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Rencontre avec Elisapie

Rencontre avec Elisapie

Grâce à la sympathique invitation du label Yotanka, nous avons pu rencontrer Elisapie, juste après son passage remarqué sur la scène de l’auditorium du Printemps de Bourges. Cette artiste talentueuse, nous vient du Grand Nord canadien. Compositrice et auteure, elle est devenue une véritable ambassadrice pour le peuple Inuit, ses textes évoquant leur culture, encore méconnue pour beaucoup d’entre nous. Elisapie, c’est aussi une histoire singulière, marquée par une séparation maternelle, qui a influencé les compositions du bel album The Ballad Of The Runaway Girl, album paru en septembre 2018. 

 Nous faisons rapidement les présentations, puis l’interview démarre.

Weirdsound : Tout d’abord félicitations pour le beau concert de ce soir !

Elisapie : Merci, c’était un peu court malheureusement, mais intense (rires). En 40 minutes, c’est un format un peu particulier, j’ai certaines chansons qui font 7 minutes, c’est parfois dur de choisir !

WS : La salle était ultra pleine, on a eu du mal à rentrer…

E : Oui j’ai vu, c’était impressionnant !

WS : En tout cas, c’était vraiment prenant, pour ne pas dire émouvant à certains moments !

E : Merci beaucoup, j’essaie de transmettre un maximum d’émotion quand je suis sur scène…

WS : et bien ça a fonctionné ce soir (rire). On a nos questions sur le téléphone, je ne suis pas en train de lire mes SMS (rires). Première question : j’ai cru comprendre qu’avant de te lancer dans la musique, tu avais fait des études pour devenir journaliste ?

E :  Oui c’est exact !

WS : et aujourd’hui, finalement, tu penses que tu as fait le bon choix ? (rires)

E : J’aime vraiment le journalisme, c’est un métier exigeant, où l’on doit raconter des faits et des histoires de la manière la plus précise qui soit en espérant que cela intéresse…je suis quelqu’un qui aime la communication : aujourd’hui j’ai la chance de faire un métier à plein temps que j’adore, le chant, où j’ai l’occasion de m’exprimer devant des centaines de personnes. Dans les deux cas tu tentes de transmettre quelque chose, une histoire…

WS : Il y a la musique, mais tu as aussi été partie prenante dans des projets de films et de courts métrages ! Il ne manque plus que l’écriture : c’est quelque chose qui t’intéresse ?

E : Oh oui ! J’ai déjà un projet depuis presque quinze ans dans un coin de ma tête !

WS : Ah, weirdsound tient un scoop ! (rires)

E : C’est comme une bonne chanson, il faut du temps pour l’écrire ! Mais effectivement, j’ai des projets de fictions que j’aimerai bien rédiger. Pour moi, il n’y a pas vraiment de barrières entre les différentes formes de créations artistiques…

WS : Comment tu expliques cette envie de toucher à tout ?

E : De par l’environnement dans lequel j’ai grandi, j’ai envie de raconter pleins d’histoires ! Je le fais de manière autodidacte, ce qui te rend moins frileux à te lancer…

WS : Tu n’as pas cette barrière psychologique de la formation…

E : Oui c’est çà surement !

THE BALLAD OF THE RUNAWAY GIRL

WS : Tu évoques dans tes textes ta jeunesse, auprès du peuple Inuit. En préparant cette rencontre, on était assez curieux de connaître ton quotidien quand tu étais adolescente par exemple ? Tu écoutais quoi comme musique ?

E : J’ai été adoptée, mes parents sont nés dans un igloo, mon père était encore un chasseur nomade. La tradition était quelque chose de très fort au quotidien pour eux. Moi je suis née en 1977, et durant ma jeunesse j’ai vécu avec la musique des années 80 ! Du Rock N Roll surtout ! J’écoutais autant Van Halen que Fleetwood Mac

WS : Du hard FM américain j’imagine ?

E : oui évidemment, Gun’s N Roses, Aerosmith, Metallica

WS : On était très loin de cette image là nous…(rires)

E : Finalement j’ai eu une adolescence assez proche de celle de n’importe quel petit nord-américain, à faire les mêmes bêtises (rires). Ce qui nous différenciait un peu des autres c’était la langue bien sûr. Mais pour le reste, ma génération, on voulait être le plus possible dans la modernité ! (rires)

WS : Concernant la place du peuple Inuit au Canada, est elle comme en Australie avec les aborigènes, ou les indiens aux USA ? Vu de France, on en a une image assez négative.

