En cavale avec les sœurs terribles de Bodie

D’habitude, elles sont trois, trois soeurs vivants clandestinement avec toutes les polices à leurs trousses. Elles, ce sont les soeurs terribles de Bodie. Imogène (Emilie Marsh), Blanche (Joko) et Andrée (Cécile Hercule). Mais cet après-midi, elles ne sont que deux « Notre sœur s’est barrée avec un mec. » me répondent elles en coeur lorsque je fais la remarque. Elles viennent de sortir un nouvel EP de cinq morceaux entièrement en français, Où va-t-on dormir ce soir ? qui sonne comme une provocation pour des soeurs toujours en cavale. Elles ont accepté de se poser, une trentaine de minutes avec moi, pour répondre à mes questions dans un lieu tenu secret.
Wanted !

Weirdsound : bonjour les fugitives, pour commencer, pouvez-vous, vous présenter à nos lecteurs ?
Emilie : Moi c’est Imogène la petite sœur en spectacle, illettrée… En vrai je m’appelle Emilie Marsh
Blanche : Moi c’est Joko et je joue le rôle de Blanche dans Bodie, je suis la grande sœur, l’aînée, la cheffe, la tueuse.
Weirdsound : Comment s’est déroulée votre rencontre ?
Blanche : on s’est croisées toutes les trois aux rencontres d’Astaffort qui est un festival crée par Francis Cabrel il y’a plus de 20 ans. Les artistes viennent de différents horizons et doivent, pendant une semaine collaborer ensemble et à la fin, il y’a un concert. Le principe, c’est que chacun fasse quelque chose de différent, comme Emilie avait une mélodie elle m’a demandée de l’interpréter et a demandée à Cécile d’écrire le texte. C’est comme cela qu’on s’est rencontrée. Du coup est née une chanson qu’on a adoré, on s’est dit que ça fonctionnait très bien pourquoi pas ?
Weirdsound : C’était en quelle année ?
Émilie : 2013, le projet a mis du temps à voir le jour parce que au départ on ne savait pas trop ce qu’on allait faire de tout ça, ça fait vraiment deux ans qu’on travaille ensemble.
Joko : on s’est rencontrées en 2013, après on s’est revues deux fois en 2014 pour poser les jalons, écrire, faire naître l’histoire, les personnages. Et c’est seulement en 2015 qu’on a commencé à jouer ensemble.
Notre but serait de retourner à Bodie et de faire un énorme concert.
Weirdsound : D’où vient le nom de scène Bodie ?
Émilie : on a vraiment voulu créer une histoire au départ, on s’est dit « on va créer un groupe ensuite réfléchir », on a toutes des personnalités très différentes. On s’est dit « tiens ! on va raconter l’histoire de trois sœurs ». Petit à petit, on a réfléchi, on a décidé d’être un peu gangster… on voulait vraiment faire un truc un peu impertinent. On a imaginé des délires, qu’on était en cavale et quand on réfléchissait à un nom de groupe, on cherchait un nom de ville et on a trouvé ce nom de Bodie qui est une vraie ville fantôme en Californie. C’est une ville qui existe vraiment, qui a été brûlé et qui est visitée par des touristes, on s’imaginait habitant imaginaire de cette ville et de là est née le nom de scène Bodie. Notre but serait de retourner là-bas et de faire un énorme concert.
Blanche : c’est vraiment la genèse du groupe, tout part de cette ville.
Weirdsound : Est-ce que vous êtes toujours en cavale ?
Émilie : toujours, d’ailleurs, tout à l’heure il y a des flics qui sont passés, heureusement qu’on est en civile sinon ça allait chauffer pour nous.
Weirdsound : la décision d’évoluer en trio s’est toute de suite imposée à vous ?
Blanche : comme on te l’a dit, on s’est rencontrées toutes les trois, ça fonctionnait, on est restée ainsi.
Émilie : notre force c’est justement d’être trois, c’est notre histoire, celle de trois sœurs. Ne pas avoir d’autres musiciens, c’est un choix, de garder cette complicité très forte, c’est ce qui fait notre identité. Il n’a jamais été question d’ajouter une autre personne.
Weirdsound : comment se passe la composition des musiques dans une bande de trois ?
