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Hubert Lenoir : le sens de la musique

Hubert Lenoir : le sens de la musique

Il est difficile d’imaginer que cinquante ans après les New York Dolls, Marc Bolan et David Bowie, après le succès planétaire des Cure, l’assimilation du punk par le système, il y ait encore des manifestations d’incompréhension, dans le meilleur des cas, vis-à-vis de personnalités aussi peu attachées aux codes et aux genres que peuvent l’être Bilal Hassani ou Hubert Lenoir.

Tous deux, dans des catégories différentes, ont cette volonté de transcender les genres, de faire fi des idées reçues, et s’évertuent à exprimer cet art de vivre au travers de leur expression musicale. Tous deux ont subi les quolibets et attaques haineuses, homophobes. Mais si le français présente une image sage et lisse, il n’en est rien du québécois qui multiplie les provocations et bouscule les symboles. Après avoir exhibé sa fleur de lys qui éjacule tatouée sur sa fesse, il a tenté, vainement, de pratiquer une fellation à son Felix—récompense de L’AIDSQ— en direct à télé québécoise, et soulevé une vague de protestations indignées. Il y a donc bien—qui en douterait—en 2019, malgré les Pistols, Damned, la vague glam, glam métal, les coming-outs de personnalités les plus en vue, un conservatisme tenace qui gangrène cette société. On pourrait, à l’inverse, se demander si sans ces barrières mentales, des personnages comme Hubert Lenoir auraient autant de retentissement médiatique. Au risque de ne voir que l’image à la place de l’artiste. C’est certainement le revers de la médaille qui fait que l’on voit la représentation avant d’apprécier l’œuvre et l’humain qui se cache derrière. Car chez le jeune canadien, il y a une vraie timidité et une fragilité masquées derrière son attitude. C’est ce que j’ai constaté lors de notre entretien après son spectacle au Temps Machine du 7 février dernier.

Alors que les musiciens terminent leur repas, nous nous installons dans la loge encombrée de valises. Bien qu’il soit sollicité par des grandes télés, ait l’habitude de côtoyer des figures médiatiques, au Québec comme en France, on sent une grande timidité chez Hubert Lenoir, un manque d’assurance qu’il reconnaît lui-même lorsqu’il dit avoir la volonté d’échanger le plus directement, mais toujours éprouver une certaine difficulté à regarder son interlocuteur dans les yeux. La conversation s’engage rapidement, tout d’abord sur le séjour en France, les passages radio et les différences culturelles—Antoine De Caunes n’est pas connu outre-atlantique. Au début, chacun cherche ses mots, adapte son débit, et puis, petit à petit, la langue d’Hubert se délie, et c’est un entretien riche et surprenant que me livre l’artiste.

Weirdsound :  Est-ce que tu sens des différences culturelles marquantes entre le Québec et la France ?

Hubert Lenoir : Disons, que bien qu’il existe une culture mondialisée, chaque société a sa propre culture, mais j’essaye de parler le langage le plus universel possible avec la musique. Ce sont des mélodies, des rythmes qui parlent d’eux-mêmes et transcendent les cultures.

WSD Et comment le public français accueille t’il ta musique pour l’instant ?

HL C’est cool. Vraiment très bien. Ouais, très bien.

WSD Qu’est-ce qui t’a amené à faire de la musique ?

HL Plus jeune, j’appréciais vraiment des artistes que j’entendais, Eminem par exemple, des trucs très divers. Mes parents me disaient que j’avais une vraie sensibilité musicale, que j’étais très réceptif. Mais je n’ai jamais eu la curiosité d’écouter des trucs plus nichés avant l’adolescence. J’ai découvert des trucs plus 70’s, plus underground, notamment grâce à Bandcamp. Avec mes amis, on aimait écouter des groupes sur le site, et on n’avait aucune idée de leur notoriété, si c’était des artistes connus ou non. C’est fou ce que tu peux découvrir avec Bandcamp !

WSD Tes parents écoutaient beaucoup de musique ?

HL Non, pas du tout en fait. Je pense que je ne les ai jamais vus mettre un CD, ou apprécier une musique. Non.

WSD Ton groupe The Seasons, c’est pourtant une histoire de famille, avec ton frère ? (comme la production de Darlène Darling)

HL Oui, c’était naturel. Mais maintenant que tu m’en parles, le frère de mon père était saxophoniste de jazz. Bon, je n’ai jamais été proche de cet oncle, mais je sais que c’est une histoire familiale. Au début, mon frère était pas mal dans le métal. Moi aussi à une époque d’ailleurs.