E : On a peut-être eu un peu plus de chance, parce que nous étions dans le Grand Nord. Les conditions de vie sont rudes, les explorateurs et colons ont mis plus de temps à arriver et le gibier, les caribous, ont été plus préservés de la chasse que les bisons aux USA…Par contre quand l’assimilation a commencé, ça a été drastique. A partir de leurs cinq ans, les enfants étaient envoyés en pensionnant avec l’obligation de parler anglais. On leur coupait les cheveux, alors que les jeunes garçons portaient des coiffes traditionnelles…

Imagine ça aujourd’hui ! Je suis mère, je me mets à la place des jeunes enfants et des parents qui ont vécu cette séparation forcée…Ce phénomène a duré sur plusieurs générations, en en faisant presque des orphelins de leurs familles et de leur culture. Comment tu veux être équilibré(e) quand on te coupe de tes attaches et qu’on te dit que ta culture c’est de la merde ? Ou encore, que tes parents sont des sauvages ?

WS : A travers tes compositions tu cherches à restaurer une partie de cette identité qui a été dévalorisée par le passé ?

E : Oui tout à fait, la musique, et les arts en règle générale, sont un moyen de faire revivre ou de faire perdurer la culture de nos Anciens. L’Histoire n’est pas belle comme je viens de te la raconter, mais les gens de ma génération ont envie de rendre sa place à notre culture et nos traditions.

WS : Tu l’as précisé pendant le concert, tu es née à Salluit, un village du grand Nord, et pour tes études tu es allée à Montréal, tu l’as vécu comment cette transition ?

E :  Je n’avais que 22 ans quand je suis arrivée là-bas, j’étais enchantée de m’installer à Montréal. Mais assez rapidement, j’ai ressenti que le regard que l’on portait sur moi était différent, j’étais considérée comme une sorte de bête curieuse, c’était une période un peu angoissante et vexante, à force je finissais par me refermer sur moi-même.

A cet âge, je n’étais pas préparée à une telle défiance à mon égard. J’étais une jeune artiste, avec une envie de partager pleins de choses, sauf qu’on ne me laissait pas m’exprimer ou alors j’étais tout de suite cataloguée comme « la fille du Grand Nord »…

WS : Il y a eu un événement ou une rencontre qui t’ont, un jour, fait choisir la musique ?

E : Mon oncle était dans un groupe, quand j’étais enfant j’allais le voir souvent en concert ! Mais c’est sans doute plus tard que je me suis vraiment décidée. Lors de mon passage à Montréal, malgré les difficultés que j’ai eu en arrivant, j’ai fait des rencontres qui m’ont poussé à aller de l’avant.

WS : Dans tes compositions, tu parles de ton vécu, notamment de ta relation avec ta mère biologique. Comment fais-tu pour trouver un bon équilibre entre ce que tu veux transmettre comme émotion aux personnes qui t’écoutent, et ce qui est peut-être trop personnel ou douloureux ? Il faut sans doute savoir se préserver un minimum ?

NDL : Elisapie a été abandonnée par sa mère biologique à la naissance, et adoptée par une autre famille. Il s’agissait d’une pratique courante il y a encore quelques décennies au sein du peuple Inuit. Pour en savoir plus, je vous invite à reprendre notre autre article à ce sujet.

E : L’écriture de cette chanson consacrée à ma mère biologique s’est faite de manière très naturelle, je savais ce que je voulais lui dire. Mais il m’a fallu près de six mois pour la terminer. Je pleurais beaucoup, à cause des souvenirs que cela faisait revenir.

Quand j’ai commencé à la faire écouter à mon entourage, avec la mélodie et parfois sans comprendre le thème de la chanson, les gens se mettaient à pleurer…

WS : Le sujet de l’abandon par une mère est effectivement très délicat ! Quand tu la chantes sur scène comme ce soir, ce n’est pas trop compliqué ?

E : Si bien sûr, c’est un moment chargé d’émotion, pour moi comme pour le public. Je pense que ça touche les gens…

WS : je te le confirme, on en a fait l’expérience il y a quelques minutes ! Tu es aujourd’hui maman de 3 enfants, ils t’ont questionnée sur ton passé ?

