Manuel Adnot et le Macadam Ensemble viennent de sortir, fin janvier, sur le label Fo Feo Prod, un très bel album, Amor Infiniti, à côté duquel il serait dommage de passer, d’autant qu la démarche, non commerciale, risque de souffrir d’un manque de publicité: l’album est né d’une rencontre de Manuel Adnot avec le Macadam Ensemble et fruit d’un long travail étroit -« une collaboration fantastique » m’a confié Manuel Adnot- avec le chef de choeur Etienne Ferchaud.
Manuel Adnot fait partie des musiciens d’une scène nantaise riche et diversifiée. Musicien de Jazz, on a pu le croiser dans des groupes comme Sidony Box (3 albums) mais ausssi Aeris, classé métal progressif (mais bon…les classements!) avec lequel il a sorti deux albums. Manuel Adnot est un guitariste que l’on peut qualifier d’avant gardiste, aimant composer, improviser et multiplier les projets originaux : les nantais ont pu ainsi le voir/l’écouter aux côtés de Tetuzi Akiyama, guitariste japonais et figure emblématique de la scène improvisée japonaise, et Yann Joussein (batterie) au L.U à l’automne 2017.
Manuel Adnot a bien voulu nous éclairer sur cet album, Amor Infiniti, dont le titre est inspiré du livre de l’astrophysicien et écrivain vietnamo-américain Trinh Xuan Thuan, Désir d’infini. Si les termes peuvent, initialement, signifier l’amour de l’infini, ils peuvent aussi s’entendre comme l’Amour Infini; cette double lecture-lien étroit entre Amour et infini- est le socle de travail d’écriture et de scénographie que propose le projet Amor Infiniti.
Une création sonore et visuelle montée en trio
Le projet n’est pas seulement né d’une création/collaboration avec Etienne Ferchaud, « via Cyril Jollard, à l’époque programmateur du Lieu Unique »(et maintenant à la direction de la Soufflerie à Rezé, ndlr) me précise Manuel Abnot. Etienne Ferchaud est chef assistant de choeur de l’O.N.P.L, directeur de Musique Sacrée à la cathédrale de Nantes dont il dirige la maîtrise, tout en étant directeur artistique de Macadam Ensemble et du choeur de chambre Aria Voce! Le projet a été conçu comme une création sonore et visuelle et « a bien été montée en trio avec le plasticien Barthélémy Antoine-Loeff qui travaille sur la matière naturelle, les volcans, les minéraux…et très connecté à l’Islande comme moi » ajoute encore Manuel Adnot. Lors de la première, au théatre Graslin, à Nantes, le 21 Février prochain, Barthélémy Antoine-Loeff, vidéaste plasticien, sera donc « présent sur scène et manipulera en direct une performance avec le choeur et moi même à la guitare » tient à préciser Manuel Adnot.
Une composition onirique sous influences
La composition d’Amor Infiniti est entièrement l’oeuvre d’écriture musicale de Manuel Adnot: « Je suis compositeur de la musique d’Amor Infiniti, aucun compromis n’a été fait sur la musique, sa pensée, son espace » (j’avais demandé à Manuel Adnot s’il y avait eu des compromis dans l’alchimie entre parties instrumentales et place des choeurs, ndlr).
Sans entrer trop dans les détails de la composition, je souhaitais savoir comment s’étaient opérés les choix de coupures -synonymes de silence- à l’intérieur même des longs titres « Souveraineté du vide » et « Iceland-Stay Still ». Je soupçonnais leur importance et j’eus droit à une réponse très complète de Manuel Adnot; il me paraît intéressant de vous la faire partager dans son intégralité car elle correspond à l’âme même de l’oeuvre, contribuant à son identité originale. « Le travail sur le silence a été un passage extrêmement important. Les écrits de Maurice Blanchot (Le silence était important pour Blanchot, ndlr) ont accompagné l’écriture du projet et il y a une vraie pensée de l’espace dans Amor Infiniti. Pour les mettre en forme, je me suis isolé à la campagne après avoir réalisé l’enregistrement du choeur (A la Chapelle de l’Immaculée, à Nantes, ndlr) et je voulais me charger du montage. La nuit, je faisais des écoutes des prises de voix, de façon répétée et très intense, en plein air et seul; J’ai ensuite envoyé les « edits » à Nicolas David, qui a enregistré le disque, pour y poser les guitares lors d’une deuxième session d’enregistrement. J’ai du écouter 200 fois les mêmes passages pour atteindre le vrai « time » que je ressentais à certains endroits, ce qui me demandait une extrême concentration, d’imaginer quel poids tel silence devait avoir, sans avoir une notion forcément d’une longueur précise. Pour moi ce travail fait entièrement partie de la musique ».
A l’intérieur de la pochette de l’album figurent d’ailleurs 3 phrases qui ont inspiré la musique d’Amor infiniti: une de Maurice Blanchot, une de Yasunari Kawabata et « Souveraineté du vide » (titre d’un des livres de Christian Bobin, ndlr) devenu le 3ème titre de l’album.