WSD Dans ta façon d’être sur scène on sent beaucoup une influence punk aussi …

HL Oui ! C’est vrai. Tu vois, je me souviens, j’ai découvert les Stooges pour la première fois vers quinze ans, leur chanson la plus connue, Search and Destroy, c’était comme… je trouvais ça incroyable. D’autres groupes aussi…

WSD Je t’ai vu dans une vidéo avec un dossard Crass. C’est assez orienté et politique…

HL Ah oui, oui, c’est très niché !

WSD The Seasons a eu une certaine reconnaissance, ce qui t’a permis de mettre un pied dans le business, peut-être, mais ensuite, comment s’est passée la production de Darlène ?

HL Et bien, mon groupe a eu, oui, une reconnaissance, mais on peut dire qu’il a marché dans le milieu underground surtout. Donc, j’ai fait l’album avec Noémie, ma manageuse et amie—là, Hubert baisse la voix et murmure presque la suite—et qui m’a financé avec l’argent du Mc Donalds. Mais ça a été fait avec 6 000$.

WSD Un peu du DIY…

HL Moui… On peut dire ça. J’ai été aidé quand même. Mais oui. On a eu 6 jours de studio, enregistrement et mix. Mais je n’avais pas l’idée, ni l’envie de faire ça façon « underground », parce que pour moi, la vision du son et de la musique que j’aimais n’entrait pas dans ce genre là. J’étais beaucoup dans Quincy Jones et le jazz. J’avais découvert ça à cette époque-là, et je voulais faire un album qui était inspiré de ça. Et puis il y avait Noémie qui écrivait son roman, donc on était dans une période de vie où on n’avait pas d’attente particulière, dans le sens où, comment dire…

Il cherche ses mots.

HL On était un peu blasé. On s’est rendu compte qu’on écrivait sur des thèmes communs, on a joint nos forces et on a fait Darlène.

WSD C’est vrai, entre la façon dont ça sonne sur l’album et l’interprétation sur scène, il y a un univers différent. L’album sonne propre, et quand tu es sur scène, c’est beaucoup plus libre et moins formaté. Est-ce qu’il y a une dimension commerciale assumée dans ce type de production ?

HL Je pense que ça évolue. Je fais quelque chose à un moment donné et je n’ai pas envie de reproduire ce que j’ai déjà fait. J’avais peut-être cette vision « jazz » du truc, mais après ça, par exemple, Miles Davis ne jouait pas de la même façon que sur disque. Le live est une chose, l’album en est une autre. Non, c’est que ce que j’écoutais à l’époque de la production de Darlène était plutôt hyper clean. Du soft-rock année 70, Steely Dan, Fleetwood Mac, des trucs comme ça. C’était assez orienté.

WSD Oui, c’est vrai que tu cites Miles Davis, mais je pense aussi à Coltrane, quand tu écoutes ses morceaux en live, tu croirais presque un pré-punk !

HL (sourires) Ouais, mais en toute humilité, j’essaie de pousser les musiciens. J’aime profondément la musique et profondément les musiciens, j’essaie de les pousser au meilleur d’eux même… et au meilleur de moi-même. Et puis, tout le monde, chaque musicien est très incarné.

WSD Comment les as tu recrutés ?

HL Eh bien ce sont les mêmes que sur l’album, à l’exception du pianiste. Le guitariste—Alexandre Martel aka Anatole—c’est un ami, il tournait déjà avec mon groupe. Les autres, je les connaissais de réputation, ils venaient du milieu du jazz.

WSD Pour l’enregistrement, il y a beaucoup de contribution des musiciens ?

HL Ça dépendait d’eux. Mais j’ai été extrêmement dictateur sur les parties à jouer, les partitions que j’avais écrites. Je suis arrivé avec aucune maquette, mais on est arrivé—avec Alexandre Martel,NDLR­— avec des chansons que je jouais guitare/voix, ou piano/voix. Le meilleur exemple serait une pièce comme Momo sur l’album : la première section est très écrite, j’avais aussi l’idée du swing, mais à partir d’un moment, on a commencé à jammer dans la pièce. On avait le début du morceau, la base d’accord, et après on a joué ensemble, improvisé et on ne savait pas comment ça allait se terminer. Quincy Jones dit qu’au final, la musique, il faut toujours mettre une zone tampon qui n’est pas toi. Car si tu prends toute la place, ça empêche les accidents, les choses d’arriver. Donc je crois beaucoup à la musique. Ce n’est pas nécessairement toi qui fait une « track ». Désolé, j’utilise beaucoup d’anglicismes dans mon langage. Je fais attention en France.

