THE SHEEPDOGS : ROOTS ROCK’N ROLL

ROOTS ROCK’N ROLL
Les Sheepdogs sont de retour avec un single rutilant annonçant un cinquième album plus puissant que jamais !
Le son de cette bande de Canadiens au look de Texan, c’est un peu comme si Lynyrd Skynyrd et Led Zeppelin avaient fait des bébés : de grosses guitares rugissantes qui fleurent bon le souffle des marshalls, une voix un peu country mais un brin plus aiguë que celle du gars Van Zandt, un sens du riff acéré et une sensibilité pop qui fait que ça reste dans la tête en toutes circonstances.
Histoire de ne pas s’arrêter là, les « chiens de berger » ornent leurs compos d’harmonies vocales que ne renieraient pas les Beatles ou leurs homologues ‘ricains des Beach Boys.
Au chant et la guitare donc, Ewan Currie, bucheron Canadien d’un mètre quatre vingts-dix, barbe hirsute d’ours mal léché mais bien sapé, Shamus Currie son petit frangin à l’orgue, Ryan Gullen à la basse et Sam Corbett aux fûts. Tous arborent un look cher à leurs modèles des 70’s : cheveux jusqu’aux épaules, barbes fournies, vestons, jeans et chemises à carreaux.
Fantaisie dans la composition du groupe, Shamus Currie est présent depuis le début de l’aventure, mais par intermittence, aussi, le rôle de second guitariste semble changer fréquemment. Leot Hanson a fait le job avec brio de 2006 à 2014, (il est responsable des harmonies de guitares sur l’album Learn & Burn ), Rusty Matyas récupère le poste au pied levé pour assurer une tournée, puis intègre l’équipe dans la foulée. Enfin Jimmy Bowskill, guitariste de Blues Canadien, déboule en 2015 avec un CV rock long comme le bras (il aurait tourné avec Joe Bonammasa et Jeff Beck en 2010 notamment).
Mais avant de faire un tour d’horizon de leurs cinq albums, un peu d’histoire.
LES DÉBUTS
C’est du Canada que sont originaires nos cinq gusses, et pas de n’importe quelle ville, Saskatoon, cité de 250 000 âmes paumée au beau milieu du Saskatchewan, province Canadienne elle-même paumée au centre du pays. Précisions que cette ville est aussi le berceau de Joni Mitchell, chanteuse célèbre des fécondes années soixante, à ranger aux côtés de Dylan, Joan Baez et autres joyeux illuminés.
Né en Australie, Ewan Currie débarque à Saskatoon à 11 ans, il y rencontre son futur bassiste Ryan Gullen dans une école de musique locale ou les deux joues de la clarinette (si si de la clarinette), amis proches ils apprennent la guitare durant leur temps libre.
Fréquentant l’université du Saskatchewan, ils y rencontrent Sam Corbett et décident de former un groupe, Currie au chant et à la guitare, Gullen à la basse et Corbett derrière les fûts, déjà la formation définitive se dessine.
Depuis le sous-sol des parents de Corbett ils se font les dents sur des classiques blues-rock des 70’s ainsi que des morceaux plus récents des Black Keys ou Kings of Leon (avec qui ils tourneront plus tard). Ils commencent aussi les compositions et c’est sous le nom The Breaks que le trio sort un tout premier EP en 2006.
L’été de la même année, dans une soirée, ils repèrent Leot Hanson qui chante un titre des Kings of Leon en s’accompagnant à la guitare acoustique. Les trois compères se précipitent et ils se retrouvent à chanter tout le premier album du groupe à quatre voix. Le lendemain Hanson rejoint The Breaks qui devient The Sheepdogs et ils passent aux choses sérieuses !
LES ANNÉES DE GALÈRE
Toujours en 2006, renforcé par l’arrivée d’Hanson, le groupe enregistre et sort lui-même son premier album, Trying to Grow, depuis un studio local. Aussitôt ils partent en tournée et après deux ans sur la route enregistrent le petit frère, The Big Stand, avec la même configuration. Si leur qualité est indéniable, ces deux premiers opus ont un parfum de « Do it yourself ». En plus de l’enregistrement et la diffusion, le groupe assure aussi le mixage et ce sont des amis qui conçoivent les pochettes de disque.
