Hoskin montrent une complémentarité parfaite. Car le groupe n’est pas de ceux qui s’endorment sur leur lauriers. Et on mesure le chemin parcouru dans l’écriture depuis Volition : le jeu a gagné en précision, les riffs sont mieux balancés et encore plus efficaces, les descentes de gammes qui jalonnent les compositions s’intègrent mieux dans l’ensemble et accroissent la dose d’adrénaline que procure l’écoute des morceaux, l’écriture mélodique des lignes de chant est plus riche… Peut-être parce que Rody Walker écrit désormais ses propres textes. Toujours est-il que dès Migrant Mother (où se dessine en filigrane la célèbre photo de Florence Owens Thompson prise par Dorothea Lange) qui ouvre l’album, on est submergé par un mur de notes, de guitares, de beats et blasts furieux, le tout arrangé avec une orchestration qui ne se cache plus en arrière plan, mais participe pleinement de l’ambiance des titres. On trouve des passages presque symphoniques sur Reverie ou Rivet par exemple, avec des nappes de cordes qui feraient passer n’importe quel groupe de symphonic-metal pour des vieux punks. L’écriture qui pouvait sembler parfois décousue sur les précédents opus (Scurrilous et Volition) est ici parfaitement maitrisée : entre arpèges et frénésie rythmique, montées et descentes en intensité, l’équilibre entre chaque ingrédient est simplement brillant et aucun titre ne faiblit durant l’écoute.
Quelques growls (All Hands, Soliloquy) viennent confirmer que PTH n’est ni un groupe d’emo ni de power metal, mais qu’il a toute sa place, à part, dans la nébuleuse prog-metal. On trouve toujours quelques résurgences du punk hardcore des débuts, notamment dans The Canary, Fireside ou Rivet.
Palimpsest : No compromise!
L’écriture de Palimpsest s’est faite avec l’urgence de témoigner du désarroi et de la colère de la montée de l’alt-right, la nouvelle extrême droite américaine, au sein de l’administration grâce à Trump et ses amis. Une réponse d’un fan à un tweet anti-Trump de Tom Morello (RATM, Prophet Of Rage, Audioslave…) avait déclenché l’hilarité de la toile en déclarant que si le guitariste commençait à faire étalage de ses opinions politiques, il cesserait d’écouter sa musique… Mmmh. Comment dire… Morello avait répondu qu’il en était ravi! Walker adopte plus ou moins la même position lorsqu’on lui demande s’il n’a pas peur de s’aliéner des fans. Le groupe ne s’étant jamais caché de ses opinions, il est assez difficile de passer à côté. En fait, plus qu’un manifeste, Palimpsest constitue un véritable anti-manuel d’histoire accompagné d’une bande son parfaite. D’une efficacité redoutable, chaque titre se détache comme une entité particulière, exposant tous une thèse sur un thème donné pour conclure sur les circonstances qui ont amené Trump au pouvoir. L’arrivée de la pandémie a cependant surpris les musiciens, et en particulier le chanteur, qui y a pourtant vu comme un reflet présent du passé évoqué dans ses textes. Palimpsest est un album absolument nécessaire dans le climat actuel, combattant avec une grande conviction le nationalisme aveugle (magnifiquement illustré par la pochette œuvre de Martin Witfooth) tout en mettant au premier plan les minorités et les opprimés. In-dis-pen-sa-ble!
I don’t want those people [the alt-right] to listen to our music anyways. […] Fuck ’em.
Interview de Rody Walker pour loudwire, 16 juin 2020
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