WSD Ta personnalité semble prendre beaucoup de place dans la musique, mais quand on te voit sur scène, la musique prend beaucoup plus de place. Je ne te connaissais pas il y a quinze jours, quand j’ai écouté l’album, j’ai trouvé ça vraiment intéressant, et ce qui m’a étonné, c’est la maturité de ta musique par rapport aux gens de ta génération… Tes références s’adressent peut-être plus à un public plus âgé.

HL Quand j’étais petit, j’écoutais des musiques qui passaient à la maison, puis après c’était des trucs, c’était des musiques de l’époque même avant mes parents, dans le sens où ça paraît un peu dépassé même pour eux. Eux ils pourraient préférer U2 ou Coldplay, par exemple, tu vois ce que je veux dire… Cette musique un peu ancienne va leur paraître âpre. Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire… C’est un peu comme les vêtements : ceux qui vont s’habiller en friperie, avec de vieux vêtements, ce sont plutôt les « millénials », tu vois. Ces textures, qu’elles soient textiles ou sonores, ça a du sens pour ma génération. Je me souviens, les gens avec qui j’allais au lycée écoutaient des trucs du genre les Rolling Stones, de la New Wave… Autant j’écoute aussi des trucs contemporains, autant j’avais envie de faire un album avec ces textures-là. Les synthés analogiques et tout ça, je pense que ça a un sens aujourd’hui. J’ai quand même envie d’aller vers quelque chose de plus contemporain après Darlène.

WSD Oui, tout à l’heure, avec le sax par exemple, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au mélange free-jazz et rock du Fun House des Stooges, ou au MC5

HL Oui, du coup je fais des parallèles, mais c’est un peu comme un peintre : ses premières œuvres vont être peut-être plus marquées par un courant ou un artiste, avant qu’il ne trouve son style. Je me sens un peu comme ça, je commence à trouver un peu ma place, je crois qu’il commence à y avoir un pont entre ce que j’aime et quelque chose de plus contemporain. C’est comme ça que je vois mon prochain travail.

WSD Ah mince ! Tu viens d’anticiper ma prochaine question ! Sinon, votre projet de film autour de Darlène ?

HL Ça devenait trop compliqué et ça coûtait trop d’argent.

WSD Pour plus tard ?

HL Oui, peut-être, mais je vais tellement de l’avant, que Darlène pour moi c’est déjà du passé. Il faudrait que je replonge dedans et faire un film… Bon. J’ai plein d’autres projets.

WSD Darlène, ce personnage, ce n’est pas un peu un condensé vous deux…

HL J’ai écrit Darlène en pensant à quelqu’un. À une fille en particulier. Après, les gens m’ont dit que c’était féministe. Ce n’était pas forcément écrit dans le but d’être féministe, même si je me considère comme féministe. Je ne suis pas le genre de personne qui s’accroche à l’écrit, je suis plus dans la « civilisation du parlé ». Fille de personne était donc pour une fille en particulier, mais je pense qu’au final je me raconte aussi. Dans le sens où j’avais envie de me libérer de certaines peurs, attaches mentales, que le milieu conservateur de la famille peut t’inculquer, face à ce qui nous entoure.

WSD Darlène c’est le passé. Mais, et maintenant ?

HL Je suis sur plein de trucs, je ne peux pas trop en parler. Peut-être quelque chose de plus « contemporain ». Mais je trouve que Darlène est contemporain, dans un sens.

WSD Donc pas de peur de te faire enfermer dans un effet de mode ?

HL Non, c’est aussi pour ça que j’ai sorti Darlène sans maison de disque en France, je ne veux pas de maison de disque qui te dise « vas-y fais du spectacle ! ». Au final, je sais que les gens qui viennent me voir en spectacle sont proches de moi et comprennent ce que je fais. Je n’ai pas besoin de me justifier par rapport à eux. J’ai l’impression qu’ils sont habitués, et en plus convaincus par le spectacle.

C’est donc un vrai passionné de musique, un artiste profondément humble et touchant que j’ai rencontré ce soir là.

Merci à Noémie, Hubert, ses musiciens et ses techniciens, à Pauline et l’équipe du Temps Machine.

Hubert Lenoir sera en concert le 17 avril 2019 à la Maroquinerie

Plus de dates ici

Liens :

https://hubertlenoir.bandcamp.com/

darlenedarling.com

https://www.facebook.com/jesuishubertlenoir/

https://www.letempsmachine.com/

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