En 2010 sort Learn & Burn, troisième « long play » comme disent les anglophones. Il a une place particulière dans la discographie des Sheepdogs et nous allons voir pourquoi immédiatement !
Début 2011 le groupe avale des kilomètres d’asphalte dans un van Dodge de 1995, ils attrapent le tournis à sillonner le pays d’est en ouest, qui plus est pour de petits concerts. Pour corser l’affaire nos rocker se retrouvent en difficulté financière après avoir tenté un voyage à Los Angeles. On leur avait vendu un évènement décisif où ils joueraient devant des huiles de l’industrie de la musique. Manque de pot les huiles en question ne prêtent pas attention à leur set, ils repartent bredouilles et endettés jusqu’aux yeux.
C’est à ce moment précis, alors que les nerfs du groupe sont rongés jusqu’à la corne, qu’ils apprennent qu’ils ont été sélectionnés pour un concours avec Rolling Stones Magazine, « choisit la couverture » (en anglais dans le texte). Le groupe se retrouve en lice face à 15 autres participants pour faire la première page du prestigieux mensuel rock.
Le meilleure dans l’histoire est que les intéressés ne savaient même pas avoir postulé pour ce concours, un agent qu’ils avaient croisé en soirée, confiant dans leur potentiel, avait simplement envoyé leur démo au journal.
Durant la compétition et grâce à l’appui de celle-ci, le groupe joue dans l’émission « Late Night with Jimmy Falon » (équivalent Américain du grand Journal) et au Boonarroo Festival de Memphis réunissant en moyenne 80 000 personnes chaque année.
Suite à ça nos lascars coiffent au poteau les 15 autres concurrents (ils deviennent le premier groupe non signé sur un label à figurer en couverture de RSM), signe avec Atlantic Records et enregistre un album sous la houlette de Patrick Carney, la moitié des Black Keys.
LE BOUT DU TUNNEL
Cet évènement marque le début d’une longue série de succès sur le plan médiatique et commercial pour les Sheepdogs, on retiendra :
- En 2011 leur chanson Who ? passe dans un épisode de la série Les Experts. Puis Learn my lesson apparaît dans un jeux vidéo de Baseball à succès aux États-Unis. Enfin, Ils sont nominés pour trois récompenses aux CASBY awards (équivalent Canadien des victoires de la musique) et remportent les trois.
- En 2012 ils gagnent à nouveau trois récompenses, au JUNO awards cette fois-ci (autre célèbre évènement récompensant les artistes Canadiens). Puis, le groupe donne un concert live sur le toit de la CBC (Canadian Broadcasting Corporation, équivalent de France télévision) dont les enregistrements sont diffusés sur le site de la CBC music.
- En 2013 leur chanson The way it is est incluse dans un spot TV pour la marque de voiture Cadillac.
- En 2014 leur chanson Feeling Good est utilisée lors de la diffusion de la finale de hockey féminin lors des Jeux olympiques d’hiver. À nouveau, l’exposition médiatique est immense étant-donnée l’importance de ce sport au Canada.
- En 2015, lors des championnats du monde de Hockey sur glace, la même chanson est jouée à chaque fois que l’équipe nationale Canadienne marque. Puis le groupe interprète trois morceaux durant l’émission de télévision matinale « CBS this morning » (pour information CBS est un des plus gros réseaux de média Américain).
- Enfin, en mars 2017 le groupe, se produit durant le concert hommage à la Stanley-Cup (le championnat de Hockey national Canadien) avec d’autres artistes Canadiens et Québécois.
Autant d’évènements permettent aux Sheepdogs de bénéficier d’une grosse exposition médiatique et de faire découvrir leurs musiques sur les médias traditionnels fréquentés par une audience qui d’ordinaire ne serait pas intéressée spontanément par leur style de musique.
(Who ? solides en live les Canadiens)
Mais s’ils ont depuis 2011 le pragmatisme d’assurer le marketing de leur groupe, ils ne délaissent pas pour autant les évènements à portée symbolique.
