6ème album studio des Arctic Monkeys: Audace!

Rêve américain
Je crois qu’il n’est plus nécessaire de présenter ce fleuron de l’industrie rock britannique que sont les Arctic Monkeys. Mais tout de même, un petit résumé de l’histoire s’impose.
Car n’en déplaise aux conservateurs acariâtres du rock, les singes de l’Arctique poursuivent leur belle et audacieuse évolution (oserai-je couillue ! Un brin vulgaire oui je sais, mais très appropriée non ?).
L’évolution dont je parle, ils l’ont entamée il y a déjà trois albums avec Humbug, œuvre pivot où subsistent quelques rémanences de leur candeur anglaise, mais dans laquelle se dessine déjà des influences nord-américaines.
À l’époque, ils musclent leur jeu et fricotent avec le père Homme (Josh), chantre du Stoner et roi du désert californien, qui collabore avec eux sur quelques titres (bien que James Ford leur producteur historique soit toujours aux commandes). Ils ont la bougeotte et les hivers pluvieux de Sheffield, Grande-Bretagne, ont perdu de leur charme d’antan.
Lorsque tu mettras la main sur ta souris et te rendra sur Spotify pour écouter l’opus, voici ta feuille de route. Ne te méprends pas, le Tranquility Base Hotel & Casino se visite de fond en comble, mais il est des salles où figurent des toiles de maitre à ne pas manquer.
Avec Suck it and See, ils poursuivent dans cette voie et nos singes quittent définitivement leur calotte glaciaire pour s’en aller se recueillir au pied du Joshua Tree (j’utilise des phrases alambiquées pour dire qu’il enregistre en Californie en fait, mes excuses).
Puis arrive AM, Saint Graal rock, qui leur permet de conquérir le cœur des Américains et d’asseoir un peu plus leur domination sur l’Europe. Un album déterminant lui aussi (que le NME déclare être l’album de rock idéal à l’époque), où se rencontrent riffs hard rock contagieux, beats hip-hop et chœurs sexy en falsetto.
Avance rapide…, entre temps le gars Turner s’impose comme le chanteur de rock en vue, notamment grâce à sa fructueuse collaboration avec Miles Kane autre fine lame du rock anglais…, enfin, le groupe accouche il y a quelques jours de… Tranquilitty Base Hotel & Casino.
Sociologie de bistrot
Avant de vous vendre la galette, j’aimerais digresser un peu. Oui, car cet album est pour moi l’apanage d’un grand groupe de rock. Alors me direz-vous, mais qu’est-ce qui différencie un grand groupe d’un bon groupe ? Au risque de me vautrer lamentablement je tente une réponse plus pragmatique que philosophique.
Un grand groupe c’est une entité qui a : la musique bien sûr, le look aussi, mais surtout l’audace.
Par audace j’entends la capacité à vivre avec son temps oui, mais aussi à savoir l’anticiper. Avoir un coup d’avance comme aux échecs en somme.
Observez par exemple le style qu’arborent les kids du Yorkshire ces jours-ci, sur toutes les photos que l’on peut trouver d’eux. Quelle a été votre réaction en les voyant ? Peut-être un instant : « tiens c’est curieux comme ils sont sapés » puis très vite « oui, mais c’est archi cool quand même ».
Je ne sais quel journal de mode affirmait il y a quelques mois que les 90’s sont de retour (confirmé par ce clip de Bruno Mars visiblement). Au diable les hipsters du dimanche, les primates de la banquise prennent la tendance naissante à contrepieds et affichent un look qui s’apparente plus à un mélange entre Don Johnson dans Miami Vice et un maquereau new-yorkais dans les 70’s.
En réalité, depuis AM, Alex Turner expérimente, et à la manière d’un David Bowie se transfigure de personnage en personnage : le rocker taciturne tout de cuir, jean et brillantine sur AM, et puis l’artiste exubérant avec les Puppets. Personnage qu’il a d’ailleurs exploité au maximum en se dandinant joyeusement en pantalon pattes d’eph sur scène un jour et en portant une chemise extra large de mousquetaire associée à des mocassins à glands l’autre. Le look on vous dit !
Certains diront qu’il en fait des caisses, d’autres que c’est un putain de génie et qu’il a tous compris, choisissez votre camp pauvres-pécheurs ! Pour ma part, c’est fait depuis belle lurette.

Un disque surprenant et rusé
Maintenant que j’ai parlé chiffons et fait mon sociologue de bistrot, rentrons dans le vif du sujet, la musique :
Enregistré pour partie sur le sol français (au studio de La Frette en région parisienne), Tranquility est un disque surprenant oui, mais rusé, un disque qui te fait croire que tu as affaire à un concept album total façon Metal Machine Music de Lou Reed, un disque qui prend la pose, celle d’œuvre abstraite d’artiste embourgeoisé qui assume ses délires mégalos. Mais ce n’est en réalité que de la poudre aux yeux, car ce disque est bien plus que ça.
D’abord, il regarde sans nostalgie vers le passé pour en extraire sa meilleure substance puis vers le futur pour nous en brosser un portrait sans fard, un tantinet froid et resigné, mais, il me semble, juste. Ensuite, il recèle de pépites tant du point de vue de la musique, que de la voix de son chanteur ou encore des paroles qui sont ici subtilement engagés, sinon délicieusement cyniques et lucides.
