Histoire de nous sortir un peu du journalisme quotidien, j’aimerai revenir avec vous sur un artiste et un album que j’affectionne particulièrement ! Il s’agit de Dr John « The Night Tripper » et de son premier opus intitulé Gris-Gris.
Cet album, sorti en 1968, est proprement légendaire (je vous défi de dire le contraire !). Pour l’anecdote, le patron de l’énorme maison de disque Atlantic, à l’époque Ahmet Ertegun, aurait découvert le premier album du Dr. John, après l’avoir signé ! Après une écoute de Gris-Gris, le pauvre tenancier de chez Atlantic a, de manière très lucide, compris qu’il venait de perdre un gros paquet de fric. Les ventes de Gris-Gris ayant effectivement été proches du zéro absolu !
Et pourtant ! Je peux vous jurer que ce Gris-Gris c’est une sacrée affaire ! Un peu d’histoire pour commencer : Malcom John Rebennack, connu sous l’alias de Dr. John, est né à La Nouvelle Orléans en 1940. C’est un musicien professionnel, touche à tout et multi instrumentiste, avec une prédiction particulière pour le piano. Il travaille en studio à Los Angeles, et collabore sur les enregistrements de nombreux artistes en vogue de l’époque : Canned Heat, Sonny & Cher…
Il compose et enregistre Gris-Gris, quasi uniquement à la guitare, s’étant à blessé à une main et ne pouvant pas jouer de piano. Un mec originaire du Bayou, avec une guitare pour seule compagne…Il n’en faut pas plus à Dr. John pour nous sortir des airs venus de sa Louisiane natale pendant tout l’album !
On est plutôt dans une ambiance à la Delivrance, que dans les clichés de carnaval à la Nouvelle Orléans….La musique du Dr. John vient du marais, elle est sauvage, étouffante, survitaminée aux influences vaudou ! Dr. John est un grand amateur de ces histoires de morts vivants, de sorcières, de magie noire et de potions aux effets malsains…Si le docteur John a bien eu son doctorat (on peut en douter), c’est surement dans une hutte du Bayou auprès de confrères sorciers et rebouteux !
Le premier titre de l’album, Gris-Gris Gumbo Ya Ya, est d’ailleurs une belle introduction au personnage du Dr. John « The Night Tripper » …On y comprend rapidement que ce type-là ne travaille pas au CHU de Aubervilliers !
Les autres chansons ne sont que allusions et histoires de cérémonies vaudou et autres messes noires au milieu des marais, on y trouve des morts vivants et des sorcières dans Mama Roux, un croquemitaine dans I Walked On Guilded Splinters…L’intégralité du bestiaire issu des légendes locales et des « visions » du Dr. John y passe !
A cette époque où, LSD et autres substances aidant, la musique partait dans tous les sens, celle de Dr. John semble carrément venir d’un monde parallèle où personne ne s’était encore aventuré. Un concentré de tout ce que l’on pouvait entendre à La Nouvelle-Orléans : le jazz bien sûr, le blues, les fanfares de Mardi-Gras, le swing ou le rhythm’n’blues si particuliers de Fats Domino (qui nous a quitté il y a deux semaines) ou Lee Dorsey, tout ça passé à la moulinette du Dr. John, avec ces rythmes chaloupés et lents, et ce chant grommelé, très proche d’un Captain Beefheart.
Dr. John disparait progressivement des radars, restant dans le coeur des mélomanes comme une légende de la Nouvelle Orléans, mais le malicieux docteur nous revient en 2012 et en bonne compagnie!
Il enregistre un nouvel album, Locked Down, en collaboration avec Dan Auerbach, le chanteur et guitariste des Black Keys. A 72 ans, le Dr. John retrouve le chemin des charts, et les critiques sont très bonnes, une grande tournée est organisée dans la foulée.
Cet artiste aux inspirations variées, profondément ancrées dans la musique et le folklore du sud des Etats Unis, saura vous surprendre à plus d’un titre. Gris-Gris n’est peut être pas l’album le plus simple d’accès du Dr. John, mais il reste l’oeuvre fondatrice de toute sa carrière solo. Sans jamais être un gros vendeur de disques, Dr. John est une référence couramment citée par bon nombres de musiciens, et je ne peux que vous invité à vous faire envouter par le docteur!