Par exemple en 2013 le groupe s’envole pour les studios Sun de Memphis, l’endroit où tout a commencé, la Mecque du rock’n roll, temple de la foi hillbilly où ont enregistré Elvis Presley, Johnny Cash, Carl Perkins et Jerry Lee Lewis allias le « Million Dollar quartet ».
Là-bas ils enregistrent plusieurs chansons, mais surtout That’s All Right . Quand on parle de symbole, ce morceau de 1954 représente tout simplement les tables de la loi du rock, c’est celui qui allait déclencher une révolution culturelle encore en marche aujourd’hui. En 1,57 minutes il résume ce qu’allait devenir le rock’n roll.
Pour l’anecdote, en 1954 Elvis, alors inconnu, Scotty Moore et Bill Black, respectivement guitariste et contrebassiste de session, prennent un break en studio, ils viennent de se faire remonter les bretelles par Sam Phillips, propriétaire des lieux, qui trouve que leur son ne dégage rien de nouveau.
Dépité, mais tentant d’alléger l’atmosphère, Elvis commence à chanter That’s all right, chanson du blues-man local Arthur « Big-Boy » Crudup, il frappe les accords sur sa guitare acoustique se laissant emporter par le groove, Moore et Black se joignent à lui, aussi sec Sam Phillips, entendant les trois compères s’amuser, se précipite dans le studio « Whatever you’r doing, don’t stop ! » (je ne sais pas ce que vous faite mais surtout ne vous arrêter pas) il allume les micros et « the rest is history » comme disent les anglophones.
Je m’égare un peu mais je tenais à souligner l’importance de cette chanson pour n’importe quel musicien de rock. Je ne peux qu’imaginer la pression ressentie par les Sheepdogs lorsqu’ils enregistrent leur version ce mois d’avril 2013. Et je dois dire qu’ils s’en tirent avec les honneurs (voir vidéo ci-dessous à partir de 1’52) car ils parviennent à rester fidèle à l’original tout en lui apportant une certaine « saveur Canadienne » comme ironise Ewan Currie au début de la vidéo.
https://youtu.be/0r7OQFaBQWI
Autres faits marquants pour leur crédibilité rock, ils font une tournée Australienne en 2012 avec John Fogerty, grosse influence pour eux et leader des immenses Creedence Clearwater Revival dont on ne fait plus la présentation. Kid-Rock les adoube la même année en précisant qu’ils sont exactement où le rock’n roll doit être. Enfin les Kings Of Leon, autre énorme influence du quintette, les invitent à ouvrir pour eux lors du premier concert de leur tournée Canadienne.
Durant cette faste période les Sheepdogs enregistrent leur quatrième album, éponyme, sur Atlantic Records (2012), puis sortent leur cinquième opus Future Nostalgia en 2015.
ÉVOLUTION MUSICALE DES SHEEPDOGS
Trying to Grown
Si cet album respire le premier effort d’un groupe en devenir (si l’on écoute au casque on peut entendre les membres chuchoter pendant les moments de silence, ou certains mix de voix sont discutables) tous les ingrédients d’une recette gagnante sont là.
Il y a des intros mordantes avec toujours un riff de guitare accrocheur, des batteries musclées sans être lourdingues, la voix d’Ewan Currie (que personnellement j’adore) faisant ressortir des puissants hauts médiums, rock’n roll à souhait mais qui reste claire et mélodieuse. Voix principale qui déjà est encadrée de rutilantes harmonies qui font scintiller les refrains, parfois avec de simple « woo » en soutien comme sur la chanson titre, parfois en tierces comme sur Warmer Love ou It’s Alright et même dans un style très Beatles, en question-réponse, comme sur Hang on to yourself, chanson sur laquelle Currie accentue les graves de sa voix pour lui donner un côté crooner.
Le plus agréable avec ce premier opus, c’est que les Sheepdogs n’ont pas joué la sécurité, ils se sont fait plaisir et ont assumé leur style à 100%, en se lançant dans une grande bacchanale rock’n roll. Pour preuve, plusieurs morceaux dépassent allègrement les quatre minutes, dont 6 minutes pour le grandiose Shine On où un orgue rampant, couplé à un riff de guitare macabre ouvrent la route à la voix.