Émilie : c’est très simple, en fait, on a gardé le même modèle que quand on s’est rencontrées. Globalement, moi je fais les musiques, Cécile fait les textes et Joko interprète, elle fait parfois des mélodies aussi et apporte des textes. C’est une collaboration vraiment collective, mais en même temps, on a gardé chacune des rôles précis dans la façon d’écrire et de créer.
Weirdsound : Si je vous demande « où va-t-on dormir ce soir ? » vous me répondez quoi ?
Emilie : normalement on allait dormir dans le coin, mais étant donné qu’on a vu passer les flics, on ira dormir ailleurs.
Weirdsound : Votre nouvel EP de cinq titres est complètement en français, c’est un choix délibéré de votre part quand la mode est de chanter en anglais ?
Émilie : tout à fait, on a envie d’être comprise, on ne s’est jamais posées la question là-dessus.
Weirdsound : Et en anglais ça ne vous tente pas ?
Blanche : ça dépend du style…
Émilie : on raconte une histoire et c’est vraiment important de le faire en français.
Blanche : notre mère était d’origine française même si nous sommes nées à Bodie et c’est aussi une façon de lui rendre hommage.
Weirdsound : Pourquoi avoir opté pour l’humour trash dans vos morceaux ou sur scène ? Par exemple dans le titre « Maman » vous vous servez de l’ironie pour rendre un hommage à votre mère.
Émilie : c’est toute l’ambiguïté de notre mère, parce que nous, on connaît toute l’histoire mais vous ne la connaissez pas. Elle nous a élevé très bizarrement, elle nous a gardé recluse et un jour elle est partie et on s’est retrouvées livrées à nous-même. C’est toute l’ambiguïté de ce rapport nocif, elle nous a coupé du monde. A la fois on l’aime profondément mais en même temps, elle nous a complètement traumatisé. Toutes nos pathologies viennent d’elle.
Blanche : on avait une mère dysfonctionnelle, oui on l’aime, c’est notre mère, mais en même temps on parle de ce qu’elle faisait aussi avec tendresse. On ne se rend pas vraiment compte que c’est différent des autres, pour nous, c’est une chanson sur notre mère.
Weirdsound : Vos clips sont de véritables courts-métrages…
Émilie : on adorerait tourner un clip à Bodie dans notre vie, mais il faudrait qu’on puisse y retourner. Il y a quelque chose de très cinématographique dans nos clips, il y a toujours une histoire, des références comme Tarantino. On a envie que ce soit vraiment chialé à ce niveau-là parce que c’est très narratif.
Blanche : c’est très important parce que Bodie étant déjà en soi une histoire à part entière de trois sœurs, on voulait que visuellement les gens puissent retrouver ça, cette histoire, cette fiction qui existe, qu’ils puissent la voir visuellement.
Blanche, Andrée et Imogène sont le fruit de l’éducation de leur mère un peu dysfonctionnelle mais en même temps très attachante.
Weirdsound : Le fait de toujours tout prendre à la légère est ce que c’est une sorte de signature pour vous ?
Émilie : c’est la personnalité des trois personnages qui donne ce rendu. On a souvent l’impression que c’est léger, mais pour elles ça ne l’est pas.
Blanche : et puis elles sont décalées par rapport aux autres, elles n’ont pas du tout la même vision. Imogène raconte une histoire où elle pousse les gens dans la Seine et elle trouve ça super, c’est vraiment sa personnalité. On peut en rire ou être choqué, mais c’est sa personnalité. Blanche, Andrée et Imogène sont le fruit de l’éducation de leur mère un peu dysfonctionnelle mais en même temps très attachante. Il y a aussi le rapport entre les sœurs, parfois, on se chamaille mais il y’a aussi des moments de grandes complicités et d’amour.
Weirdsound : Ça vous arrive de penser à des projets personnels ? Évoluer en solo ?
Émilie : c’est déjà le cas, on a toutes un projet personnel à côté du groupe. Joko prépare son prochain disque, moi, je prépare mon prochain album qui sortira en mars, Cécile prépare son nouveau projet. On a toute une actualité en parallèle.
Blanche : une actualité qui existait déjà avant ce projet commun. Pour nous, ce projet c’est vraiment la récréation.