E : Non, ils s’en foutent ! (rires) Leurs vies sont beaucoup plus importantes ! Plus sérieusement, j’essaie de trouver un bon équilibre, en passant du temps avec eux, en étant attentive… je suis toujours disponible pour eux en tout cas ! Et puis ils ont leur père, les amis, quand je pars en tournée, j’espère qu’ils n’ont pas le sentiment de « maman est partie ! »…(rires) Dans ma vie de femme, j’ai par contre besoin d’espace et d’un peu de liberté !

WS : on vient d’évoquer cette très belle chanson sur ta mère, mais ça serait sans doute réducteur de faire croire que ta musique ne parle que du passé ou serait triste ? Tu donnes l’impression d’être une personne pleine de vie et de pleine d’envies ! Parlons des autres titres de The Ballad of The Runaway Girl !

E : OUI ! (rires) Bien sûr, et encore heureux ! Je parle aussi du territoire Inuit, de nos racines, de nos histoires, ce sont aussi des moments joyeux !

WS : Depuis que tu as commencé à chanter, tu ressens un changement dans le regard porté sur la culture Inuit au Canada ?

E : Tout à fait et ça c’est génial, je sens, quand je reviens dans le Nord du Canada, que les jeunes sont intéressés par ces histoires, ces messages…ils sont curieux et beaucoup souhaitent en savoir plus !

Tu sais, nous sommes un peuple naturellement très pudique, quand je les rencontre j’essaie aussi de leur faire comprendre qu’ils peuvent vivre comme ils le souhaitent, en étant différents et en étant fiers de leur culture. Qu’ils ont le droit d’oser, de s’exprimer…

WS : Et quand il t’arrive de retourner dans le Grand Nord, ça te fait du bien, de couper avec l’agitation des métropoles et des tournées ?

E : Complètement, je souffle et je me ressource, j’en ai besoin. C’est un moment de reconnexion essentiel pour moi !

WS : A réception de l’album, on a remarqué qu’il y avait dans le livret les paroles en anglais mais aussi en langue Inuit, il y a des lieux où elle est encore enseignée ?

E : Oui tu peux l’apprendre si tu le souhaites, d’ailleurs je crois savoir qu’il y a une association qui s’en occupe à Paris…(rires)

Une petite digression nous amène sur l’apprentissage de la langue bretonne…on est comme ça chez weirdsound.

E : J’ai hâte de retourner en Bretagne, on passe aux Vieilles Charrues ainsi qu’au festival du Bout du Monde cet été !

WS : Tu trouves que l’accueil que tu reçois sur notre vieux continent est différent de celui que tu peux avoir au Canada ?

E : Je commence à être beaucoup plus à l’aise, au début il y a eu une sorte de choc : chez nous le contact se fait simplement, on se regarde, on va se tutoyer rapidement…en France j’ai eu l’impression que les codes étaient différents ! Vous êtes plus…comment dire…distants ?

WS : Tu sais, nous les bretons, on est un peu abrupts au début, mais en fait on est plutôt sympas ! (rires)

E : Oui j’ai rencontré plein de gens adorables en Bretagne (rires)

WS : en plus c’est un libanais qui te le dit (rires et scoop concernant la rédaction de weirdsound)

On parle du Mans, de gastronomie, des lieux à visiter dans l’Ouest de la France, mais aussi dans le Nord du Canada : la conversation aurait pu durer encore longtemps ! Nos remerciements vont à Elisapie pour sa gentillesse et pour le temps qu’elle nous a consacré. 

Vous aurez peut-être la chance de la croiser sur une de ses dates en France et nous ne pouvons que vous enjoindre à aller à sa rencontre  : 

  • 11 juillet au festival Les Sud à Arles
  • 21 juillet aux Vieilles Charrues
  • 23 juillet au Paleo Festival
  • 02 aout au Festival du Chant de Marin
  • 03 aout au Festival du Bout du Monde

The Ballad Of The Runaway Girl est disponible dans tous les formats habituels, numériques et physiques.

Elisapie - The Ballad of the Runaway Girl
La pochette de l’album de Elisapie – The Ballad of The Runaway Girl

https://www.elisapie.com/

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