(La grandiose Shine On, appréciez les harmonies sur le refrain)
Clairement, sur cet album aucune ambiance n’a été laissée de côté, on a la grand-messe country-rock Heading down et son piano bastringue, la balade western avec Tonight qui nous transporte dans un Sergio Leone de la grande époque avec Currie dans le rôle de chaman possédé, le blues Honky-Tonk graisseux avec Greedy Man et son intro de guitare digne d’un mécano de la General Motors, la rengaine de pochtron à brailler en cœur accoudé au comptoir une bière à la main et une écharpe du RCL autour du cou avec Natural Wonder, le british blues façon T-Rex agrémenté de gros power chords et slide de piano en intro (sans oublier le saxophone endiablé) avec la chanson titre, et enfin You Never Listen la plus hard rock du lot, avec le bouton de gain à droite toute et la cloche « four in the bar » qui n’est pas sans rappeler les grandes heures des Nazareth.
(You Never Listen)
Un autre aspect intéressant de Trying to Grown est qu’il souligne déjà les talents de compositeur d’Ewan Currie. Les morceaux sont habilement structurés avec le côté méthodique qui est nécessaire à une bonne chanson, mais sans jamais suivre tout le temps la même formule. On est agréablement surpris de trouver par exemple le solo de guitare dans la première minute, puis dans les trente dernières secondes dans le morceau suivant.
Big Stand
Si elle est faite du même métal que la première, cette seconde mouture diffère par la qualité de ses enregistrements, on peut sentir que le groupe a apprivoisé le studio.
Cet album montre aussi à l’auditeur auquel le premier album n’aurait pas suffi, que le groupe est musicalement mature. On peut aussi entendre que les protagonistes ont habilement synthétisé leurs influences pour en faire un truc bien à eux, rétro certes mais moderne et rafraîchissant à la fois.
Écoutez par exemple la chanson d’ouverture, Let it all Show qui utilise une cadence évitée pour nous amener au solo, puis joue un peu plus loin sur les chromatismes, nous avons affaire à des gars qui savent ce qu’ils font. Le quintette va aussi plus loin dans ce qu’il faisait avec brio sur le premier opus, ils utilisent de plus en plus les harmonies vocales comme sur le refrain de Morning to Come ou de façon plus subtile tout au long de la balade bucolique Crying , ou encore In my Sight qui empile admirablement les voix dans les graves (dur à faire bien sonner).
(Creeps et sa basse simple mais très efficace)
Le groupe introduit aussi ses fameuses « guitar-monies » dont ils parlent en interview, qui consistent à harmoniser deux guitares comme pouvaient le faire les Eagles sur Hotel California, on peut les entendre dès Let it all Show.
Ce qui est fascinant aussi sur Big Stand, c’est l’évolution vocale de Currie, tant sur la tessiture que sur l’interprétation.
Pour la tessiture, on l’entend se mettre à l’aise dans ses graves sur In my Sight et sur la balade éthérée The sea, puis crier littéralement sur le morceau Creeps. Concernant l’interprétation, on assiste à des métamorphoses successives du chanteur, qui délaisse le costume de rocker virile pour enfiler tantôt celui d’ado fragile sur The Sea où il ose chanter tout en douceur même dans les montées, tantôt en soul man au cœur brisé lorsqu’il implore sur Black & Tan.
On admire aussi la capacité de ces Canadiens à éviter toujours la monotonie, en atteste la chanson Yes it is, qui commence comme une balade, avec sa mélodie douce-amère pleine de demi-ton, puis se transforme en garage-rock sur le refrain. Ici aussi Currie explore toute la palette en passant de rocker au timbre sale sur le refrain, à un Elvis du grand nord susurrant son texte sur le retour au couplet.
(The First Year, pépite de guitare)
En matière de nuances, les instruments ne sont pas en reste, on trouve sur Big Stand des pépites de guitare, parfois suaves comme sur The first Year et The Sea, ou plus franche, sur le même titre, avec le riff sur les cordes graves qui guide l’oreille jusqu’au refrain. On a enfin une basse tonnante qui groove méchamment sur Creeps et contraste efficacement avec l’intro gentillement jazzy.
L’album se finit en « blagounette » avec The Contenders, qui commence comme une ballade country chantée en chœur dans un saloon, puis se transforme après quelques mesures en boogie monomaniaque.
