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15 ans sans Khonnor. Retour sur un chef-d’oeuvre méconnu, « Handwriting ».

15 ans sans Khonnor. Retour sur un chef-d’oeuvre méconnu, « Handwriting ».

15 ans après, retour sur l’unique album de Khonnor. Handwriting, joyau composé par un gamin de 17 ans, reste un sommet de pop électronique, célébré ailleurs et bizarrement passé inaperçu en France. 

Quitter Saint Johnsbury

Saint Johnsbury, Vermont. Au début des années 2000, cette bourgade paumée, lugubre, plombée par le chômage et l’ennui évoque celle, imaginaire, de Twin Peaks : tout n’y est que forêts, diners, usines désaffectées. La récession économique ronge la petite ville au même rythme que la végétation alentours. Connor Kirky Long entre à peine dans l’adolescence et déjà n’a qu’une seule envie : se barrer. Il vit avec ses parents qui ne cherchent pas plus à le connaître qu’il ne tente, lui, de se faire connaître d’eux. Il n’a que très peu d’amis et déteste son école. Depuis peu, il a trouvé une échappatoire : Internet. Mais ses parents mettent fin à ses escapades virtuelles quand ils découvrent, en fin de mois, des factures téléphoniques affolantes. 

Se barrer, quitter Saint Johnsbury, même de temps en temps, juste pour voir ailleurs. Mais Saint Johnsbury perd peu à peu le contact avec le reste du monde. La gare a été remplacée par un point d’informations touristiques. Les trains ne s’arrêtent plus à Saint Johnsbury : personne n’y descend et personne n’en part. 

Le salut par le DIY

Alors Connor trompe l’ennui comme il peut. Il glande, fait sa promenade hebdomadaire au cimetierre, fume des joints, fabrique des masques avec des têtes d’animaux morts et surtout, il se plonge dans la musique. Il en écoute compulsivement : My Bloody Valentine, Sonic Youth, les Pixies, Jim O’Rourke, Radiohead. Bref : tout ce que la musique indie fait de mieux à l’époque. De la musique, il en compose lui-même depuis qu’il a 13 ans.

Tous les soirs, après les cours, il s’installe dans le sous-sol, où se trouve le seul ordinateur de la maison. Il y branche sa guitare. Dans ce sous-sol traîne une méthode d’apprentissage du japonais. Un micro est fourni avec le manuel. Il s’en sert pour enregistrer les chants. C’est ainsi qu’il commence à se faire connaître, de manière très confidentielle, sous divers pseudonymes. C’est en tant qu’I, Cactus qu’il publie à 15 ans l’un de ses premiers mini-albums. 

« Bamboo Cactus », par I, Cactus, l’un des nombreux projets du précoce Connor Kirby Long.

Toute cette histoire est racontée par Connor lui-même, dans un documentaire miraculeux signé Andres Lokko pour This Is Our Music, en 2004. On y suit un Connor de 18 ans, de retour à Saint Johnsbury avec une poignée de copains, après avoir vécu ses premiers mois dans une high school de Montréal. Pour lui, Saint Johnsbury, c’est déjà le passé, depuis quelques mois. Le documentaire ne dit pas pourquoi il y revient. Une chose est sûre : ce n’est pas pour revoir ses parents puisqu’il ne les a même pas prévenus de son séjour. Pas plus qu’il ne les a prévenus de la sortie de son premier album. D’ailleurs, nous dit-il, ses parents ne savent même pas qu’il fait de la musique. Il s’en est toujours caché. 

https://www.youtube.com/watch?v=3i42zZiCFvk&t=661s
“This Is Our Music – Khonnor”, un documentaire d’Andres Lokko.

Shoegaze tout seul

Au moment où se déroule le documentaire, l’excellent label Type Records vient de publier Handwriting, le premier – et unique – album de Connor, qui se rebaptise Khonnor pour l’occasion. La presse spécialisée s’émerveille (mais pas en France : l’album y passe complètement inaperçu, bizarrement). “Un album d’une beauté irrésistible”, clame Wire Magazine, “plein d’une beauté introvertie”, ajoute NME. Le New York Times le juge “magnifique”, The Telegraph parle de “chef-d’oeuvre”. On ne saurait dire mieux, mais on peut essayer d’en dire plus.

Handwriting mêle comme aucun autre album l’esprit indie des 1990’s et la musique électronique des années 2000. C’est une sorte de Loveless de poche, la musique d’un gamin qui adorait My Bloody Valentine mais qui n’a trouvé personne pour former un groupe, et qui s’est débrouillé avec les moyens du bord pour en former un à lui tout seul. 

Comme l’adolescence, la musique de Khonnor est, mélancolique, sensible, introvertie, autocentrée, et bien sûr excessive. Ce qui relève de l’excès, dans cet album, c’est sa production hyper saturée, et l’esprit shoegaze qui s’en dégage. 