La notion d’espace est omniprésente dans Amor infiniti, sans doute partie intégrante de l’oeuvre au même titre que les silences qui sont des espaces. On est, bien sûr, tenter de jouer sur les mots…Espace cosmique…infini…mais aussi les grands espaces, particulièrement les paysages nordiques y compris islandais, qu’au moins 3 des 4 titres peuvent évoquer. En imaginant, et en attendant presque le saxo de Jan Garbarek et le Hilliard Ensemble sur le 1er titre « World Light » et surtout les musiciens de Sigur Ros sur les 3ème et 4ème titres, je ne me trompais pas beaucoup; « Sigur Ros est une influence majeure de ma musique; mon ami Boris Louvet (batteur du groupe Aeris) m’a fait découvrir « Agaetis Byrjum » (2ème album de Sigur Ros paru en 1999, ndlr) quand j’avais 18 ans et cette musique ne m’a jamais quitté depuis. Mais plus largement, je suis influencé par la scène islandaise, Johan Johannson, Alex Somers et Kjartan Sveinsson » confie Manuel Adnot.
On trouve, aussi, dans le titre « Iceland-stay still » quelques phrases de Magdalena Tworek, « jeune poétesse vivant à Reykjavik » précise Manuel Adnot avant d’ajouter: » J’ai découvert ce poème parlant de l’Islande-mais aussi de silence, de tempête, de battement de coeur-qui est devenu la 1ère composition d’Amor Infiniti sur laquelle je me suis concentré. Le fait de travailler, dans un premier temps, sur la prosodie m’a aidé à mettre en forme les arrangements de voix pour la suite de l’écriture ».
Des titres invitant au voyage
Je m’attarderai seulement un peu sur les deux derniers longs titres de l’album où les silences et la notion d’espace invitent davantage encore au voyage, y compris méditatif.
Dans « Souveraineté du vide » (qui doit s’écouter, bien sûr, dans son intégralité des 23’32 »!) j’aime tout!…mais encore plus particulièrement certains passages…tiens…comme un coeur qui bat, rappel de l’influence de Magadalena Tworek mais aussi de l’album Agaetis Byrjun, avant que des notes cristallines de guitare ne tombent, comme des gouttes d’eau; on peut imaginer (chacun est libre) un rideau qui s’ouvre sur une aube -une ère?- nouvelle et lumineuse où tout est permis…montée musicale à la Sigur Ros et belles nappes sonores. Précision importante que me donne Manuel Adnot, tout est joué à la guitare électrique 8 cordes: « Je ne joue qu’avec ma guitare 8 cordes, qui a été réalisée par mon luthier Cyril Guérin; c’est un instrument fantastique et unique et c’est le seul instrument avec la voix dans Amor infiniti. Les sons de nappes sont partiellement joués avec une technique de violing qui consiste à ouvrir le micro de guitare après avoir frappé la note, pour effacer son attaque et donner un son ample et large ». Les portes du paradis se seraient elles ouvertes tandis que le calme revient, des choeurs rassurants nous enveloppent. On se laisse emmener très loin…silence…fin du titre.
« Iceland-stay still » débute par des choeurs mixtes dans le style grégorien ; atmosphère monastique médiévale minimaliste; les premières notes de guitare n’apparaissent qu’après 4 minutes de cette belle intro vocale… J’adore les fantaisies vocales suivantes , motifs appelés « un réservoir » (Merci Corinne B, une des choristes, pour cette précision technique!) avant la nouvelle montée instrumentale avec la répétition d’une même phrase musicale obsédante et addictive que Jonsi B. et Alex S. devraient adorer!
Amor infiniti est un album (à la qualité de son irréprochable!) que vous devez écouter en prenant votre temps: le temps de l’écoute, de s’en imprégner, de se l’approprier! Un album qui invite au voyage…cosmique ou onirique sur fond de grands espaces/paysages nordiques. Un album magnifique, inclassable, d’une cohérence rare, qui peut aussi favoriser l’état contemplatif. Quand le disque s’arrête, on a l’impression de revenir d’une N.D.E ou d’un somptueux trip musical, sans substance nocive pour votre santé mentale!
Je laisse volontiers le mot de la fin à Manuel Adnot: « J’aime bien l’idée que chacun se fasse une lecture d’Amor infiniti, de son nom ou de sa musique. Ce que cela veut dire pour moi n’est pas forcément la même chose pour vous (auditeurs/lecteurs) et c’est ce que j’adore dans l’idée que cette musique ne m’appartient plus quelque part; elle est faite pour s’y lover, elle n’est pas obscure, j’espère qu’elle est généreuse aussi finalement ».
Si vous habitez la région nantaise, à ne manquer sous aucun prétexte le 21 Février au Théatre Graslin!
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