En somme, un bel album qui enfonce le clou d’un groupe au style affirmé mais qui a plus d’un tour dans sa manche.
Learn & Burn
Sur le troisième, les Sheepdogs démontrent qu’ils parviennent à maintenir une cohérence musicale admirable d’un album à l’autre tout en peaufinant leur style et en creusant certains aspects de leur son jusqu’alors inexplorés. Learn & Burn continue d’exploiter le filon du classic-rock 70’s mais avec d’intéressants développements.
Vocalement Currie trouve son rythme de croisière et s’établit dans le rôle de rocker bien élevé, il sait crier et lâcher prise mais ne se vautre pas dans le vomi punk pour la pose. Le piano fait son grand retour, on le retrouve en accompagnement sobre sur la balade champêtre Please don’t Lead me on (où Currie va aux champignons avec sa copine, et profite de l’occasion pour lui demander de ne pas lui briser le cœur.) ou tout en groove sur I don’t Get by ou Sahmus phrase comme un jazzeux. Ou enfin sur Rollo Tomasi qui nous embarque dans un film italien des années 70 avec ses interventions de cuivres.
(Please don’t Lead me on)
L’orgue rock est aussi mis en avant avec une intro concise sur le morceau d’ouverture et sur Right on, avec des nappes d’accords subtils et accompagné d’un solo de sax sauvage, arrivant en levé, comme une droite que l’on n’attendait pas.
La part-belle est faite à la guitare acoustique (que l’on avait assez peu entendue jusque-là) avec des cascades de notes scintillantes sur l’intro de I don’t Get by ou sur l’interlude You Discover, avec une partie digne des plus belles échappées acoustiques de Led Zeppelin.
Le quintette explore plus ses influences country en incluant par exemple de la pedal steel sur I don’t Get by , ou avec le riff d’intro entêtant sur la tubesque Southern Dreaming (joué avec deux guitares harmonisées comme à leur habitude).
Au milieu de ces nouveautés, les Sheepdogs continuent de créer de magnifiques harmonies vocales comme sur les albums précédents, mais on remarque en particulier celles de Baby, I won’t do you no Harm très beatlesienne avec des roulements de « woo la la la la », chanson sur laquelle figure d’ailleurs une partie guitare « uber cool » (qu’il faudra que je songe à voler) tout en syncopes jump blues.
(Southern Dreaming, et ses guitar-monies épiques)
Ils maintiennent leur statut de rockeurs à barbe avec les phrasés garage blues de Catfish 2 Boogalo et finissent l’album dans un joyeux bordel sur les quasi-instrumentales We’ll get there et I should Know amenés sans fondu, comme un seul et même morceau, et où les musiciens semblent jammer en studio pour faire chauffer les lampes.
Un très bel album donc, où figure certaines des plus tubesques de leurs compositions, mais qui reste musicalement assez ouvert pour nous faire sentir que le groupe continue d’expérimenter.
The Sheepdogs
L’enregistrement de cet album éponyme est symboliquement très fort pour le groupe à bien des égards. C’est le premier qu’ils enregistrent sur une major (Atlantic Records appartenant à la Warner), les sessions se passent à Nashville (Mecque de la country music et objet des fantasmes de Currie dans des chansons telles que Southern Dreamin’) et le producteur n’est autre que Patrick Carney cogneur et moitié des Black Keys.
À la première écoute, un fan des Sheepdogs et de leur son subtilement lo-fi, trouvera probablement que la production est un poil trop lustrée. Carney a tendance à noyer la très forte identité du groupe dans les artifices de la production. Cela étant dit, la faute incombe probablement plus à la maison de disque qui, on l’imagine, a dû imposer au jeune producteur (c’est son premier album dans ce rôle) un cahier des charges strict.
(The way it is, solide heavy-blues)
Ce que l’on peut par contre bel et bien reprocher à notre homme, c’est d’avoir enregistré un album de batteur. Dès la première écoute on perçoit un fossé entre les trois précédents longs et celui-ci. La batterie est très en avant alors que les parties guitares et voix, pourtant toujours intéressantes, sont assez en retrait.