Weirdsound : Est-ce que vos projets personnels ne risquent pas de prendre le pas sur le groupe ?
Émilie : pas du tout. On incarne des personnages, c’est comme quand on joue un rôle au théâtre. Aujourd’hui il n’y a pas de problème à être sur plusieurs projets, au contraire.
Blanche : le public qu’on a toutes sur nos projets personnels peuvent venir voir le groupe et inversement. Dans nos projets c’est autre chose qu’on fait, Bodie c’est vraiment de la récréation dans le sens où on est des personnages et on peut tout se permettre. Moi il y a des choses que je fais dans Bodie que je ne ferai jamais dans mon projet perso, parce que le groupe, c’est vraiment une fiction, on peut pousser et aller loin. On peut tout accomplir ça ne veut pas dire qu’on ne se lâche pas dans nos projets solo, mais ces derniers ont quand même un cadre unique, mais avec Bodie tout peut arriver, on ne peut jamais savoir ce qu’elles vont faire la fois d’après.
Émilie : au moindre souci technique par exemple, on reste dans nos personnages et on en joue, c’est vraiment une liberté infinie.
Weirdsound : Comment se prépare le spectacle du 5 décembre ?
Émilie : nous avons travaillé avec Arnaud Joyet qui nous a permis de mettre en scène notre spectacle, on a continué toutes seules à travailler, c’est vraiment assez écrit, il y a une vraie trame.
Weirdsound : C’est le metteur en scène qui vous contacte dans ce cas-là ?
Émilie : là, c’est parce qu’on le connaissait déjà depuis les rencontres d’Astaffort, il a vu se créer notre trio. On lui a demandé un coup de main et il nous a aidées sur la mise en scène du spectacle.
Weirdsound : Est-ce que pour vous le monde de la musique est assez vicieux ?
Émilie : c’est comme partout, je n’ai pas l’impression que ça soit plus vicieux qu’ailleurs.
Blanche : moi non plus, je n’ai pas l’impression que ce soit plus vicieux qu’ailleurs, c’est toujours pareil, il y a des hauts et des bas, faut juste savoir où se situer.
Weirdsound : Est-ce que vous vous considérez comme féministe ?
Émilie : on est toutes féministes de base, mais ce n’est pas forcément la parole qui est défendue à travers Bodie, c’est plus une parole de femmes libres que de féministes. Ce qui ressort vraiment, c’est notre force, on n’est pas des folles fragiles.
Blanche : c’est vraiment une parole de personnes libres. Oui, c’est vrai qu’on est des femmes, d’instinct, de nature on est féministe. Mais féministe ça veut dire quoi ? C’est juste vouloir l’égalité, donc oui, forcément on est féministes. Mais c’était pas du tout écrit quand on a monté le projet. Il est de facto féministe, parce que nous-même c’est notre façon d’être, de penser.
Weirdsound : Que voulez-vous qu’on retienne de ce nouvel EP ?
Émilie : franchement la force des chansons, des textes, j’espère que les chansons plairont et que les gens vont aimer et viendront nous voir en concert par la suite.
Weirdsound : Un mot pour définir vos différentes personnalités ?
Blanche : froide
Émilie : brute. Pour Cécile on va dire chaude (éclats de rire)
Weirdsound : les festivals que vous rêvez de faire ?
Émilie : on en a fait pas mal, mais nous, on est bien en salle, parce qu’en salle, il se passe un autre truc avec le public, après on a déjà fait des scènes extérieures.
Blanche : la salle ça correspond bien à Bodie, c’est vrai que là on a une envie de faire aussi des lieux plus atypiques, particuliers, puisqu’on est toujours en cavale. Et surtout pousser vers des lieux où on n’imaginerait pas donner un concert.
Weirdsound : la salle parisienne vous fait rêver…
Émilie : le cercle d’hiver, ça serait parfait, ça marcherait bien avec Bodie
Blanche : un jour on y arrivera.
Pour célébrer la sortie de l’EP Où va-t-on dormir ce soir ?, elles donnent rendez-vous au public pour un show clandestin, mis en scène par Arnaud Joyet, au Zèbre de Belleville le 5 décembre 2018.
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