Tout est dans le premier morceau de l’album : “Man From The Anthill”. La voix et la musique se fondent dès la première seconde. La musique ? Des nappes de clavier contemplatifs, à la texture proche du bruit blanc des téléviseurs, le volume poussé à fond. C’est l’équivalent du fameux “mur de son” de My Bloody Valentine, à la sauce do it yourself, ou plutôt do it alone.

Ce serait presque insupportable sans la voix de Khonnor, une voix murmurée, chaude, une voix de confidences : “Finally convinced myself that I’m not living”. Intimiste, diariste même, les paroles de Khonnor trahissent son âge et ses préoccupations à tout instant – sa préoccupation première étant, au moment de l’enregistrement, de ne pas être surpris par ses parents. 

Comme dans la musique shoegaze, ou comme la parole adolescente, cette voix ne se laisse entendre qu’avec difficulté. Elle se cache dans le sous-mixage ou dans la distorsion, elle bute et bégaie sous l’effet de mini samples qui se désagrègent jusqu’à un final bruitiste. 

« Man From The Anthill », montage vidéo par Bennet Pimpinella (2005)

Chercher sa propre voix

Handwriting ne se limite pourtant pas à l’équation (shoegazing) + (tout seul) = x. Et si Khonnor semble avoir trouvé le bon résultat, il n’en fait pas une recette. Plus qu’un style, c’est un son, que Khonnor s’est découvert, un son qui lui est propre. Un membre d’Autechre, je ne sais plus lequel, disait un jour à quel point il trouve incompréhensible que deux artistes de musique électronique puissent avoir le même son, tant les possibilités sonores qu’offre le genre sont illimitées.

Khonnor se trouve donc une voix, un son, mais ne cherche pas à s’enfermer dans les contraintes d’un genre. Handwriting est donc disque aussi varié que peut l’être la pop. La ballade “Dusty” repose presque tout entière sur une boucle de guitare sèche, sans effets, et quelques notes de claviers. “Phone Call From You” est une bluette sucrée, à la mélodie surannée, qui ne déparerait pas dans la discographie imaginaire de James, le motard au grand coeur de Twin Peaks. Les arpèges de guitare superposés, dans “The Stoned Night”, évoquent les chansons médiévalisantes de Bert Jansch (“M’Lady Nancy”, dans Rosemary Lane), avant de laisser la place aux rythmiques électroniques glitch et aux claviers new wave, voire new age, comme dans l’intro de “Megan’s Present”.

La fin de l’album quitte peu à peu l’écriture pop pour s’orienter vers l’abstraction, l’ambient et le drone, avec les magnifiques “I Was Everything You Wanted Until I Quit” et “Tattletalent”, deux sommets du genre, à ranger aux côtés de la série “Xerrox” d’Alva Noto. Et pourtant, malgré la variété des styles abordés, Khonnor ne pose jamais un pied hors de son idiosyncrasie. 

https://www.youtube.com/watch?v=cqGE0guscL4

Handwriting est beau à pleurer. Il est beau de mille manières, à pleurer de mille manières, et toutes ces manières sont propres à Khonnor, un gamin qui a lutté contre le vide et l’ennui, et qui, avec deux cailloux et un bâton, a réussi à assembler un disque riche, vivant, et personnel. 

Epilogue ?

Mis à part un excellent deux-titres, Burning Palace (2006), Handwriting n’a pas eu de suite. 

À la fin du documentaire d’Andres Lokko, Connor entre chez ses parents, pour récupérer sa Playstation et repartir en loucedé. Il ne veut pas les croiser. Son jeune frère Stuart bulle sur le canapé, lâche un “bonjour” du bout des lèvres. En fouillant dans l’ordinateur familial, Connor se rend compte que le disque dur a été effacé pendant son absence. Il se tourne vers Stuart, qui le lui confirme, sans le regarder. “Il y avait de quoi faire deux ou trois albums là-dedans”, lâche Connor. “Ça craint”, ajoute-t-il, dans un demi sourire désabusé.

Depuis, pas de nouvelles. Je n’ai jamais compris pourquoi Khonnor s’était arrêté là. Je n’ai jamais compris, non plus, pourquoi ce disque si lumineux, à l’identité si neuve, inédite, n’avait eu qu’un si faible écho, en France en tout cas. J’écoute Handwriting depuis 15 ans, et je l’offre souvent à mes amis qui, sans exception, tombent sous le charme. En juin dernier, les Chemical Brothers, dont la musique est pourtant si éloignée de celle de Khonnor, citaient “Megan’s Present” dans son top 10 musical pour le site Numero.com. Il faut croire que ceux qui ont eu la chance de tomber sur ce disque ne l’ont jamais oublié.


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