Dernière remarque négative, l’influence des Black Keys est peut-être trop palpable (au point d’en dénaturer un peu plus l’identité des Sheepdogs), surtout sur un titre comme Feeling good avec ses roulements de batterie et ses guitares surchargées de fuzz, signature du power duo d’Akron.
Ce long recèle néanmoins de pépites dont nos Canadiens ont le secret, comme par exemple la très heavy-blues The way it is, où la batterie bucheronne, la phrase titre est délicieusement ponctuée par des pêches de guitare distordue et le tout est relevé par de sexy chœurs en falsetto.
On notera aussi In my Mind et ses sonorités indiennes, amenées par une 6 cordes qui évoque le cithare des raggas, puis While we’re Young rengaine pop anglaise 60’s qui n’est pas sans rappeler les meilleurs hits des Kinks, Turtle ou Easybeats.
Enfin, on notera Is your Dream worth Dying for (au titre existentialiste s’il en est) ballade acoustique délicate sur le couplet et garage-rock épileptique sur le refrain, puis, It Ain’t Easy to Go chansonnette country pour road movie ou Currie croone nonchalamment, le bras pendant à la vitre de sa cadillac glissant sur la route 66.
(While we’re Young, référence pop 60’s inattendue)
Si les autres compositions de cet opus surprennent moins, elles démontrent toujours un savoir-faire des Sheepdogs quand il s’agit de trousser des mélodies efficaces, enveloppées dans un écrin d’harmonies vocales.
Cet album n’est pas aussi excitant que les précédents, mais il a le mérite de permettre aux Sheepdogs d’accéder aux arcanes de l’industrie de la musique (la cour des grands) et de leurs attribuer une légitimité en tant que groupe phare du paysage rock américain (et international). C’est donc un album de transition qui voit le groupe prendre la température dans une major et affiner un peu plus encore son image, en préparation des grandes choses qui restent à venir.
(Le making-of de The Sheepdogs)
Future Nostalgia
Dernier long en date de l’écurie Sheepdogs, Future Nostalgia est l’album d’un groupe qui revient à ce qu’il sait faire de mieux tout en ayant tiré les leçons du passé. Ewan Currie le précise d’ailleurs en interview, « Nous souhaitions nous couper de toute agitation et trouver un juste milieu entre le son garage de Learn & Burn et celui mastodontesques des séances de The Sheepdogs avec Patrick Carney ».
En 2015 le groupe signe donc avec Dine Alone Records (un petit label de Toronto), va se terrer dans un petit chalet de location au bord de Stony Lake, (au find fond de l’Ontario) et, avec l’ainé des Curries aux commandes, s’emploie à enregistrer un album érudit.
Détail amusant de cet opus, les protagonistes enregistrent 18 chansons sans sourciller quand d’autres galèrent à en boucler 10. Bon ils trichent un peu car les trois dernières sont en fait un medley, mais quand même !
À la première écoute cela saute aux oreilles, le batteur a pris du galon et ses parties sont très travaillées, elles sont compactes et cognent, mais aussi très savoureuses. Écoutez par exemple les parties ciselées de I Really Wanna be your Man et Take a Trip , ou le jeu de charley précis de Where I can Roam .
(Where I can Roam, version medley)
Sur Future Nostalgia toutes les ambiances y passent, on trouve des bijoux de songwriting intimiste, avec l’aérienne Downtown et son phrasé lancinant, ou Jim Gordon avec son solo d’orgue vaporeux et où Currie livre son texte avec le phrasé suave d’un crooner de jazz, puis la plus pop Nothing all of the time et son chant débonnaire.
On trouve aussi des morceaux plus musclés avec I’m Gonna be Myself et ses salves de guitares sous stéroïdes, ou la chaloupée et sexy Bad Lieutenant avec un orgue rampant fort à propos et des pêches de guitare sur les afterbeats et enfin Darryl & Dwight du même tonneau, avec son piano qui rappelle les meilleurs blues hantés de Nick Cave (hanté lui aussi).
Vocalement, Currie brille particulièrement sur Back down en « belter » hard rock, ou sur Help us all où il atteint des sommets en gardant une voix claire, chanson où figurent d’ailleurs de longues interventions de trombone de Shamus Currie, qui lui donne un côté soul motown.