Interrogé par Annie Mac de la BBC one sur le texte de The World’s First Ever Monster Truck Front Flip, (le premier saut périlleux avant d’un Monster Truck au monde) qui affirmait que celui-ci dépeint de manière assez négative les technologies, Alex Turner rétorque : « Ne vit-on pas dans un monde qui fait faire des sauts périlleux avants aux Monster Trucks », l’air de dire (avec son flegme anglais), « il faut bien que quelqu’un en parle de ces foutues technologies ».
Le décor est planté
Le disque s’ouvre sur Star Treatment, pop de salon sidéral, où se promène indolente une basse mélodieuse, puis s’étirent de longues nappes d’orgues. Un piano intervient sporadiquement et fait tinter quelques notes, qui se propagent comme des gouttes tombant sur une eau calme.
Alex Turner y déroule son texte, le débit à mi-chemin entre un rappeur et un crooner de jazz (l’accent british en prime), il se lance dans de longues énumérations surréalistes (comme le faisait son compatriote John Lennon sur I Am The Walrus) qui nous peignent des images mentales hautes en couleur.
Ce titre plante admirablement le décor pour la suite de l’album (ce qu’Alex Turner confirme dans cette interview à Mondo Sonoro un mensuel rock espagnol).
Les ingrédients : une atmosphère extra-terrestre, une basse bien présente (qui nous prend par la main et nous guide dans chaque morceau ou presque), des claviers étranges (de toutes sortes), des chœurs sophistiqués, des guitares bien sûr, mais avec parcimonie, et la voix d’un frontman totalement maître de son instrument.
Il a trouvé ce son de crooner velouté dans les graves qui n’est pas sans rappeler le gamin de Tupelo lui-même (Elvis pour les profanes), mais sans bouder pour autant ses habituelles vociférations finement granitées, qui nous rappellent qu’on écoute du rock. Cerise sur le Mac Do, il explore avec maestria et sensibilité son falsetto (dès le pont de Star Treatment, mais aussi sur Monster Truck et One point perspective). Il est si convaincant qu’on s’y essaye. C’est vous dire !
Alors voilà, on pourrait croire maintenant que cet opus est un album d’initié, à n’écouter que si l’on est mélomane averti voir musicien. Eh bien non ! les Monkeys n’oublient pas la pop et après la première écoute/visionnage de leur interprétation de Four Out Of Five (FOOF en acronyme) au « Tonight show » de Jimmy Fallon, l’on se surprend à fredonner la phrase titre quand arrive le deuxième refrain.
Même combat sur She Looks Like Fun, cette fois-ci durant le « Late (late) show » de James Corden, où l’on rejoint le groupe dans sa petite chorale façon « Barbershop Quartet » (sur la phrase titre toujours).
Feuille de route
Lorsque tu mettras la main sur ta souris et te rendra sur Spotify pour écouter l’opus, voici ta feuille de route. Ne te méprends pas, le Tranquility Base Hotel & Casino se visite de fond en comble, mais il est des salles où figurent des toiles de maitre à ne pas manquer.
American Sport te donnera l’impression d’observer la terre depuis la station internationale et de la voir partir en fumée, Tranquility Base et Science Fiction avec leurs accords aux sonorités hispanisantes, te propulseront dans le roman Le Cimetière du diable juste avant l’arrivée des zombies. L’étrange signature rythmique de Monster Truck te fera valser comme un poivrot en fin de soirée (vers les 4h-4h30 du matin).
One point perspective qui emprunte son « Beat » au hip-hop, et où le texte est d’ailleurs à la limite du rap (il joue beaucoup sur les consonances ) te donnera envie d’enfiler ta casquette des Detroit Pistons et de tester ton flow.
Pour finir en beauté et rendre hommage à leur terre d’accueil, les Monkeys clôturent l’album avec The Ultracheese, balade country ternaire qui sonne comme un enregistrement du King dans les 70’s. Avec la diction savamment paresseuse de Turner, les crescendos lancinants à l’unisson et le piano bastringue, elle est parfaite pour pleurer dans sa bière au comptoir d’un rade miteux après une violente rupture.
À dans vingt piges
En conclusion, Tranquility convoque une myriade d’influences éminentes, mais c’est sans importance. Non ce qui compte, c’est que ce 6ème effort nous convainc que les quatre gamins de Sheffield, que l’on a découvert à l’époque des clopes en douce et de la Kronenbourg, ont grandi avec nous et qu’ils sont les Rolling Stones de demain. C’est eux que l’on fera écouter à nos mômes en les déposant au lycée dans vingt piges, ils nous diront qu’on est des vieux cons et on pensera qu’ils ont peut-être un peu raison, mais qu’importe, car nous en 2038 avec les Monkeys à fond dans le poste, on sera comme à la maison.
Interview d‘Alex Turner à la BBC 1: https://youtu.be/HgtXRstQhYg
Interview en français dans les Inrockuptibles: https://www.lesinrocks.com/2018/05/15/musique/la-grande-interview-pour-le-retour-des-arctic-monkeys-111082924/