(Darryl & Dwight, Stagger Lee n’est pas loin)
Puis on trouve quelques morceaux à part mais bienvenus, comme l’interlude énigmatique Jim Sullivan et ses ondulations de guitare acoustique ou encore Same old Feeling balade Honky Tonk au piano acoustique quasi-ragtime qui avec son solo nous transporte dans un saloon du fin fond du Texas.
Si l’on a été séduit par l’utilisation régulière et brillante des harmonies vocales par les Sheepdogs, on ne sera pas déçu sur cet opus car elles sont disséminées çà et là sur un peu tous les morceaux, mais avec une parcimonie qui entretient l’effet de surprise. Écoutez par exemple la scansion de la phrase titre sur Givin it up for my Baby, les simples « woo » en soutien sur Downtown qui donnent du relief, ou enfin les harmonies parallèles sur Jim Gordon qui reprennent le rythme de la phrase mais plus aigüe.
Future Nostalgia est donc un album magistral qui expose tout le talent de ses créateurs.
I’ve Got a Hole where my Heart Should be
Dernière création des Sheepdogs, ce morceau est un boogie garage gorgé de fuzz avec un thème de guitare mélodieux, flanqué d’un riff gras et entêtant (doublé à la basse) puis d’harmonies vocales beuglées en chœur sur le refrain.
La batterie est bien dosée, elle tient la baraque et groove quand il faut puis lance de long break en fin de cycle pour dynamiser.
Ce titre est aussi agrémenté d’une orgie instrumentale en guise de pont où guitare et piano se répondent avec virtuosité (à la limite du shred pour le piano) puis se finit compas dans l’œil sur la dernière note du thème d’ouverture.
En somme un morceau efficace qui me laisse trépignant d’impatience en attendant l’album.
La marketing team de Dine Alone Records à dû bien faire le boulot, car pendant qu’elle fait monter le suspense concernant l’album elle procède à une campagne de promo efficace. Jetez un œil au « teaser » de l’album présenté comme un publi-reportage rétro (en réalité une idée du groupe), ou au clip complètement « what the fuck » présenté comme s’il était un passage à la TV allemande (oui allemande). Le groupe donne aussi une interview dans un programme télé matinal Canadien et affiche un look de rockeur 70’s au point.
(La fausse vrai pub du nouvel album)
(Les Sheepdogs ont beaucoup de succès en Allemagne)
Enfin, ils s’adonnent à l’exercice de la reprise, avec une interprétation très réussie du titre de leur compatriote Neil Young Old Man, joué à la fraîche, pieds nus sur le tapis du salon ! Je plaisante mais prenez le temps de l’écouter, elle permet de voir en direct le talent vocal du quintette quand il s’agit d’harmoniser.
(Efficace reprise de Old man de Neil Young)
Pour conclure, si je pouvais résumer le son des Sheepdogs, je dirais qu’ils distillent un rock’n’roll sophistiqué mais jamais prétentieux ! Car si ces gars-là sont loin d’êtres manchots, quand ils se lancent dans des envolées lyriques, c’est toujours pour nous raconter une histoire et pas pour le pur plaisir de l’étalage technique.
Vous l’aurez compris, après des débuts difficiles, la carrière des Sheepdogs est jalonnée de succès. Tant au point de vue commercial, avec plusieurs chansons passées dans des séries, publicités et évènements sportifs, mais aussi critique, avec un quasi-ensemble de la profession unanime sur leur talent ! Alors la question que l’on est en droit de se poser (rassurez-moi vous vous la posez hein ?!) c’est comment se fait-il que ces zigues ne soient pas plus connus !
Et bien même si je pense que la réponse est dans le fait que le rock se fait de nos jours voler la vedette (et la hype) auprès des kids, par le hip-hop et l’électro, je ne me prononcerai pas. Mais je peux par contre vous recommander chaudement d’aller vous calfeutrer les oreilles dans le rock’n roll rugueux des Sheepdogs pour mieux passer l’hiver, et d’attendre comme moi (avec impatience) leur nouvel album Changing Colours dans les bacs (et les services de streaming) le 2 février 2018 !
Rock ‘n Rollment
(Jimmy Bowskill dernier pelleux en date de la formation)